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La France peut-elle faire face aux conflits ?
La France peut-elle faire face aux conflits ?
©Reuters

Ambition excessive

François Hollande veut faire de la France le pivot de la défense européenne. Sauf que la réduction des moyens et les nombreux théâtres d'engagement extérieur posent des limites qu'il sera bien en peine de repousser.

Christian Malis

Christian Malis

Christian Malis est spécialiste de stratégie militaire. Ancien élève de l'Ecole normale supérieure, docteur en histoire, il est notamment l'auteur de Guerre et stratégie au XXIe siècle chez Fayard. 

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Atlantico : François Hollande, lors de sa conférence de presse de ce jeudi 5 février, a affirmé vouloir faire jouer à la France un rôle toujours plus important en matière de défense européenne. Derrière ce volontarisme, la France a-t-elle réellement les moyens nécessaires pour intensifier un peu plus son rôle dans le domaine, elle qui peine à mobiliser des hommes et des équipements sur ses différentes zones d'opérations extérieures ?

Christian Malis : Les forces armées françaises sont en situation de surexploitation. Si on prend un peu de recul, il y a déjà eu un précédent en 1945-46. Les dépenses avaient dû faire une pause stratégique, ce qui entraîna d'ailleurs la démission du général de Gaulle. On voulait à l'époque redéfinir ce que sont les missions stratégiques de l'armée. C'est le même exercice aujourd'hui. L'armée française doit en effet profiter de l'opportunité historique de ne plus être soumise, pour la première fois de son histoire, à une menace continentale de grande envergure, et contribuer à être une force stabilisatrice de l'arc de crise allant de la Mauritanie au Caucase. Effectivement vu les moyens actuels, en demander plus – avec par exemple une intervention en Libye ou contre Boko Haram – je ne vois pas comment cela pourrait se faire. 

Lire également : Quand François Hollande voulait réinventer la puissance franco-allemande : à vous les usines, à nous les soldats… mais les Allemands ont-ils besoin de ça pour se sentir puissants ?

Suite aux attentats de Paris, François Hollande a envoyé un premier signal timide pour ralentir dans un premier temps l'amaigrissement des effectifs de la défense. Après sa prise de position de ce jeudi matin, peut-on espérer un vrai renforcement de notre force armée ? Est-ce seulement possible, budgétairement ? 

On dit souvent que la France "fait ce qu'elle peut" dans une situation de contraintes économiques qui s'imposent à nous. Je récuse cette argumentation. Ce sont des choix politiques qui font peser la contrainte armée sur la défense plutôt que sur d'autres secteurs. 60% des suppressions dans la fonction publique d'Etat se font au ministère de la Défense qui ne représente que 13% des effectifs. Donc les choix faits ne vont pas de soi. La France ne consacre plus qu'1,5% de son PIB à la défense. Il n'y a pas de contrainte économique, il n'y a que des choix délibérés.

Quels sont aujourd'hui nos moyens, en termes d'appareil, pour mener nos actions ?

L'armée de l'air tourne autour de 225 appareils, ce qui représente pratiquemenent une baisse de 50% par rapport à il y a vingt ans. La Russie en programme 600, l'Inde va en acheter au moins 126... Nous sommes donc en situation d'érosion dans le domaine par rapport à des pays en reconstitution de leurs forces, ou même des pays émergents. La Marine s'est mieux renouvelée, nous avons maintenant une centaine de navires, dont 25 de premier rang, ce qui n'est pas si mal. Nous sommes a priori passé devant le Royaume-Uni, non pas en tonnage, mais en nombre d'unités de premier rang. C'est sans doute la première fois depuis des siècles... Quant à l'armée de Terre, on a coutume de dire qu'elle tient dans deux stades de France. Au rythme où nous évoluons, elle ne tiendra bientôt plus que dans le stade Charléty... 

Engagés sur plusieurs fronts à l'extérieur, fortements mobilisés par le Plan Vigipirate monté au niveau "attentat", quelles marges de manoeuvre avons-nous concrètement aujourd'hui pour agir ? Et y a-t-il justement des domaines où, malgré les effets d'annonce, nous n'assurons plus nos missions ?

La situation avec l'opération Barkhane est très complexe : vu l'espace à couvrir et les forces en présence, nous sommes limités à de grands raids, des embuscades de grande ampleur, mais nous ne pouvons pas faire davantage car nous sommes à la limite de nos capacités. En Irak, nous sommes certes présents, mais seulement avec 800 hommes. Voulons-nous être là symboliquement pour des raisons politiques, ou souhaitons-nous vraiment combattre Daech dans son antre ? Dans le deuxième cas, il est évident qu'il faudrait bien plus de forces sur place. La question va se poser enfin dans l'application de nos forces sur notre territoire national. Nous avons mobilisé 10 000 hommes supplémentaires dans le cadre du contrat de protection. Il me semble difficile d'engager des forces de manière plus massive dans les années qui viennent, d'autant que le timing politique des interventions à l'intérieur de nos frontières est plus rapide et exigeant. Je rappelle qu'en termes de renseignement, nous avons 3000 cibles à surveiller, il faut 20 personnes mobilisées par cible et nous n'avons que 13 000 agents. On est déjà dans la saturation. Nos forces d'intervention anti-terroriste, elles, sont constituées de 1200 hommes, il en faut 120 pour neutraliser une personne.

La France se veut le pilier de la défense européenne. Mais est-elle vraiment la première puissance militaire européenne ? Comment nous positionnons-nous par exemple face au Royaume-Uni, l'autre puissance militaire (et nucléaire) de l'UE ? 

La France reste la principale puissance militaire en Europe de l'Ouest. Le Royaume-Uni a connu un vrai déclassement stratégique. A chaque opération, nous sommes surpris du faible nombre d'appareils que ce pays peut mobiliser (et notamment pour la Marine comme je vous l'ai évoqué). Quant à leurs forces spéciales, elles agissent plutôt comme supplétifs aux forces américaines. Il y a enfin des domaines qu'ils ne maîtrisent absolument pas, comme le renseignement spatial, dans lequel ils dépendent totalement des Etats-Unis. La France est encore un leader européen, et il est dommage que nous n'en profitions pas pour consolider cette position.  

L'armée française a constitué une "task force" pour lutter contre le djihadisme sur le web, en traquant les profls poussant à l'action violente et en essayant de décrypter les discours d'endoctrinement. D'autres pays, là encore le Royaume-Uni, semblent plus en avance sur la question. Leur supériorité sur la "guerre numérique" peut-elle les amener à être les leaders d'une lutte que nous ne pouvons pas diriger ? 

Le Royaume-Uni a en effet annoncé la création d'une brigade de 1000 personnes, mais ils incluent dans ce chiffre les réservistes. Il y a donc un effet d'annonce "marketing" évident. La France commence aussi à se développer sur les opérations d'influence, la surveillance des réseaux, bien intégrées maintenant dans la doctrine inter-armées. Après, la France n'a effectivement pas vraiment de structure dédiée et mise en avant par une communication spécifique. Et dans l'absolu, la surveillance est bien sûr un domaine important, mais il reste périphérique quand on pense que Daech représente aujourd'hui 15 000 hommes. Le Royaume-Uni est donc loin de résoudre le problème grâce à sa seule brigade de surveillance Internet.

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