La France va-t-elle connaître une explosion du travail au noir ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Un retraité sur cinq complète ses revenus par du travail au noir.
Un retraité sur cinq complète ses revenus par du travail au noir.
©Reuters

Bienvenue sur le marché noir

Un retraité sur cinq complète ses revenus par du travail au noir. Ce recours à l'économie parallèle est-il le résultat de la crise et de la hausse de la fiscalité ou d'un problème plus global ? Les seniors ne sont dans tous les cas pas les seuls concernés par cette réalité.

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul est économiste et professeur à l'université Toulouse I.

Il est l'auteur du rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) intitulé Immigration, qualifications et marché du travail sur l'impact économique de l'immigration en 2009.

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Atlantico : D'après une étude de l'Acoss (la banque de la Sécurité sociale), le pourcentage de retraités travaillant au noir est de 21,4 %. Touchés par la crise et la hausse de la fiscalité, ces derniers complètent leur pension par des petits boulots. Hormis les retraités, la crise va-t-elle conduire à une explosion générale du travail au noir ? Quels seront les principales catégorie visées ? Pourquoi ?

Gilles Saint-Paul :Les économistes qui se sont récemment penchés sur la question ont du mal à détecter une influence de la crise sur le travail au noir. Ce n'est pas surprenant car si le nombre de chômeurs, retraités, ou employés prêts à travailler au noir pour arrondir leurs fins de mois augmente en période de crise, la demande pour ce genre de travaux diminue. Les services à domicile, par exemple, sont sans doute l'un des premiers postes sur lesquels les ménages feront des économies. De même, il est plus facile pour une PME de se débarrasser de ceux qu'elle emploie au noir, ou de réduire les heures supplémentaires non déclarées, que de licencier formellement des travailleurs en CDI. In fine, l'économie parallèle suit une tendance structurelle lourde peu sensible à la conjoncture, et qui dépend essentiellement du niveau et de la structure de la fiscalité. Par exemple il est évident que l'explosion de la fiscalité sur le tabac est en train de stimuler une activité de contrebande, activité qui n'existait pas auparavant. De même lorsque le chèque emploi service a été introduit, les autorités ont jugé bon d'exonérer la quasi-totalité des charges sociales pour ce type de services, parce qu'elles pensaient que l'incitation à déclarer l'employé était très sensible à la fiscalité--ce n'est au prix de ces concessions fiscales qu'on a pu résorber les services à domiciles non déclarés.

En ce qui concerne les retraités ils sont disponibles et bien d'entre eux s'ennuient. Il est donc tout naturel qu'ils aient une activité complémentaire et dans bien des cas celle-ci serait déclarée s'il existait des formes de contrats flexibles adaptés à leur situation spécifique. Dans la mesure où le retraité bénéficie d'un revenu plancher, sa demande de protection de l'emploi supplémentaire est faible et on pourrait envisager des contrats de travail à durée et temps de travail entièrement négociables entre le retraité et son employeur, et exonérés de cotisations sociales parce que n'ouvrant aucun droit supplémentaire. Bien entendu de tels contrats seraient tellement avantageux pour les employeurs qu'ils se bousculeraient au portillon pour recruter des retraités, ce que les syndicats verraient d'un mauvais oeil. Mais une telle mesure éliminerait certainement l'incitation des retraités à travailler au noir, augmenterait le taux d'activité des séniors et procurerait à l'Etat de précieuses rentrées fiscales.

De nouvelles catégories, comme les cadres, peuvent-elles être concernées ?

C'est peu probable étant donné la difficulté pour les cadres d'occulter leur activité. Mais on peut s'attendre, à cause de la hausse séculaire de la pression fiscale sur les classes moyennes, à l'augmentation de différentes formes d'externalisation pour les cadres: auto-entrepreneuriat, délocalisation des contrats de travail à l'étranger, etc. 

La situation actuelle est-elle comparable à celle des pays du sud de l'Europe ?

Il est très difficile d'estimer la part de l'économie parallèle. Mais d'après les études existantes la part du travail au noir en France serait en moyenne entre 10 et 15 %, ce qui est inférieur aux chiffres trouvés pour l'Espagne, l'Italie ou la Grèce qui se situeraient plutôt vers 20-25 %. 

Quel est actuellement le manque à gagner pour l’État ? Les employeurs y trouvent-ils leur intérêt ?

Je pense que le manque à gagner pour l'Etat est faible. Peut-être même qu'il s'y retrouve, car beaucoup de ces transactions n'auraient pas lieu si elles devaient être déclarées, parce que trop coûteuses, et les revenus correspondants alimentent tout de même les caisses de l'Etat à travers les impôts indirects comme la TVA et la TIPP.

Dans un contexte social très difficile, le travail au noir n'est-il pas un moindre mal ? Joue-t-il un rôle d'amortisseur social ?

Sans aucun doute. Mais s'il se développe trop la France risque de pâtir d'un syndrôme "grec", à savoir une courbe de Laffer plus défavorable que par le passé qui la contraindrait à des choix budgétaires douloureux parce que la hausse des taux d'impositions n'engendrerait pas de recettes suffisantes à cause de l'importance de l'économie parallèle.

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