La fatigue de l’épidémie, cet élément sociologiquement documenté qu’ignore superbement le gouvernement français<!-- --> | Atlantico.fr
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Jean Castex conférence de presse crise sanitaire couvre-feu confinement impact psychologique
Jean Castex conférence de presse crise sanitaire couvre-feu confinement impact psychologique
©THOMAS COEX / POOL / AFP

Couvre-feu à 18h

La prise en compte de l’état psychologique et moral d’une société est pourtant déterminante dans l’efficacité qu’on peut espérer de telle ou telle mesure. Que le gouvernement préfère évoquer un effet apéro pour justifier l’avancée du couvre-feu à 18h en dit long sur son inculture scientifique.

Xavier Briffault

Xavier Briffault

Chargé de recherche au CNRS (INSHSSection 35).
Habilité à diriger des recherches (HDR).

Membre du conseil de laboratoire du CERMES3.
Membre du Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP), Commission Spécialisée Prévention, Education et Promotion de la Santé.
Expert auprès de la HAS, de l’Agence de la Biomédecine, de la MILDT, de l’ANR, d’Universcience.

Chargé de cours à l’Université Paris V Paris Descartes, à l’Université Paris VIII Vincennes-Saint Denis. 

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Atlantico.fr : A force de durer, la pandémie est-elle en train d'installer dans la société une fatigue collective qui pourrait nuire à sa cohésion ?

Xavier Briffault : Le sociologue Marcel Mauss explique que nos manières d'agir ensemble reposent sur un partage d'émotion et une compréhension des émotions d'autrui, ce qu'on appelle classiquement empathie. Une partie de cette empathie est liée à une sorte de grammaire des émotions socialement codée avec une stabilité très forte. L'un des régulateurs fondamentaux des sociétés est ce que Mauss appelle le « je m'attends ». Par exemple, je m'attends à ce que quand je rencontre quelqu'un, il me salue et je lui serre la main. Il y a comme cela un certain nombre de codages émotionnels ou relationnels qui sont très puissants et qui structurent nos sociétés. Ce sont des règles qu'on pourrait dire reposantes parce qu'elles nous évitent d'avoir à négocier en permanence le cadre de nos interactions. 

La crise en tant que menace sanitaire mais surtout en tant que réaction politique a cassé beaucoup de cette prévisibilité des comportements sociaux. Elle a aussi brouillé la visibilité de l'avenir et des attendus relationnels que nous avons. Tout cela est épuisant parce que le codage collectif de nos interactions est détruit.

Il y a pour l’individu ce qu’on appelle la sécurité ontologique primaire, c'est-à-dire le sentiment immédiat de confiance qu'a l'individu dans son corps et sa capacité d'agir. Pour la société, on a l'équivalent avec ce qu'on pourrait appeler la sécurité ontologique sociale. C'est cette certitude que le sol social qui soutient nos échanges est solide. Cette sécurité n’existe plus et ce sont les fondamentaux de la société qui sont rendus très instables. 

La crise actuelle est un phénomène qu'on peut dire panenglobant. C'est la planète entière qui est touchée, et plus ou moins confinée. La notion d'ailleurs a disparu. Le sentiment qu'il n'y a plus d' « ailleurs » possible est inédit. Hors en santé mentale, la possibilité qu'il existe un ailleurs plus souhaitable est fondamentale. 

Cela peut-il avoir une influence sur la façon dont les gens acceptent les mesures de restrictions ? Et donc sur l'efficacité de la gestion de la crise ?

J'en suis convaincu. Malheureusement, il y a clairement une non-prise en compte de la destruction de notre grammaire sociale par les réactions politiques à la crise sanitaire.

Dans les deux mois du premier confinement, rien n'a été fait pour réfléchir à l'impact des restrictions sur la population, ni pour la préparer aux conséquences sociétales et psychologiques. Il faut se rendre compte qu’on est en train d’atteindre une potentielle anomie, c’est-à-dire une dysrégulation des mécanismes fondamentaux de la société, propice à des crises graves.

L'impact économique a été intégré, l'impact psychologique individuel l'a été un peu (mais pas suffisamment), mais l'impact collectif, celui qui a un potentiel destructeur sur les bases de notre société, ne l'a pas été du tout. 

Comment expliquer cette absence de prise en compte de la psychologie sociale ?

Dans Covid-19, une crise organisationnelle, plusieurs chercheurs de Sciences Po expliquent les problèmes que rencontrent les élites politiques françaises dans la gestion des crises et dans la relation avec la population. On est dans un système de verticalité, accentué par Emmanuel Macron, qui ne fait que traduire ce système jacobin extrêmement hiérarchique qu'on a en France. Cela se traduit aussi par une position permanente d'arrogance et de mépris envers la population. Les discours du gouvernement sont surréalistes.

Il faut aussi dire que tout cela est soutenu par les interventions régulières et le langage alarmiste utilisé par les médecins hospitaliers.  

Pour justifier le couvre-feu, Stanislas Guerini parle de limiter un "effet apéro". La confiance est-elle définitivement rompue ?

Ce n'est même plus un problème de confiance, c'est du mépris et de l'arrogance. Ce paternalisme est surréaliste. Encore une fois, il est aussi vectorisé par les médecins hospitaliers. Le paternalisme médical chez les médecins hospitaliers les conduit à considérer l'entièreté de la France comme si c'était leur service de réanimation. La sanitarisation à l’extrême du débat restreint la manière de penser les problèmes. 

Il faut absolument changer la rhétorique et le champ lexical utilisé. Il faut réinjecter dans les décisions le caractère fondamental des questions de santé mentale et de solidité du lien social.

Propos recueillis par François Blanchard

Xavier Briffault vient de publier "Crise Covid : Psychiatres, sociologues, philosophes doivent s'engager ensemble dans le débat public et politique" dans la Lettre de psychiatrie française

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