La France et son électricité : une production stable depuis 20 ans et bas carbone depuis les années 80 (Partie 3)<!-- --> | Atlantico.fr
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La production électrique Française est globalement stable depuis 2005, oscillant autour de 550TWh, elle n’a jamais été inférieure à 500TWh depuis l’an 2000 environ.
La production électrique Française est globalement stable depuis 2005, oscillant autour de 550TWh, elle n’a jamais été inférieure à 500TWh depuis l’an 2000 environ.
©Damien MEYER / AFP

Energie

Cette série de 4 articles vise à proposer un grand récapitulatif de la situation de la France vis-à-vis de l’énergie qu’elle consomme.

Clovis  Didry

Clovis Didry

Clovis Didry est enseignant de SVT et vulgarisateur scientifique - diplômé en aménagement du territoire et transition écologique de l'université Paul Sabatier.

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Après avoir fait un point général sur l’énergie en France et zoomé sur les énergies fossiles, parties que je vous conseille de lire avant d’attaquer ce papier, passons au nerf de la guerre de cet hiver j’ai nommé la production électrique Française : historique, chiffre clés et perspectives.

La crainte, légitime, de coupures tournantes cet hiver montre bien à quel point l’électricité est indispensable à nos sociétés. Le nombre de machines de notre quotidien fonctionnant à l’électricité est indénombrable et elle est au cœur des débats énergétiques en France depuis une quinzaine d’années.

Une production stable depuis 20ans et bas carbone depuis les années 80

La production électrique Française est globalement stable depuis 2005, oscillant autour de 550TWh, elle n’a jamais été inférieure à 500TWh depuis l’an 2000 environ !

Sa production a été multipliée par 3 depuis 1975 grâce l’essor du parc électronucléaire au détriment du parc thermique classique (pour beaucoup au fioul). En parallèle de nombreux usages se sont électrifiés, plus qu’ailleurs, comme le chauffage domestique ou certains procédés artisanaux et industriels. Vous noterez que la production hydroélectrique est globalement constante et que les nouvelles énergies renouvelables intermittentes (ENRi, éolien et photovoltaïque) mordent sur le nucléaire depuis une grosse dizaine d’années.

Source : statistiques.developpement-durable.gouv.fr

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1700 TWh d’énergie finale consommée en France chaque année, mais de quelles sources les tirons-nous ? (Partie 1)

Cette électricité est consommée par les ménages (environ 40%, pour l’électroménager, l’éclairage, le chauffage…), l’industrie (20%), les autres entreprises (35%). Si la consommation a augmenté entre 1990 et 2012, elle est stable depuis 10ans sauf l’année du COVID.

Source : statistiques.developpement-durable.gouv.fr

La France est plus électrifiée que ses voisins notamment du fait d’un coût du kWh inférieur

Quand j’affirme que la France est davantage électrifiée que ses voisins ce n’est pas gratuit : si nous nous comparons avec l’Italie et le Royaume-Uni (qui ont une population comparable), tous deux consomment moins de 320TWh d’électricité à des niveaux assez stable pour les transalpins mais orientés à la baisse pour les anglais.

   Source : iea.org/countries

Ceci s’explique notamment parce que les Français payent historiquement leur électricité moins chère que leurs voisins au niveau de vie comparable. C’est encore vrai aujourd’hui et ça l’est depuis longtemps. L’explication est simple : centrales nucléaires, ENRi, hydroélectricité sont des moyens de production cher à construire mais peu cher à exploiter pour faire simple car l’eau, le vent, le soleil sont gratuits et l’uranium ne représente pas grand-chose dans le coût du kWh. De plus les installations nucléaires et hydroélectriques de notre pays sont suffisamment anciennes pour que leur coût de construction ait été amorti. A l’inverse une centrale à énergie fossile est peu chère à construire mais chère à exploiter car il faut lui apporter du combustible en grand quantité avec des coûts pouvant être très élevés suivant la situation du marché international.

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Historiquement, la France exporte de l’électricité à tous ses voisins

Vous aurez remarqué que production et consommation ne sont pas égales : c’est parce que la France est historiquement exportatrice nette d’électricité. En effet la France importe par moment, notamment pour passer la pointe hivernale, mais au global elle exporte et à tous ses voisins, notamment l’Italie, le Royaume-Uni et l’Allemagne, pour un total de 60 à 80TWh par an en moyenne.

Données brutes : Service des données et études statistiques (SDES) – Graphique : Clovis DIDRY

La consommation électrique française est plus sensible à la météo qu’ailleurs en Europe

En effet on constate que sur une semaine d’Hiver ou une semaine d’été, la consommation est radicalement différente. Plus il fait froid, plus on consomme : on parle de thermosensibilité du système. Chaque degré perdu fait gagner des GW de puissance appelée plus ici qu’ailleurs en Europe. Observez le nuage de points noirs sur la figure 4 et violets sur la figure 5, passer de 20° à -5° fait doubler la consommation Française là où la consommation Espagnole par exemple est très stable. C’est pour cela que les vagues de froids sont particulièrement craintes cet hiver en France, car elles appellent beaucoup de courant dans une période de pénurie.

Source : energy-alternatives.eu - Variabilité de la consommation électrique et thermosensibilité

Ceci est dû au chauffage notamment, davantage électrifié qu’ailleurs. Regardez la différence entre une semaine en aout et une en janvier. On remarque déjà la différence des imports/exports, mais surtout la consommation globale qui plus que double par moment (ici janvier et aout 2021) ! Remarquez enfin qu’en été nous n’utilisons pratiquement pas d’énergies fossiles pour produire de l’électricité, à l’inverse de l’hiver.

Source : RTE Eco2mix

On remarque aussi 2 gros pics : un le matin et un le soir avec un creux dans la nuit et l’après-midi. Ces creux correspondent aux moindres consommations des ménages ou/et des entreprises. Il est très visible.

N’hésitez pas à vous amuser à regarder les profils de consommation à différents moments de la journée ou de l’année, c’est très instructif sur les grandes caractéristiques de la consommation électrique en France. Les captures d’écrans proposées ici proviennent de l’application de RTE ECO2mix, gratuitement téléchargeable sur votre smartphone.

Source : RTE Eco2mix

Revenons aux pointes hivernales : elles peuvent atteindre plus de 100GW de puissance appelée (soit 100 réacteurs nucléaires à pleine capacité, or nous en avons 56. Fort heureusement nous avons d’autres moyens de production) comme lors de l’hiver 2012 qui a vu le record historique de consommation établis le 8/02 entre 16h et 19h30 à 102GW. Ce sont les moments complexes à passer, vous y repenserez cet hiver si les coupures tournantes deviennent réalités. Ce sera à cause de ces pointes qui auront été trop forte pour les capacités de production et d’importations.

Source : RTE ECO2 mix

Si la puissance installée de moyens de production a augmentée, la puissance pilotable s’est réduite en 10 ans ce qui n’est pas sans risque.

En temps normal pour éviter ça nous comptons sur différents moyens de production répartis comme suit dans notre mix de la 2021. Si la puissance installée a augmenté, la puissance fossile a largement baissée (sauf le gaz) au contraire de la puissance ENRi. Ainsi au global, la puissance pilotable, c’est à dire que l’on peut appeler au besoin à tout moment, a diminué, ce qui n’est pas sans poser problème. Nous le voyons cet hiver.

Source. wikipedia.org

En effet, la production ENRi étant intermittente, elle peut être totalement absente ou presque lors des pics de consommation hivernaux notamment. La tendance est la même partout en Europe comme l’a révélé, inquiet, France stratégie dans un récent rapport. La tendance est partout la même en Europe : les capacités pilotables (fossiles et nucléaires) sont fermées et laissent place à des énergies renouvelables intermittentes sans anticiper un stockage éventuel d’électricité.

Source : strategie.gouv.fr

Au passage, ce stockage ne peut, à ce jour, qu’être fait sous forme de pompage d’eau dans des barrages particuliers appelés STEP (station de transfert d’énergie par pompage).

Source : connaissancedesenergies.org

La situation peut très vite devenir ingérable si la puissance appelée est supérieure à la puissance disponible car la production des sources d’intermittentes serait faible (une nuit sans vent lors d’un anticyclone hivernal par exemple)… Comment gérer cette difficulté ? Ca va du délestage à un blackout si la «flexibilité de la demande» est insuffisante (le décalage de certaines consommations par exemple, lors des heures creuses notamment).

Source : strategie.gouv.fr

Note : Les prévisions de ces 3 graphiques sont notamment basées sur la PPE qui prévoit toujours la fermeture de nombreux réacteurs d’ici 2035… Il semble cependant probable que celle-ci soit révisée compte tenu des récents évènements.

L’électrification des usages énergétiques fait consensus pour décarboner nos sociétés

Nous l’avons vu dans la partie 1, il fait aujourd’hui quasiment consensus que la transition énergétique implique une hausse de la consommation, donc de la production sauf à laisser les autres produire à notre place, d’électricité. Même Negawatt ne parle plus dans son scenario de 2022 de beaucoup baisser l’électricité.

Or si vous avez suivi, on nous parle de sobriété, de baisser la consommation d’énergie… D’ailleurs tous les plans présentés en partie 1 prévoient de baisser la consommation d’énergie finale. Ça peut paraitre contradictoire, sauf que non. En France, on parle beaucoup –trop – de l’électricité quand on parle d’énergie. Comme s’il n’y avait qu’elle. Sauf que nous avons vu que c’est faux. N’oublions pas que le but de cette transition est d’atteindre la neutralité carbone en sortant des énergies fossiles, en étant plus sobre… L’électricité a un atout dans cette bataille : elle est «facilement» décarbonable, en tout cas bien plus que les carburants liquides ou les combustibles des centrales thermiques. Hydroélectricité, Eolien, Photovoltaïque, Nucléaire sont en effet autant de modes de production peu carbonés dont la technologie est maitrisée.

Source : EDF.fr

Note: le GIEC retient 12g CO2eq/kWh pour le nucléaire, en France on serait plutôt entre 4 et 6g

Avec l’électricité on peut chauffer (pompe à chaleur, convecteurs), rouler (voiture électrique) soit 2 gros postes de consommation d’énergies fossiles dans notre pays. Cette décarbonation s’accompagne de gains importants en efficacité car un moteur électrique a un rendement bien supérieur à un moteur thermique comme je l’explique plus en détail ici : https://twitter.com/Prof_D_sciences/status/1593553584578351106?s=20&t=FagsC-krZT5VLHi5lRKzTA

Ainsi, quand on parle sobriété il s’agit en réalité pas tant d’une baisse consentie de l’utilisation que d’une électrification qui mécaniquement entraine une baisse de l’énergie finale utilisée. Ne faites donc pas comme les économistes bas de plafonds qui hurlent au retour de la bougie en voyant des baisses de 40-50% de la consommation d’énergie finale en 30ans. L’explication n’est pas tant la fin de la civilisation que dans son électrification couplée aux progrès techniques et quelques efforts tout de même.

Pour continuer à avoir une électricité bas-carbone à l’horizon 2050, plusieurs scénarios sont proposés mais n’impliquent pas les mêmes hypothèses et conséquences

Nous pouvons comprendre pourquoi quasiment tout le monde ou presque s’entend pour augmenter la production électrique. Reste à voir comment chacun propose de le faire et c’est ce qu’on va en résumé voir maintenant. Je rappelle la règle : l’électricité doit être bas carbone et produite en au moins aussi grande quantité qu’aujourd’hui. Ça implique d’ajouter des moyens de production pour produire plus mais aussi pour maintenir la production existante. 

En effet, à n’importe quoi entre 40 et 80ans de durée de vie pour un réacteur nucléaire, idem pour une centrale thermique, 25-30 ans pour de l’éolien, 20-25 ans pour du photovoltaïque l’enjeu est clair : il faut rajouter et remplacer des moyens de production.

La grande question des différents scénarios de transition est de savoir par quoi rajouter et remplacer et jusqu’à quel point ? C’est un peu le sujet des différentes études évoquées dans la partie 1.

N’étant pas prescripteur de pensée, plutôt que de vous dire laquelle me parait la plus meilleure car n’en ai pas les compétences et qu’il y a une grande part de subjectivité dans cette réponse je vais plutôt vous donner quelques idées pour vous faire une opinion sur ces scénarios totalement politiques.

Oui j’ai dit un gros mot là : politique. Le choix d’un scénario est avant tout politique car il implique des organisations de la société différentes d’un autre or c’est totalement la définition de « politique » : comment nous choisissons d’organiser la société.

D’ailleurs, pourquoi je parle plus en détail des différents scénarios de transition énergétiques dans le chapitre sur l’électricité ? Parce qu’on a vu que l’électrification est LE pilier majeur de la décarbonation de nos économies et que quasiment tout le monde s’accorde pour lui donner plus de place à l’avenir.

Ainsi, voir comment gérer cette partie électrique de la transition énergétique c’est voir un point crucial du problème vu que tout le monde est d’accord pour sortir des énergies fossiles surtout utilisées dans les transports, le chauffage et l’industrie en France.

Note : Il y a d’autres énergies bas carbones et non-électriques, mais ce sera c’est pour le chapitre 4.

Alors comment choisir ? Il me semble que cette démarche est intéressante, demandez-vous :

-        quelles sont vos critères de choix

-        comment vous les prioriseriez

-        quelles sont les hypothèses pour rendre compatibles entre eux vos critères

-        quelles sont les conséquences (économiques, sociales, environnementales de ces choix ?

-        semblent elles réalistes et souhaitables (hypothèses et conséquences) ?

Si la réponse à la dernière question vous semble être non, recommencez la série de questions.

Source : Figure personnelle, Clovis DIDRY

Pour être plus concret je vous propose quelques critères : Le mix permet- il

-        de sortir des énergies fossiles ?

-        d’atteindre la neutralité carbone,

-        de limiter au maximum l’artificialisation des sols,

-        d’utiliser le moins de matériaux possible

-        de se passer de (insérez ici la technologie que vous n’aimez pas)

-        d’utilise (insérez ici la technologie que vous aimez

-        de limiter notre dépendance à l’étranger

-        de ne pas faire trop de paris technologiques

-        de garantir la sécurité d’approvisionnement),

-        d’avoir un haut niveau d’acceptabilité sociale

-        d’avoir un coût accessible aux finances publiques et privées

-        d’être compatible avec la sobriété

-        … liste non exhaustive, j’en oublie surement des très bien, c’est à vous de la faire.

Je vais maintenant remercier plusieurs personnes qui nous offrent des synthèses comparant plusieurs critères pour plusieurs scénarios. Je remercie les voix du nucléaire d’avoir fait des synthèses dans le document présentant leur scénario où ils comparent différentes propositions qui ont été faites ces dernières années. Voici par exemple pour les différents moyens de production et d’autres critères :

Sources : voix du nucléaire – scénario TerraWater

RTE a également eu la bonne idée de proposer également un comparatif des productions électriques de ses scénarios et de leurs variantes de manière lisible et claire. Merci à eux pour ça.

Source : RTE – futur énergétiques 2050

On trouve ici quelques éléments pour les différents scénarios de l’ADEME mais c’est moins complet que les autres documents proposés. 

Source : Ademe – Transitions 2050

Voici enfin la Roll’s Royce des outils de comparaison : Metawatt https://metawatt.fr/ du twittos https://twitter.com/edhelas

Source : https://metawatt.fr/

Dans cet article vous avez les sources vers ces scénarios, n’hésitez pas à les consulter pour vous faire un avis notamment en suivant la démarche que je vous propose.

Sur cet appel à la documentation, je m’arrête là pour l’électricité. Plein de collègues détaillent ces scénarios sur vos réseaux sociaux préférés et vulgarisent sur le système de manière assez poussée. Ici l’idée est de faire une présentation générale. C’est à mon avis chose faite. 

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