La France championne d’Europe des naissances : les leçons du “où, qui, comment”<!-- --> | Atlantico.fr
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Le taux de fécondité est de 1,99 enfant par femme en France.
Le taux de fécondité est de 1,99 enfant par femme en France.
©Reuters

La France en croissance (...démographique)

La France peut au moins se vanter d'être en tête dans un domaine en Europe : celui du dynamisme démographique. Avec un taux de fécondité de 1,99 enfant par femme, elle surpasse nettement ses voisins européens, eux, en chute libre.

Christophe Bergouignan

Christophe Bergouignan

Christophe Bergouignan est docteur en démographie et professeur à l'université de Bordeaux, spécialisé dans la démographie des conflits, les questions socio-sanitaires et la démographie spatiale.

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Gérard-François Dumont

Gérard-François Dumont

Gérard-François Dumont est géographe, économiste et démographe, professeur à l'université à Paris IV-Sorbonne, président de la revue Population & Avenir, auteur notamment de Populations et Territoires de France en 2030 (L’Harmattan), et de Géopolitique de l’Europe (Armand Colin).

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Atlantico : Le taux de fécondité français est-il homogène sur le territoire national, ou est-il tiré vers le haut par quelques régions plus "dynamiques" en la matière ?

Gérard-François Dumont : La situation démographique est très contrastée selon les territoires français. Par exemple, selon les dernières données disponibles (1), les deux départements de France métropolitaine à la fécondité la plus élevée sont des départements connaissant une forte d’immigration, précisément la Seine-Saint-Denis, avec 2,46 enfants par femme, et le Val-d’Oise, avec 2,34. Mais le troisième département en terme de fécondité est… la Mayenne, avec 2,29 enfants par femme, sans que ce chiffre puisse s’expliquer par l’immigration non européenne. L’histoire démographique montre que, au fil des décennies, la pérennité d’écarts de fécondité entre des départements de tradition plus favorable à l’accueil de l’enfant, et d’autres plus malthusiens, notamment dans le sud-ouest de la France.

Les écarts sont également importants en outre-mer entre le 1,94 enfant par femme de la Guadeloupe et le 2,4 de La Réunion. Quant aux chiffres nettement plus élevés de la Guyane (3,5 enfants par femme) et de Mayotte (4,1), ils ne peuvent se comprendre sans considérer l’effet des migrations, dont les migrations clandestines, principalement et respectivement, du Surinam et de l’île comorienne d’Anjouan.

Christophe Bergouignan : Les écarts de fécondité entre la France et les différents pays européens sont par exemple bien plus forts qu'entre les régions françaises. Après, il existe bien sûr des différences : l’indice de fécondité est plus élevé dans les Pays-de-la-Loire, le Nord-Pas-de-Calais, la Picardie et l'Ile-de-France. A l'inverse les régions du Sud-Ouest comme l'Aquitaine, Midi-Pyrénées ou Limousin ont des indices de fécondité un peu inférieurs à la moyenne nationale.

Ces différences régionales sont souvent assez anciennes. On peut presque y voir un  facteur culturel. Les régions avec l’indice de fécondité le plus faible sont celle où le premier enfant vient le plus tard, et cela depuis assez longtemps. Le fait que ces différences régionales existent depuis longtemps a un impact sur les différences de composition par âge entre les régions. Il ne faut d’ailleurs pas confondre le taux de natalité qui dépend en partie de la composition par âge (à travers la part des personnes en âge de procréer) et l’indice de fécondité pour lequel cet effet est éliminé, mais qui en revanche peut sur le long terme influencer le vieillissement de la population. Cette influence peut parfois être supérieure à celle des mouvements migratoires d’une région à l’autre. C’est notamment vrai des régions avec de grandes métropoles comme l’Aquitaine ou Midi-Pyrénées où les dynamiques de  Bordeaux et Toulouse compensent le vieillissement des territoires ruraux et des petites villes causé par les départs de jeunes et les arrivées de retraités.

Le niveau social d'origine joue-t-il un rôle dans la fécondité comme on le pense habituellement ? A région similaire, y a-t-il des milieux qui font plus d'enfants ?

Christophe Bergouignan : Il existe évidemment des disparités sociales, mais elles ne sont pas énormes. Classiquement, on les représente par une courbe en "J", indiquant que les plus modestes, et à un moindre degré les gens très aisés, sont ceux qui font le plus d'enfants. Cette vision est en partie vraie. Les plus modestes font un peu plus d'enfants que la moyenne, certes, mais pas tant que cela non plus. Il y a plutôt un phénomène de premier enfant beaucoup moins tardif dans ces milieux. A l'autre bout, un nombre d'enfants un peu plus important chez les plus aisés existe toujours, mais il faut relativiser le stéréotype de la "famille catholique très aisée avec de nombreux enfants" qui n'est pas si impactante que cela dans la réalité.

La France se présente souvent comme la « championne d'Europe » de la fécondité. Est-ce le cas ? Est-ce une tendance récente ?

Christophe Bergouignan : Nous avons effectivement un des indices de fécondité les plus élevés d’Europe proche de l’Irlande et légèrement inférieur à l’Islande.

Concernant nos "gros" voisins, notre indice de fécondité est nettement supérieur à celui de l’Allemagne, depuis plus 50 ans. L’écart avec nos voisins du Sud (Italie, Espagne) est lui aussi très net mais il est un peu moins ancien. Avec le Royaume-Uni, l'écart est beaucoup plus modeste.

Si on devait retenir une chose, c'est qu’à la fin des années 1960 et au début des années 1970, la fécondité a fortement baissé dans tous les pays d’Europe de l’Ouest. Alors que dans certains d’entre eux cette baisse a été très profonde (Europe du Sud et pays de langue germanique), d’autres comme la  France, la Scandinavie et les Iles Britanniques ont connu une baisse un peu moins marquée. Quant à l’Europe de l’Est la baisse a été très importante depuis la fin de la période soviétique.

Gérard-François Dumont : Effectivement, La France (2) est championne de l’Union européenne en nombre de naissances, devançant généralement le Royaume-Uni (3) et nettement l’Allemagne qui compte pourtant 15 millions d’habitants de plus (4). La raison tient au niveau de fécondité en France qui, même non compris les Dom, soit pour la France métropolitaine, s’élève, en 2014, à 1,98 enfant par femme, et avoisine donc 2. Même si ce chiffre de 2 est légèrement inférieur au seuil de simple remplacement des générations, on ne peut pas contester que sa fécondité place la France en première position en Europe, avec l’Irlande et le Kosovo. Cette fécondité de la France métropolitaine est supérieure de 33% à la moyenne de l'Union européenne (1,5 enfant par femme) qui poursuit ce que j’ai appelé son hiver démographique (5).

La fécondité des femmes nées en France serait en réalité de 1,8 enfant par femme. Le chiffre de 2 ne serait atteint que grâce à l’apport des femmes maghrébines (3,4 enfants (6)), d’autres pays africains (2,9), turques (2,9), américaines et océaniennes (2,4). Quel rôle joue réellement l'immigration dans la natalité française ?

Gérard-François Dumont : La présence de populations immigrées en France, c’est-à-dire de personnes résidant en France mais nées à l'étranger, que ces personnes aient acquis ou non la nationalité française, ne peut expliquer à elle seule cette importante différence de 33%. En effet, en Allemagne, le pourcentage des populations immigrées est du même ordre de grandeur que celui de la France, avec notamment des populations issues de l’immigration turque plus fécondes. Pourtant, l’indice de fécondité de l'Allemagne est bien plus faible qu’en France et même, avec 1,4 enfant par femme, inférieur à la moyenne de l’Union européenne.

La compréhension de la supériorité de la fécondité de la France en Europe nécessite de considérer des facteurs politiques et culturels. La politique familiale en France apparaît, depuis plus d’un demi-siècle, largement transpolitique, d’abord au plan national : cette politique, en dépit de freins ou de rabotages, s’est trouvée globalement poursuivie par des gouvernement fort différents. Mais cette politique familiale est encore plus transpolitique au vu des actions des collectivités territoriales qui poursuivent, au delà des alternances lors des élections municipales, le souci de faciliter la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale, notamment en développant des systèmes de gardes collectifs et des réseaux d’assistantes maternelles. Toutefois, il faut s’interroger sur les éventuels futurs effets négatifs des dernières décisions françaises en matière de politique familiale : surfiscalisation des couples ayant des enfants par le jeu de la réduction très accentuée du plafond du quotient familial depuis 2013 ; fiscalisation des suppléments familiaux de retraite signifiant moins de possibilités d’aides intergénérationnelles des parents à leurs enfants ; suppression du caractère universel des allocations familiales courant 2015 ; contraintes financières imposées aux collectivités territoriales (diminution de 11 milliards des dotations de l’État en 3 ans) et parallèlement , obligations de charges supplémentaires à ces mêmes collectivités territoriales, comme celles concernant les rythmes scolaires.

En Europe, les pays qui déploient les budgets les plus élevés en matière de politique familiale, rapportés aux prestations sociales totales (7), soit quatre pays d’Europe septentrionale (Danemark, Finlande, Irlande et Suède) et deux pays d’Europe occidentale (Belgique, France), ont les fécondités les plus élevées. A contrario, les Etats dont les budgets de prestations familiales sont nettement inférieurs à la moyenne de l’Union européenne (Bulgarie, Chypre, Croatie, Espagne, Estonie, Grèce, Hongrie, Italie, Lettonie, Malte, Pologne, Portugal, République tchèque, Roumanie, Slovaquie et Slovénie) comptent une fécondité inférieure et même, pour certains d’entre eux, très inférieure à la moyenne.

Au sein de cette corrélation, l'Allemagne semble fournir un contre-exemple : le pourcentage de son budget de politique familiale est bien supérieur à la moyenne européenne, mais sa fécondité est inférieure. En réalité, les choix budgétaires effectués en Allemagne, comme les allocations familiales dès le premier enfant, ne semblent pas optimisés. L’allocation familiale dès le premier enfant pèse sur les possibilités de politique familiale pour des familles plus nombreuses, ce qui n’est pas spécialement favorable à l'élargissement de la famille, tandis que d’autres éléments, de nature culturelle, concourent à une fécondité affaiblie.

En effet, la différence du niveau de fécondité entre la France et l’Allemagne s'explique non seulement par les politiques familiales conduites, y compris l’importance des écoles maternelles en France, mais aussi par des différences culturelles, comme l’attitude devant les naissances hors mariage (8). Autre exemple, La France accepte mieux la conciliation vie professionnelle et vie familiale. En Allemagne, reprendre le travail après une grossesse est, encore souvent, mal perçu, la femme étant alors traitée de raven mutter, de "mère corbeau".

La politique familiale française est-elle un argument pour les candidats à l'immigration ?

Gérard-François Dumont : Il est vrai que la Convention européenne des droits de l'homme et, plus précisément, son article 8 donnant droit à une vie familiale permet à bon nombre de migrants de rejoindre l'Europe. Chaque année en France, le flux migratoire le plus important concerne le regroupement familial, devant les demandes d’asile et loin devant l’immigration de travail.

Il est également vrai que la France a une protection sociale généreuse, souvent plus généreuse que d’autres pays européens. Ceci explique-t-il le paradoxe français actuel ? En effet, ces dernières années, des pays européens en bonne santé économique, comme l’Allemagne, la Suède ou l’Autriche, ont vu leur immigration croître. A l’inverse, des pays terres d'immigration les années précédant la crise entamée en 2008, comme l'Espagne, le Portugal ou la Grèce, sont devenus, parallèlement à la détérioration de leur santé économique, des pays d'émigration. La France, en mauvaise santé économique, aurait dû connaitre une baisse de l’immigration, mais elle ne s’observe pas. On peut s’étonner que nos budgets publics n’orientent pas leurs financements des recherches en sciences sociales pour comprendre cette spécificité française depuis la crise.

Notes

1 Source : Insee, statistiques de l'état civil et estimations de population, Année 2012, données provisoires arrêtées à fin décembre 2013, TABLEAU P3D.

2 Avec, en 2014, 783 000 naissances en France métropolitaine et 820 000 naissances, en incluant les cinq Dom ; cf. Dumont, Gérard-François, « La longévité en France : un bilan dual », Population & Avenir, n° 722, mars-avril 2015

3 Zouari, Ilyes, « France - Royaume-Uni : un match démographique très disputé », Population & Avenir, n° 717, mars-avril 2014.

4 Sardon, Jean-Paul, « La population des continents et des pays », Population & Avenir, n° 720, novembre-décembre 2014, www.population-demographie.org/revue03.htm

5 Dumont, Gérard-François, Verluise, Pierre, Géopolitique de l’Europe : de l’Atlantique à l’Oural, Paris, PUF, 2015.

6 Insee, Fiches – population immigrée,

7 Dumont, Gérard-François, « La fécondité en Europe : quelle influence de la politique familiale ? », Population & Avenir, n° 716, janvier-février 2014.

8 Dumont, Gérard-François, « Europe : une « prime » aux naissances hors mariage ? », Population & Avenir, n° 704, septembre-octobre 2011.

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