La France, ses émeutiers et ses bugs d’intégration : quelques vérités bien senties venues du Maghreb<!-- --> | Atlantico.fr
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Salah El Gharbi a publié un texte intitulé "La France, la horde de saccageurs et nous".
Salah El Gharbi a publié un texte intitulé "La France, la horde de saccageurs et nous".
©Bertrand GUAY / AFP

Rancoeur

Des voix se sont élevées au Maghreb pour déplorer la rancœur existante et visible envers l'Etat français. Parmi elles, le journaliste tunisien Salah El Gharbi, qui analyse les émeutes qui ont touché la France.

Salah El Gharbi

Salah El Gharbi

Salah El Gharbi est tunisien, universitaire, professeur de littérature française, il travaille essentiellement sur les textes de théâtre. Il est aussi romancier.

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Atlantico : Vous venez de publier un texte, « La France, la horde de saccageurs et nous ». Quel message vous vouliez faire passer avec cette tribune ? Que vous inspirent les émeutes en France ?

Salah El Gharbi : J’ai remarqué que les journalistes, qui devraient normalement éclairer la population, essaient de courtiser les gens en leur donnant ce qu'ils veulent entendre, plutôt que de les informer objectivement de la complexité de la situation réelle. Nous avons une presse mal formée qui informe mal qui préfère satisfaire la majorité plutôt que de faire un travail sérieux d'enquête et d'analyse. Cela renforce vraiment l'opinion publique, qui est déjà vulnérable, car elle ne cherche pas à remettre en question et à comprendre, mais plutôt à accepter des réponses toutes faites. L'Occident est souvent stéréotypé comme nous détestant et étant raciste. Ce sont des opinions préconçues avec lesquelles nous vivons au quotidien.

Cette opinion négative de la France, terre de « hogra » pour certains, d'où vient-elle, selon vous ?

Ce n'est pas spécifique à la France, mais plutôt à l'Occident de manière générale. Macron a parlé de décivilisation, mais cela ne correspond pas à la réalité fondamentale. En ce qui concerne la question des enfants des cités, il s'agit d'une question ethnique. Ces enfants et leurs parents appartiennent à une culture où l'autorité est souvent associée à la brutalité et à la violence. Chez nous, nous admirons la force, nous admirons Poutine, nous admirons la Corée, nous admirons l'Iran, pourquoi ? Parce qu'ils font face aux Américains, qui représentent l'Occident. Paradoxalement, nous préférons néanmoins aller en Occident plutôt qu'ailleurs, principalement pour profiter des largesses et de la tolérance et de ce qui, à nos yeux, au Maghreb, représente des signes de laxisme, c'est-à-dire des pays où il y a une certaine « faiblesse » dans la manière de se comporter envers eux. Donc, ils ne peuvent pas s'imaginer rêver d'aller en Russie, même s’ils admirent l'armée et la force russe, etc. C'est donc une donnée historique et une méfiance envers ce qui n'est pas comme nous, avec le sentiment de persécution, d’où la victimisation. J'ai l'exemple de deux enfants dans une cour d'école française. Si l'un d'entre eux demande à l'autre « pourquoi fais-tu cela à moi qui suis comme toi », en référence à leur origine maghrébine commune. Cette phrase, prononcée par un enfant, me trouble particulièrement. Cela montre la façon dont la famille éduque et protège l'enfant. C’est important d'assumer la probité nécessaire pour le guider et le protéger. J'ai écouté la mère de Nahel, et je compatis avec elle, car une vie est une vie et personne ne devrait y mettre fin ainsi. Et rien ne justifie le comportement du policier. Cependant, en écoutant attentivement cette femme, je sens aussi sa fragilité. Je comprends pourquoi son fils se comporte de cette manière, comme un marginal, cherchant à défier l'ordre. Sa fragilité est visible dans sa façon de parler et de s'exprimer. Je ne formule aucune accusation envers elle, mais peut-être devrait-elle un jour réaliser sa part de responsabilité dans cette tragédie, car elle n'a pas su protéger son fils. C'est extrêmement important, car les parents sont là pour protéger leurs enfants, en leur inculquant des valeurs : ce que ça veut dire respecter l'ordre, comment se comporter dans l'espace public, etc. Ce sont des choses que les parents doivent inculquer à leur enfants. S’ils ne le font pas, c’est sans doute qu’ils sont absents ou indifférents.

Ceux qui mettent l'accent sur les conditions matérielles, la pauvreté, les cités fermées, etc., ce n'est pas cela, selon moi. On cherche à éviter la vraie question, la vraie question, car on veut rester politiquement correct, ne pas heurter, ne pas remuer les choses. Certains parents n'arrivent pas à comprendre qu'un enfant ne peut pas rester dehors au-delà d'une certaine heure, qu'il ne peut pas faire tout ce qu'il veut, car il n'est pas libre.

Je pense qu’il ne faut pas trop laisser dire que le policier a agi par racisme, en tout cas je ne pense pas que ce soit le cas. Je sais comment vivent les gens d’origine maghrébine dans les cités. Il y a une délinquance importante et inquiétante. Mais j’ai un ami dont les enfants sont gendarmes, infirmières ou étudient le droit. Ils sont bien intégrés et ce, alors même qu’il était peu éduqué. Mais il a su protéger ses enfants, grâce à l’école, grâce à une surveillance acérée de ses enfants.

Et face à ce mépris de l’Occident et de la France, que faire ?

Ce n’est pas du mépris, mais de la rancœur. J’ai écrit un livre publié chez l'Harmattan sur la question palestinienne, intitulé "La cause palestinienne : cette malédiction arabe". J'ai démontré comment, de manière générale, les gens sont tellement obsédés par la question palestinienne qu'ils perdent véritablement leur boussole et confondent les choses. Cela est dû au fait que l'Occident est souvent accusé d'être davantage en faveur d'Israël, ce qui suscite des sentiments de haine envers lui. Il y a cette image qui se construit, selon laquelle ils sont contre nous. Par exemple, un Tunisien considère que les Algériens ou les Libyens sont aussi "nous", alors qu'en réalité, obtenir la nationalité tunisienne est très difficile, même pour les Arabes. Ils sont souvent considérés comme des étrangers, contrairement à la situation en France, par exemple, où il y a plus de facilités (bien que tout soit relatif). Beaucoup de personnes ont obtenu la nationalité française simplement parce qu'elles ont vécu en France pendant un certain nombre d'années, tandis qu'un Arabe peut rester toute sa vie ici sans l'obtenir. Cela n'est pas compréhensible pour eux. Il y a chez eux une forme de sentiment intermédiaire où ils éprouvent à la fois de la haine et du désir envers la France, en même temps. Alors voilà, ils sont séduits, ils aimeraient bien y aller, etc. mais en même temps, ils ressentent une certaine animosité envers l'Occident. C’est irrationnel mais cela persiste.

Qu’est-ce qui explique, selon vous, cette logique du eux contre nous ?

Pour la petite minorité, active, que cela concerne, c’est le système. Je pense que c'est un certain décalage, une contradiction entre les valeurs que certains conservent en eux, celles auxquelles ils tiennent, et le système général sur lequel est basée la République française: le droit, une notion de droit très importante, une notion qui n'est pas forcément intégrée. Ce n'est pas la même réaction avec la police lorsqu'ils sont au Maghreb ou en France. Chez nous la police, c'est l’autorité et qui dit autorité dit violence. En France, il y a une certaine crainte, non pas parce que le policier va me frapper, mais parce qu'il y a une loi et je ne dois pas la transgresser, sinon je serai en difficulté. Ce n'est pas une question de force, mais une question d'ordre. Cet ordre est basé sur le droit. Or, pour certains, c'est justement la force qui leur permet de dominer, et non pas le respect des règles qui va les protéger. Ils ont acquis cette idée de force, c'est ce qu'ils expliquent, ce qu'ils comprennent, enfin, voilà ce que je veux dire. Est-ce que je suis clair ou pas ? Non.

Même les enfants, lorsqu'ils retournent dans leur pays, que ce soit en Algérie, au Maroc ou en Tunisie, ne se comportent pas de la même manière. Ils ne peuvent pas se permettre les mêmes choses, car ils savent qui est le patron. Alors qu'en France, ils ne craignent pas le droit. Pire, ils se sentent presque protégés, car il y a des associations qui en font leur commerce. A gauche, beaucoup désapprouvent ce qui se passe mais politiquement, ils ont besoin de cette clientèle. Ils n'aiment pas les islamistes, mais ils ont besoin d'eux, ils ne veulent pas être contre. Mélenchon courtise clairement cet électorat. Et leurs adversaires font également de la surenchère pour courtiser le camp adverse, pour résumer, c'est la peur.

Et à quel point vous pensez qu'on paye des discours qui nourrissent le sentiment victimaire, le ressentiment ?

Les associations ont un discours bien calibré, formaté. Si un policier est confronté à un immigré, selon eux, c'est le policier à 100% qui a tort, alors que d'autres diront le contraire. Donc, il n'y a pas de voix dominante qui soit dans la nuance, qui cherche à aborder la question dans sa globalité et à s'adresser au bon sens des gens, plutôt que de chercher à courtiser un camp ou l'autre. Il faut trouver des solutions et ne pas aggraver la situation. Aujourd'hui, on constate que certaines personnes cherchent à attiser les tensions, tandis que d'autres cherchent plutôt à se mettre du côté de l'ordre à tout prix.

Cependant, je pense que, au fond, la situation n'est pas si dramatique que ça, car je suis convaincu que c'est une minorité agissante. Il y a une différence entre les enfants d'aujourd'hui et ceux d'il y a quelques décennies, car les parents sont aujourd'hui plus matures socialement et ont connu des situations différentes. Mais il reste encore beaucoup à faire, mais pas en cédant, car céder reviendrait à encourager. Et ne rien faire donne le sentiment qu’on est faible.

Si justement, ce n'est qu'une minorité est agissante et qu'il y a une majorité silencieuse, comment on fait face à ce phénomène ?

Il faut cibler les populations, les structures fragiles, pour les aider avec des assistantes sociales, des spécialistes pour permettre à ces familles de comprendre qu’elles sont responsables de leur chair et qu’elles doivent agir en conséquence. Il faut comprendre qu’aimer son enfant n’est pas suffisant, qu’il faut accomplir ses devoirs parentaux. Il faut en tout cas changer de méthode. Il faut de la prévention mais aussi de la sévérité.

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