La gauche évincée ? Comment le duo UMP/FN pourrait remplacer son prédécesseur UMP/PS<!-- --> | Atlantico.fr
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Dans un sondage Ifop pour Marianne révélé jeudi donne Marine Le Pen en tête de la prochaine présidentielle avec 26 %, contre 25 % pour Nicolas Sarkozy
Dans un sondage Ifop pour Marianne révélé jeudi donne Marine Le Pen en tête de la prochaine présidentielle avec 26 %, contre 25 % pour Nicolas Sarkozy
©Reuters

Bipolarisation

Le dernier sondage réalisé par l'Ifop confirme le changement de rôles sur la scène politique française : si nous étions en mai 2017, Marine le Pen serait Présidente de la République française. Au-delà de l'anticipation politique, ce résultat montre également que la gauche a perdu la bataille des idées, et qu'une bipolarisation par le Front National et l'UMP est bien une réalité, elle.

Yves-Marie Cann

Yves-Marie Cann

Yves-Marie Cann est Directeur en charge des études d'opinion de l'Institut CSA.
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Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Malgré ses déboires actuels, l’UMP reste une force politique majeure tandis que le FN lui, continue de progresser à des scores élevés. On le constate encore une fois dans le sondage Ifop pour Marianne révélé jeudi qui donne Marine Le Pen en tête de la prochaine présidentielle avec 26 %, contre 25 % pour Nicolas Sarkozy et 17 % pour François Hollande. Le FN et l’UMP peuvent-ils constituer la nouvelle bipolarisation de la vie politique française, au lieu du traditionnel clivage droite / gauche, ou va-t-on rester sur le paysage actuel, avec trois partis (PS, UMP et FN) en haut de l’affiche ?

Christophe Bouillaud : Certes, on pourrait parier sur un scénario catastrophe pour le PS : ayant appliqué au pouvoir une politique économique et sociale d’inspiration néo-libérale entre 2012 et 2017 (c’est-à-dire le " socialisme de l’offre "), il décevrait définitivement les classes populaires et moyennes, et il s’écroulerait en conséquence électoralement comme le PASOK grec (qui a fait 8% aux récentes européennes), comme les socialistes polonais dans les années 2000, ou comme les socialistes hongrois dans les années 2010, devenant de fait une force marginale dans le pays. On pourrait même imaginer un scénario à la polonaise, où les deux grandes forces politiques seraient désormais un parti de droite national-populiste et un parti de droite euro-libéral, avec une marginalisation durable de la gauche.

Cependant, je ne crois pas ce scénario le plus probable : en effet, même après sa cuisante défaite aux municipales, le PS reste à la tête d’un vaste réseau d’élus locaux, et domine de loin en nombre d’élus locaux toutes les autres composantes de la gauche au sens le plus large du terme (du PRG au NPA). Ce réseau permettra après une éventuelle catastrophe électorale en  2017 de reconstituer une alternative face à une majorité de droite ou d’extrême-droite. Inversement, le FN même s’il arrive au second tour de l’élection présidentielle en 2017 sera toujours un parti peu implanté localement, et, s’il forme l’opposition d’extrême droite d’une majorité de droite, il souffrira sans doute de voir son programme pour partie appliqué par la nouvelle majorité.

Yves-Marie Cann : Avant d’en tirer quelque enseignement, rappelons que l’élection présidentielle est avant tout la rencontre directe entre le peuple et les candidats. Si les étiquettes politiques importent, les personnalités en présence ont autant voire davantage d’importance : l’équation personnelle des candidats potentiels, leurs attributs d’image, la façon dont ils sont directement perçus par les Français, viennent brouiller le rapport de force partisan. On ne peut donc réduire des intentions de vit présidentielles à un simple rapport de force partisan sur étiquettes politiques.


Par ailleurs, plus de trente mois nous séparent de la date prévue de la prochaine élection présidentielle, soit une perspective très lointaine pour les Français. Dès lors, le contexte dans lequel est réalisé l’enquête pèse lourdement. François Hollande pâtit d’une impopularité record, à des niveaux inédits pour un premier mandat. Aussi, nulle surprise à ce qu’il soit aujourd’hui malmené dans des enquêtes d’intentions de vote. Cet état de faiblesse profite mécaniquement à l’opposition, ce qui s’est amplement vérifié dans les urnes lors des municipales et des européennes. Pour autant, personne à gauche ne profite en retour de cet état de faiblesse : bien qu’affaibli, le Parti socialiste reste d’assez loin la principale formation politique de gauche, ni le Front de gauche ni Europe Ecologie Les Verts ne parviennent à capitaliser sur les critiques et le mécontentement exprimés à l’égard de l’exécutif.

Comment peut-on expliquer que le FN et l’UMP se portent aussi bien électoralement, contrairement au PS et plus généralement à la gauche ? Peut-on parler de " droitisation " de la vie politique française ?

Christophe Bouillaud : C’est surtout et avant tout le fait d’être au pouvoir national qui fait souffrir électoralement le PS. L’absence vraiment totale de résultat sur le front économique et social, en particulier en matière de chômage et de pouvoir d’achat, explique largement le désamour des électeurs pour ce parti. En effet, sur le long terme, depuis les années 1970, on observe plutôt une montée en puissance de valeurs de tolérance, plutôt historiquement associées à la gauche, par exemple sur l’acceptation de l’homosexualité. Certes, sur les toutes dernières années, les sondages montrent la montée en puissance d’une demande d’ordre. C’est une demande d’un ordre " libéral ", comme le montre notre collègue Pierre Bréchon, au sens où ce qui se passe dans l’espace public doit être fortement régulé, mais où ce qui est de l’ordre du domaine privé de l’individu ou de la famille doit être respecté au plus haut point : en somme, les Français ne sont pas prêts du tout à tolérer des violences dans la rue, mais ne veulent pas par contre que l’Etat s’arroge le droit de fouiller dans leurs courriels. En somme, les Français ne se droitisent pas au sens où ils voudraient revenir aux mœurs en vigueur en 1950, mais ils veulent moins de désordres dans l’espace public.  Enfin, il faut bien constater que la gauche, tout particulièrement le PS, se trouve en panne de vraies propositions d’avancées sociales, elle se contente de " réformes " inspirées par le consensus néo-libéral en vigueur à Bruxelles. La droite ne fait guère mieux, mais elle se situe plus en phase avec les demandes bruxelloises, et elle n’hésite pas par ailleurs à faire preuve d’imagination en matière de conservatisme musclé. Il ne manque d’ailleurs plus au tableau des idées liberticides qui circulent à droite pour remettre de l’ordre et de l’autorité dans le pays que le rétablissement de la peine de mort pour les assassins d’enfants, les terroristes et autres nuisibles.

Yves-Marie Cann : Les performances électorales du FN et de l’UMP aux élections du printemps doivent beaucoup à la démobilisation de l’électorat de gauche, les sympathisants de droite et d’extrême droite s’étant plus fréquemment rendus aux urnes. Il s’agit d’un phénomène classique, dont a beaucoup profité la gauche et plus particulièrement le Parti socialiste à l’occasion des élections locales entre 2002 et 2012 lorsque la droite étant au pouvoir.

Ceci étant dit, il convient de nuancer la performance électorale de l’UMP. Tout en recueillant davantage de suffrages que le PS aux européennes, l’UMP a non seulement enregistré un score sensiblement inférieur à celui des européennes de 2009 mais a aussi été distancée de plusieurs points par le Front national !

Comment le FN incarne et récupère de fait des pans entiers de la gauche, en terme d'idées comme en terme d'électorat ?

Christophe Bouillaud : Le discours " social " du FN, lié à la critique de l’Union européenne, tend à répondre à la demande de protection des classes populaires et moyennes. Le PS déclare lui-même vouloir défendre ces protections héritées du passé, des années 1880-1970, mais, en pratique, il met en œuvre toute une série de réformes d’inspiration néo-libérale, en lien avec la CFDT et le MEDEF, qui réduisent ces protections et qui ne peuvent que déplaire à cet électorat populaire et moyen. Il ne faut pas ensuite trop s’étonner si l’électorat populaire n’est plus au rendez-vous, s’il s’abstient massivement. L’accent mis sur le " socialisme de l’offre ", l’innovation, le mouvement perpétuel de l’économie, n’est pas de nature à rassurer des personnes peu à même de profiter de la mondialisation. Ce n’est pas un hasard si le FN fait de bons résultats sur toutes les terres de la première industrialisation dans le nord de la France.

Yves-Marie Cann : Il est parfaitement exagéré d’affirmer que le FN incarne et récupère des pans entiers de la gauche, que ce soit en termes d’idées ou d’électorat. Comme je le disais précédemment, les contreperformances électorales de la gauche s’expliquent avant tout par la démobilisation de son électorat, ceci ayant pour effet de favoriser mécaniquement les forces d’opposition dans les urnes. Le FN bénéficie ensuite de deux appoints décisifs pour faire la différence avec l’UMP : les déçus de droite et dans une moindre mesure de la gauche. Lors des élections européennes, d’anciens électeurs de Nicolas Sarkozy et de François Hollande ont ainsi choisi de voter Front national. Mais si cette pratique est significative d’un point de vue statistique elle n’en reste pas moins largement moins importante à gauche qu’à droite.

En revanche, il est tout à fait exact que la gauche est aujourd’hui en train de perdre, si ce n’est pas déjà fait, la bataille des idées auprès de pans entiers de l’électorat, et ce au profit de la droite. Le discours universaliste et égalitariste de la gauche est en effet aujourd’hui très mal vécu voire rejeté par une partie grandissante de la population qui lui reproche notamment de davantage raisonner en termes de minorités que de classes sociales.

Peut-on imaginer à l’avenir la création de deux grands blocs, l’un clairement à droite sur les bases de l’actuel FN, et l’autre de centre-droit, mêlant UMP, UDI voire MoDem ? Si les deux forces politiques majeures du pays étaient le FN et l’UMP, peut-on imaginer des transferts de dirigeants UMP vers le FN, ou de responsables PS vers l’UMP ou vers un nouveau parti de centre-droit ?

Christophe Bouillaud : Comme je l’ai dit, il est peu probable que le PS et la gauche, même après une déroute en 2017, disparaissent de l’horizon. Il y aura plutôt trois blocs : l’extrême-droite, la droite et le centre, et la gauche. Par ailleurs, dans l’histoire de la Vème République, les transferts de personnel politique d’un camp à un autre ont été plutôt rares. On signalera seulement que le pouvoir attire ! Il y aura toujours un marais centriste prêt à faire l’appoint d’une majorité de gauche ou de droite contre de solides rétributions – pensons à l’ouverture en 1988 à la suite de la réélection de François Mitterrand, ou bien à la même tactique choisie par N. Sarkozy en 2007. Remarquons toutefois que ces transferts concernent le plus souvent des personnages marginaux ou en voie d’être marginalisés dans leur propre camp. Cela ne change pas grand-chose en fait à la dynamique politique. Le cas le plus intéressant de recomposition serait de voir ce qui se passerait en cas d’élection de Marine Le Pen à la Présidence de la République en 2017 : il est probable que toute une partie de la base de la droite actuelle essaierait de participer à sa victoire, en particulier lors des législatives suivant l’élection de cette dernière.

Yves-Marie Cann : Une recomposition de l’espace politique français à l’avenir ne pas être exclue mais je doute qu’elle puisse s’opérer de façon brutale, sauf crise politique majeure. Ne sous-estimons pas la capacité de résilience des formations politiques et des grands ensembles électoraux.

De plus, parier sur une disparition de la gauche me semble pour le moins irréaliste : comme la droite, la gauche ne peut être réduite à des appareils politiques ou des personnalités. S’il est devenu de bon ton de dire que la gauche et la droite ne veulent plus rien dire, je constate régulièrement dans nos enquêtes réalisées à l’Institut CSA que se dire de gauche ou de droite ne renvoie pas aux mêmes valeurs au sein de la population. Certes, sympathisants de gauche et de droite se retrouvent sur les fondamentaux (l’attachement à la démocratie, au suffrage université, à la liberté…) mais ils il s’oppose aussi sur d’autres plans structurant en retour le débat politique : le rôle de l’entreprise dans la société, les mécanismes de redistribution sociaux, le rapport à la mondialisation des échanges économiques et culturels…

En haut de l’affiche, le FN et l’UMP vont- ils être amenés à se concurrencer davantage ? Le FN s’en prendra-t-il de plus en plus à l’UMP ?

Christophe Bouillaud : Bien sûr, le sondage que vous citiez ainsi que le résultat des européennes et des municipales ne peuvent qu’attiser la concurrence entre le FN et l’UMP, et cela d’autant plus qu’il existe désormais une ligne de clivage essentielle entre eux : l’Union européenne. Le FN tend à tenir un discours de plus en plus social-national anti-européen, en plus de son propos habituel sur l’immigration. L’UMP peut suivre  comme on dit au poker sur ce terrain jusqu’à un certain point. Elle ne peut pas tenir un discours nationaliste " anti-démocratique " à la Viktor Orban – ce qui serait un peu le choix de Laurent Wauquiez : en effet,  si l’UMP en tant que parti tenait un tel discours, cela s’entendrait trop en Europe, et les partenaires européens s’interrogeraient sur les vrais objectifs de l’UMP: est-il bien sérieux ou ne dit-il ces bêtises " à la manière du FN " que pour complaire à son électorat ?  Le double discours – contre l’Europe à la maison et pour l’Europe à Bruxelles – est de plus en plus difficile à tenir, les gens finissent par vous prendre au mot, David Cameron est dans ce genre de situation absurde : pour flatter son opinion publique eurosceptique, il déparle sur l’Europe, et il s’étonne ensuite d’être marginalisé dans le système européen. Il faut ajouter aux acrimonies entre le FN et l’UMP que les scandales qui émaillent la vie interne de l’UMP constituent l’illustration parfaite du " tous pourris " typique du discours de l’extrême-droite depuis au moins la IIIème République. Le FN n’a même plus besoin de dire grand-chose puisque tout cela illustre sa propre vision du monde.

Yves-Marie Cann : L’évolution du rapport de forces entre le FN et l’UMP dépendra avant tout de la capacité de cette dernière à mettre fin à la crise de leadership qu’elle connaît depuis la défaite de Nicolas Sarkozy en 2012. Le retour de l’ancien Président à la tête de l’UMP pourrait y contribuer mais ne constitue pas en soi une garantie pour contrer la dynamique du Front national qui se nourrit aussi pour partie sur les déceptions engendrées par le quinquennat de Nicolas Sarkozy.

Selon le sondage Ifop, Manuel Valls ne ferait pas mieux avec 17 % et Arnaud Montebourg lui récolterait seulement 10 %. Si cela se confirmait, la gauche peut-elle mourir en 2017 pour reprendre les propos de Manuel Valls ? Une candidature dissidente ou alternative à François Hollande menée par Manuel Valls ou Arnaud Montebourg est-elle envisageable ?

Christophe Bouillaud : Un tel sondage à trois ans d’une élection ne veut pas dire grand-chose en lui-même – mais il confirme simplement le résultat des européennes : le PS est à un étiage très médiocre de popularité. De fait,  si les événements continuent à se produire de manière linéaire par rapport à ce qu’on peut savoir aujourd’hui de la situation économique, politique et sociale du pays, les chances du candidat à l’élection présidentielle de 2017 qui portera les couleurs du parti de gouvernement des années 2012-2017 seront pour le moins réduites. Avec un bilan médiocre, le PS n’a en fait rien à espérer, et je ne vois pas comment d’ici là la popularité de François Hollande aura vraiment remonté si le contexte ne change pas radicalement. La gauche de la gauche voudra sans doute exister, et perdu pour perdu, les écologistes aussi. Donc, sauf rétablissement économique et social spectaculaire d’ici 2017, la défaite de la gauche est probable, on continuera donc la série : 1981 donne 1986, 1988 donne 1993, 1997 donne 2002, et 2012 donne 2017. Les jeunes prétendants à la présidence feront donc mieux de passer leur tour en 2017, et de laisser F. Hollande assumer seul son bilan.   

Yves-Marie Cann : De par les fonctions qu’ils occupent aujourd’hui, Manuel Valls et Arnaud Montebourg sont nécessairement associés au bilan de François Hollande. Etant donné les jugements suscités par l’action présidentielle et l’absence de résultats tangibles sur le front économique, nulle surprise à ce qu’ils n’apparaissent pas, aujourd’hui, en mesure de faire mieux que le Président en exercice dans la perspective de la prochaine présidentielle. Sauf à ce qu'ils saisissent un jour l'occasion de marquer leur différence par rapport à François Hollande, par exemple en théorisant la rupture comme l'avait fait Nicolas Sarkozy avec Jacques Chirac, une candidature de l'un ou de l'autre me semble peu envisageable.

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