Tribune
La Gare du Nord, ou la nouvelle querelle d’Hernani
Personne n'a échappé à la polémique sur le futur aménagement de la gare du Nord. D’un côté, un groupe d’architectes renommés dénonce un projet « pharaonique » qui sacrifierait l’intérêt des voyageurs à des intérêts commerciaux. Les rédacteurs de la tribune publiée par Le Monde n’hésitent pas à parler de « grave offense ». D’un autre côté, les auteurs du projet, Valode et Pistre, défendent une conception de la gare ouverte sur la ville. Ce débat prend les allures d’une nouvelle querelle d’Hernani entre les anciens et les modernes.
Éric Verhaeghe
Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.
Du projet de la gare du Nord et de son réaménagement, on retiendra que la polémique tient à un choix fondamental: la gare a-t-elle ou non vocation à demeurer un espace clos, comme un appendice greffé sur la ville entièrement dédié à sa fonction ferroviaire, ou doit-elle ajouter à la « mobilité » des fonctions utiles à son environnement urbain, et spécialement aux habitants du quartier?
Un espace fermé sur lui-même
Aujourd’hui, la gare du Nord est un espace clos sur lui-même, séparé de la ville par des voies d’accès franchies seulement par les voyageurs et par quelques trafiquants qui font la mauvaise réputation du lieu. Tout le monde a en mémoire les rixes qui perturbent régulièrement la tranquillité publique de la « GDN », spécialement dans les salles souterraines dédiées au RER.
D’entre toutes les gares parisiennes, la gare du Nord est la plus mal famée, la plus sombre et sans doute la plus inquiétante. On ajoutera qu’elle est aussi celle dont l’architecture est la plus défigurée. Alors que le voyageur qui arrive à la gare de Lyon peut profiter d’une superbe mise en scène intérieure, celui qui arrive à la gare du Nord n’a pas la même chance: la façade intérieure de Hittorff est dissimulée par un amoncellement de passerelles et d’édicules qui rendent l’ensemble illisible.
Le quasi-doublement des flux dans le laps 2001-2030 rend urgent un réaménagement, mais interroge fortement sur les options prises à long terme. La SNCF veut-elle préserver la solitude arrogante de ses gares dans l’espace urbain, ou veut-elle les intégrer à la vie des habitants?
Une chance pour un quartier déstructuré
Le projet Valode et Pistre a ceci d’original qu’il se propose de rompre avec une tradition séculaire des chemins de fer français en mettant à disposition, au sein de la gare elle-même, des services utiles aux habitants. Il intègre en effet des équipements culturels et sportifs, des espaces verts qui dynamiseront le quartier et tourneront le dos à cette étrange rupture entre le tissu urbain et la fonction ferroviaire, transformant aujourd’hui la gare en un volume pour ainsi dire extra-territorial qu’il faut au mieux contourner pour reprendre le fil des rues et des commerces.
À juste titre, les détracteurs du projet ont plaidé en faveur des espaces commerciaux de Seine-Saint-Denis, qui entreraient en concurrence avec le projet de la gare du Nord. Mais ceux qui connaissent le boulevard Magenta, le faubourg Saint-Denis ou le quartier de la Chapelle peuvent témoigner des dégâts et des ruptures sociales que la gare du Nord introduit aujourd’hui dans la cohésion parisienne. Il n’y a pas de raison pour que les habitants de ces quartiers déshérités ne soient pas eux aussi pris en compte et ne bénéficient pas eux aussi d’un projet porteur.
Sur ce point, Valode et Pistre proposent une rupture de tradition. Ils assument d’ajouter à la mobilité d’autres fonctions collectives pour la gare. Au-delà des polémiques idéologiques, le débat ne porte pas sur autre chose que cette rupture-là.
La mobilité sous contrainte
Pour le reste, on reproche à Valode et Pistre d’obliger les voyageurs à passer par le centre commercial avant d’accéder aux voies. Le problème ne se pose pas exactement dans ces termes.
En 2030, 900.000 personnes devraient fréquenter la gare chaque jour, contre 500.000 en 2001. Faut-il livrer ces voyageurs à l’ennui et les entasser sur des quais bondés ? Ou faut-il leur proposer des espaces respirables en attendant leur train ?
La réponse est dans la question, bien entendu. La mobilité collective a ses contraintes qu’il faut aborder de façon raisonnable.
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