La famille, grande oubliée du PLF 2023<!-- --> | Atlantico.fr
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Bruno Le Maire et Olivier Dussopt lors d'une conférence de presse.
Bruno Le Maire et Olivier Dussopt lors d'une conférence de presse.
©THOMAS SAMSON / AFP

PLFSS 2023

Bruno Retailleau a alerté sur les fonds consacrés à la famille dans le PLF 2023 et notamment la réallocation prévue par l’article 10. Il pointe la relation logique entre l’affaiblissement des politiques familiales qui freinent la natalité et plaide pour un retour de politiques familiales plus incitatives.

Marc de Basquiat

Marc de Basquiat est consultant, formateur, essayiste et conférencier. Fondateur de StepLine, conseil en politiques publiques, il est chercheur associé du laboratoire ERUDITE. Il préside l’Association pour l’Instauration d’un Revenu d’Existence (AIRE) et intervient comme expert GenerationLibre. Il est diplômé de SUPELEC, d'ESCP Europe et docteur en économie de l'université d'Aix-Marseille. 

Son dernier ouvrage : L'ingénieur du revenu universel, éditions de L'Observatoire.

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Atlantico : Bruno Retailleau a alerté sur les fonds consacrés à la famille dans le PLF 2023 et notamment la réallocation prévue par l’article 10. De quoi s’agit-il ?

Marc de Basquiat :L’exposé des motifs de l’article 10 du PLFSS est clair et précis, concernant les dépenses d’indemnités journalières versées en cas de congé maternité. Il explique qu’il ne s’agit pas de « couvrir les frais et risques de santé (…) mais de permettre aux familles de se préparer et d’accompagner l’accueil de l’enfant à sa naissance ou son adoption ». Il rappelle que « les indemnités journalières versées au titre du congé paternité sont déjà financées par la branche famille » avant de proposer de « transférer à la CNAF la prise en charge financière des indemnités journalières au titre du congé maternité », ce qui « représente environ 2 Md€ en 2023 ».

Cette affectation à la branche famille du poids financier des congés maternité, au lieu de la branche santé, a vraiment du sens : devenir mère n’est pas une maladie ! Cette mise en cohérence technique est souhaitable.

Mais si la charge de 2 milliards s’ajoute à la branche famille, on cherche quel transfert de recettes permettra d’y faire face. Et là, déception : rien de tel dans le PLFSS, ce que relève justement Bruno Retailleau pour justifier l’opposition du Sénat à ce projet de loi (après le passage éclair à l’Assemblée grâce au 49.3). Le PLFSS invoque la différence de situation financière des deux branches pour justifier cette absence de transfert du financement : « le montant cumulé des déficits de la branche maladie devrait atteindre 66,8 Md€ en 2030. A contrario, la branche famille est en excédent depuis 2018 ».

La raison de cet excédent récurrent est double. La démographie est le premier facteur explicatif. Avec un taux de fécondité inférieur à 1,9 enfants par femme, le nombre total d’enfants va continuer à diminuer, inexorablement. Par ailleurs, le rétrécissement des politiques familiales depuis le quinquennat Hollande (à l’exception des mesures en faveur des familles monoparentales) amplifie le phénomène. 

Bruno Retailleau pointe la relation logique entre les deux causes (l’affaiblissement des politiques familiales freine la natalité), et plaide pour un retour de politiques familiales plus incitatives à la natalité. 

Quelles conséquences concrètes aurait cette application du PLF ?

A proprement parler, ce transfert budgétaire de 2 milliards n’a pas de conséquence autre que de contribuer à une certaine mise en cohérence d’un édifice budgétaire passablement bricolesque. Le vrai sujet est ailleurs : quelles politiques familiales sont souhaitables pour notre pays ? Comment dépenser avec le maximum de pertinence et d’efficacité les recettes fiscales ? (j’agrège sous ce terme les impôts et cotisations sociales « non contributives » du type « allocations familiales » ou « CSG »).

Un début de réponse se trouve dans le même PLFSS : une augmentation de 50% du montant de l’Allocation de soutien familial (ASF), mesure anticipée dès ce mois de novembre avec un montant passant soudainement de 122,96 à 184,41 euros par mois pour chaque enfant privé de la participation financière d’un de ses parents. Curieusement, cette dépense volontariste ne suscite aucun débat, le monde politique semblant anesthésié par les bons sentiments justifiant cette générosité déployée auprès de mères abandonnées par des pères inconséquents (et quel que soit le niveau des revenus de la mère). 

Pourtant, il y aurait lieu de s’interroger sur les conséquences concrètes d’une attractivité renforcée de la position de « mère isolée » (le cas de pères isolés est très minoritaire). C’est ce que fait Léon Régent, vice-président de l’association AIRE, qui met en évidence le coût toujours plus faramineux de la remise en couple pour une mère isolée, qui bénéficie d’une générosité régulièrement renforcée des systèmes fiscaux (demi-part fiscale supplémentaire dès le premier enfant, plafonnement très élevé de l’effet du quotient familial), sociaux (montant majoré du RSA…), familiaux (ASF) et des aides locales impossibles à dénombrer. 

Léon Régent montre par des graphiques saisissants qu’en déclarant à l’administration sa vie en couple avec une personne percevant le SMIC, une mère isolée perd automatiquement de l’ordre de 600 euros par mois si elle a 1 ou 2 enfants, et de 800 à 1200 euros (selon ses revenus) si elle a 3 ou 4 enfants. Cette désincitation massive à la nuptialité est une conséquence directe de la générosité de la nation à l’égard des mères isolées. Aucun politique ne prend le risque de mettre ce sujet sur la table, craignant évidemment l’opprobre général à l’encontre des sans-cœurs qui interrogent les modalités du soutien apporté aux plus fragiles de la société. 

La famille va-t-elle se retrouver la grande oubliée du PLF 2023 si l'exécutif maintient son projet de loi de finance dans l’état actuel ?

A part les deux mesures signalées, on ne décèle effectivement rien de très marquant dans le budget 2023. Honnêtement, ce n’est pas exceptionnel. La politique familiale est en effet bloquée depuis des décennies par l’opposition entre deux clans acharnés. A gauche, beaucoup souhaitent la fondre dans le « social », en supprimant tout soutien financier public aux parents aisés et renforçant toujours plus l’aide apportée aux plus fragiles (à commencer par les mères isolées). 

A droite, la réflexion est figée depuis le quinquennat Hollande sur le plafonnement du quotient familial. Des militants très actifs y voient le sujet majeur voire quasi exclusif des politiques familiales. Ils réclament incessamment la suppression du plafonnement instauré en 1981 et régulièrement abaissé depuis par tous les gouvernements de gauche. 

Depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, les tentatives parlementaires visant à trouver un compromis entre les partis réputés raisonnables (LR, Modem, LREM, PS…) se sont soldés par des échecs (Chiche & Lurton en mars 218, Elimas & Viry en juillet 2020). Le gouvernement est ligoté dans son incapacité à dépasser ces dissensions. 

A droite, l’attachement est réel en faveur d’une politique familiale qui ne soit pas un sous-produit de la générosité envers les plus défavorisés. Les parents de familles « normales », insérées et actives, attendent un soutien financier raisonnable de l’Etat pour les aider à assumer les charges financières significatives de leurs enfants. Comme parents, ils ne se voient ni comme malades ni comme devant quémander des aides sociales. Ils attendent plutôt des mesures de justice, une reconnaissance de l’implication concrète de leur job de parents qui participe au renouvellement des générations.

Mais depuis des années, ces parents ont le sentiment que ce n’est plus la priorité des gouvernements. Cette lacune offre un boulevard aux responsables politiques de droite qui sauront articuler des propositions raisonnablement ambitieuses dans ce domaine.  

A quoi ressemblerait une politique de la famille ambitieuse ? 

La glaciation de la réflexion sur la remise en question du plafonnement du quotient familial instauré il y a 40 ans est une catastrophe pour la droite. Tant que ses dirigeants en resteront à cette revendication qui ne concerne véritablement que quelques pourcents de familles qui paient un impôt élevé, ils seront incapables de concevoir une vision d’ensemble sur ce que devrait être une politique familiale à la dimension des enjeux du pays. 

Dans beaucoup de propos, je reconnais une sorte de « droite-Maginot » qui prétend avancer en ayant l’œil rivé sur le rétroviseur. Dans une posture défensive des schémas du passé, la droite-Maginot est incapable de se projeter vers des schémas adaptés à la réalité contemporaine. 

Ceci se voit aussi dans la prime accordée par plusieurs dispositifs aux parents d’un troisième enfant. Elle prend plusieurs formes : demi-part supplémentaire de quotient familial, montant renforcé des allocations familiales, cumul (sous conditions de ressources) d’un « Complément familial », etc. Historiquement, cette prime au troisième enfant était justifiée par l’impératif de former suffisamment de soldats pour préparer notre prochaine guerre contre le turbulent voisin allemand… Est-ce toujours l’enjeu d’une politique nataliste ? Faut-il continuer à punir les parents (égoïstes ou empêchés) d’un enfant unique ? 

La droite aurait tout intérêt à actualiser les fondements de la politique familiale qu’elle souhaite proposer au pays. Ce n’est certainement pas en défendant le quotient familial des parents aisés ou l’absence de soutien aux enfants uniques qu’elle va intéresser ses futurs électeurs. 

Un beau programme de travail pour le prochain président d’un parti LR à reconstruire.

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