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Un portrait de Silvio Berlusconi affiché devant la Villa San Martino, la résidence de l'ancien Premier ministre, après sa mort, à Arcore, le 13 juin 2023
Un portrait de Silvio Berlusconi affiché devant la Villa San Martino, la résidence de l'ancien Premier ministre, après sa mort, à Arcore, le 13 juin 2023
©Gabriel Bouys / AFP

Forza Italia

Comme le chat aux neuf vies, le Cavaliere avait la peau épaisse. Bien qu'il se soit retiré progressivement de la politique, il savait user de son influence considérable pour peser sur la vie politique italienne en tant que figure d'autorité.

Hélène de Lauzun

Hélène de Lauzun

Hélène de Lauzun a étudié à l'École Normale Supérieure de Paris. Elle a enseigné la littérature et la civilisation françaises à Harvard et a obtenu un doctorat en Histoire à la Sorbonne. Elle est l'auteur de l'Histoire de l'Autriche (Perrin, 2021).

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Il y a quelques jours, la nouvelle est arrivée de la soudaine détérioration de la santé de Silvio Berlusconi, ancien Premier ministre italien et président du parti Forza Italia, également membre de la coalition gouvernementale actuellement au pouvoir avec Giorgia Meloni. L'homme surnommé "il Cavaliere" (Le Chevalier) est décédé à Milan lundi matin 12 juin, à l'âge de 86 ans.

La perte de cette personnalité hors du commun se fera durement sentir en Italie où il occupait une place toute particulière dans le monde des affaires, du sport et, bien entendu, de la politique. Depuis la naissance de la République italienne en 1946, il a eu l'honneur de servir comme Premier ministre plus longtemps que quiconque et a acquis le statut d'être l'un des hommes les plus riches d'Italie. En 2021, fort de sa popularité solide et inattaquable, il envisage de se présenter à la présidence de la République (pour succéder à Sergio Mattarella), avant d'abandonner.

Toute la classe politique italienne, même ses anciens ennemis, lui rendent désormais hommage.

Né à Milan en 1936, Silvio Berlusconi fait preuve dès son plus jeune âge d'un sens aigu des affaires, reconnu par ses camarades de classe à qui il vend ses services, leur proposant d'écrire leurs devoirs pour quelques lires. Après la guerre, et après avoir obtenu son diplôme en droit, il commence à bâtir sa fortune en se lançant dans des transactions immobilières lucratives à Milan, à une époque où les Italiens du Mezzogiorno affluent vers la capitale lombarde à la recherche de travail et d'un logement bon marché. Petit à petit, il se constitue un véritable empire, ce qui lui vaut le titre de « Chevalier du Travail », décerné par le Président de la République Giovanni Leone en 1977.

Après l'immobilier, à la fin des années 1970, Berlusconi s'oriente vers un autre domaine qui lui apportera un grand succès : la presse et la télévision, au moment crucial où l'État italien abandonne son monopole. En 1979, il devient l'actionnaire majoritaire du quotidien Il Giornale. Il se lance dans la création d'une multitude de petites chaînes de télévision, d'abord en Italie, puis dans toute l'Europe, avec le lancement de La Cinq en France en 1986, puis de Tele 5 en Allemagne et en Espagne.

Immobilier, presse, banque, assurance, produits financiers, rien ne lui échappe et son empire grandit jusqu'à ce qu'il puisse réaliser l'une de ses plus belles acquisitions : le rachat, en 1986, du prestigieux club de football Associazione Calcio Milan, ou AC Milan, avec lequel il a remporté de nombreux tournois en Italie et à l'étranger.

Son tempérament, son désinvolture et son formidable sens des affaires ont clairement contribué à son succès, mais non moins important était le vaste réseau de soutiens, notamment politiques, qu'il avait construit au fil des ans. Bien que certains de ses adversaires l'aient accusé d'avoir bénéficié de la protection de la mafia, il a échappé à la grande opération Mani pulite (Mains propres) visant à combattre la corruption dont souffre l'Italie à tous les niveaux.

En 1994, fort de son image d'homme à succès, il annonce son intention de se présenter pour la première fois aux élections législatives, sur une plateforme d'altruisme. Il n'avait pas de passé politique, juste l'amour de l'Italie et le mépris du communisme. Il lance alors son propre parti, Forza Italia, qui lui permet d'accéder au pouvoir et d'ajouter une corde de plus à son arc. Sa fortune personnelle et sa position de magnat des médias l'ont sans aucun doute aidé dans sa course au pouvoir. C'est lui qui a jeté les bases d'une large coalition de droite, s'alliant à la fois à la Ligue du Nord, qui réclamait à l'époque l'autonomie de l'Italie du Nord, et au Mouvement social italien (MSI), parti conservateur né dans le Sud et dont les origines remontent à l'Italie post-fasciste.

La vie politique est pleine de rebondissements. Silvio Berlusconi perd plusieurs fois le pouvoir, puis le reprend, s'appuyant toujours sur cette coalition sans cesse reconstituée : de 1994-1995, puis de 2001 à 2006, et enfin de 2008 à 2011. Quels que soient ses succès ou ses échecs politiques, il conserve un niveau sans précédent de popularité, entretenue grâce à des plaisanteries joviales que les Italiens adorent – comme quand il a expliqué qu'il aimait Obama parce qu'il était « beau et bronzé ».

Les politiques favorables aux entreprises qu'il a introduites une fois au pouvoir ont grandement profité à ses propres entreprises, qui ont prospéré. Ses adversaires ont dénoncé sa « privatisation du pouvoir » comme motivée par un intérêt personnel, mais, tenant les rênes du pouvoir, toute accusation de corruption était inoffensive et il est resté à l'abri d'enquêtes sur ses relations commerciales qui auraient autrement entaché son autorité et sa réputation.

En 2009, il est mêlé à la justice lorsqu'éclate le scandale de Noemi Letizia, du nom d'une jeune Napolitaine courtisée par Silvio Berlusconi alors qu'elle était encore mineure. Aux yeux du public italien, l'image du Cavaliere était gravement compromise, car de plus en plus de personnes, en particulier sa femme, dénonçaient ses frasques et ses excès. Les scandales vices se multiplient alors que l'Italie est fragilisée sur la scène internationale par sa dette.

A partir de 2014, Berlusconi et son parti Forza Italia entament une longue descente dans l'abîme politique, un glissement qui profite à d'autres membres de la coalition de droite : d'abord la Lega de Matteo Salvini, puis le mouvement désormais représenté par Giorgia Meloni, Fratelli d'Italia , héritier du MSI. De graves problèmes de santé – des problèmes cardiaques suivis d'une opération à cœur ouvert – l'ont forcé à s'effacer.

Mais comme le chat aux neuf vies, le Cavaliere avait la peau épaisse. Bien qu'il se retire progressivement de la politique, il sait user de son influence considérable pour peser sur la vie politique italienne en tant que figure d'autorité. Son parti, Forza Italia, a peut-être perdu du poids électoral, mais il continue de jouer un rôle dans la nouvelle coalition de droite formée autour de Giorgia Meloni pour les élections de 2022. Ses apparitions médiatiques, qui se font plus rares, continuent d'être scrutées et analysées. Au moment de l'agression russe en Ukraine, il a suscité la polémique par des propos ouvertement hostiles au président ukrainien Volodymyr Zelensky et mis en avant son « amitié » personnelle avec Vladimir Poutine, sapant ainsi le discours de son allié Meloni, qui a plutôt joué la carte du soutien inconditionnel pour l'Ukraine.

En mai 2023, il a dû être de nouveau hospitalisé pour des problèmes pulmonaires. Un mois plus tard, le 12 juin, il mourut à l'hôpital de Milan des suites d'une leucémie qui l'affectait depuis plusieurs mois. Une page majeure de la vie politique italienne s'est tournée avec la mort de ce personnage clé qui, pour certains Italiens, paraissait immortel.

Cet article a été publié initialement sur le site The European Conservative : cliquez ICI

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