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La dernière trahison d’Alain Juppé ?
©GEORGES GOBET / AFP

Peur de rien

Alain Juppé aurait appelé de ses vœux, même si il s’en dédit mollement en public, la formation d’un pôle central réunissant le centre droit et le parti macroniste en vue des élections européennes de 2019. Alain Juppé ne tarit pas d’éloges pour le jeune président que la France s’est donnée. Alain Juppé est macroniste. Il scelle là une ultime trahison.

Les Arvernes

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Les Arvernes sont un groupe de hauts fonctionnaires, de professeurs, d’essayistes et d’entrepreneurs. Ils ont vocation à intervenir régulièrement, désormais, dans le débat public.

Composé de personnalités préférant rester anonymes, ce groupe se veut l'équivalent de droite aux Gracques qui s'étaient lancés lors de la campagne présidentielle de 2007 en signant un appel à une alliance PS-UDF. Les Arvernes, eux, souhaitent agir contre le déni de réalité dans lequel s'enferment trop souvent les élites françaises.

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Ou plutôt Emmanuel Macron est le Juppé que de nombreux Français voyaient déjà à l’Elysée avant la primaire de la droite de 2016. En plus jeune, en plus exalté, en allié assumé de la sociale-démocratie. Mais pour le reste, que différencie vraiment le Juppé version 2016 au Macron d’aujourd’hui ? Pas la même adhésion viscérale à l’Europe fédérale et la dissolution de la nation. Pas la même appartenance à l’élite suprême du pays, l’Inspection générale des finances, cette confrérie d’élus soudée par une conviction partagée de supériorité méritée, par un cynisme à toute épreuve et par une solidarité de caste qui prime sur tout le reste. D’ailleurs, la nomination d’Edouard Philippe annonçait déjà cette quasi-fusion des projets et des équipes. Plus qu’un débauchage politicien, la nomination du Premier Ministre était la révélation de la vraie nature du macronisme : un juppéisme caché sous les oripeaux d’une gauche moribonde le temps d’une campagne. Six mois après l’élection, la gauche macroniste est déjà morte, vaincue par les baisses massives d’impôts accordées aux hyper-riches et par les ordonnances réformant le marché du travail. Au final, la manœuvre est admirable. Qu’importe l’élu. 

En 2017, il fallait à nos oligarques maisons – les grands intérêts qui n’ont jamais renoncé à ce que la France soit gouvernée selon leurs intérêts - un « vrai » président capable, enfin, de « faire le job », pas un Sarkozy, trop incontrôlable, ou un Hollande, malgré tout bien trop mou. Juppé faisait l’affaire. Vieux, mais populaire. Un héritier du gaullisme, un chiraquien survivant improbable du sarkozysme. Un homme brillant et déterminé, « droit dans ses bottes », capable de redonner de la dignité aux institutions et de réformer avec réalisme et fermeté. Alain Juppé fut, deux ans durant, le candidat du « système », le garant des « réformes » nécessaires pour le faire durer. Un « européen » (sic), un « vivre-ensembliste », un « libéral pragmatique », un vrai partisan du statu-quo qui enchante nos élites post-soixantehuitardes enrichies et avachies. Son seul défaut fût sa vraie nature d’apparatchik : sa fidélité au parti qu’il avait dirigé, qu’il avait créé, ce parti sans lequel rien n’aurait été possible pour lui. Sa candidature aux primaires lui fut fatale. 

Fillon, un temps, a reçu le soutien par défaut de notre oligarchie, mais non … trop conservateur, trop proche d’une droite autoritaire, trop tiède sur l’Europe fédérale, trop enraciné. Ses ennuis judiciaires firent le reste. Macron offrit un substitut idéal. Jeune sans doute, inexpérimenté, mais si séduisant. Le Juppé nouveau était arrivé. Un Juppé « plus jeune ». Un Juppé moins raide. Un Juppé en mieux.

Il faut revenir sur le parcours d’Alain Juppé. En 1995, Il n’avait pas trahi, lui, pour rejoindre Balladur et son centrisme européiste déjà soutenu par Alain Minc (il avait sans doute hésité longuement à l’époque avant de faire le choix gagnant). Premier Ministre, il incarnait en apparence l’alliage idéal de la fidélité au gaullisme et de l’esprit de responsabilité. Mais déjà, son manque de charisme contrastait avec un Philippe Seguin tribun républicain issu d’un monde déjà disparu. Il pouvait encore prétendre que la « tentation de Venise » (1993), l’échappée vers le rêve, était encore pour lui possible. Mais la réalité sèche, âpre même, de l’esprit mécanique avait pris le dessus. Les « jupettes », Thomson « qui vaut zéro », l’ultra-centralisation des décisions, le gouvernement « des meilleurs », ça ne vous rappelle personne ? Juppé, sorti de Matignon, comprend que les temps ont changé. Que le gaullisme, son attachement viscéral et métaphysique à la France, ne sont plus de mise pour plaire aux puissants et donc prendre les commandes. En 2002, il préside à la fusion-disparation du RPR dans l’UMP, avec les centristes. Avec le recul, ce fut la première trahison. Il s’en suivra bien d’autres. Sur l’immigration et sur l’islam. Sur le fédéralisme européen. Sur l’identité de la France.  

Cherchait-il à l’époque à maintenir la domination du parti « gaulliste » ou avait-il déjà pris le parti de le passer par dessus-bord ? Avec le recul, la question paraît subalterne. La réponse est simple. Juppé, comme Macron, incarne la prise de contrôle de la politique par la technocratie, la dégénérescence finale de la politique – au sens noble du terme – en un fonctionnalisme gestionnaire. La meilleure gestion possible « à cadre constant », sans résister à aucune des « réalités » de l’époque : la mondialisation (dont nos concurrents ne font pas un dogme), l’européisme (« la France n’est plus rien, allons bon »), le multicuturalisme (« de toute façon, c’est comme ça »), le relativisme (« il faut être de son temps ») et l’individualisme (« become who you are »). Si nous ne pouvons rien à la marche du monde, feignons d’en être les organisateurs.

Monsieur Juppé fût un homme brillant. Infiniment plus qu’Emmanuel Macron, véritable imposture gonflée à l’hélium médiatique, il a été, il aurait pu être, l’héritier d’une certaine France, à laquelle reste attachée une part de rêve. Mais son ambition dévorante, son sentiment irraisonné de supériorité, son incapacité à s’entourer d’hommes et de femmes forts capables de lui dire des vérités, en a eu raison. De Juppé, né à la politique à l’ombre des géants, il ne restera rien. Sinon le visage du traître. 

Emmanuel Macron, lui, habile dissimulateur, n’a pas contre lui l’opprobre de la trahison de convictions affichées. Il est le point d’aboutissement des trahisons de Juppé.  Dans l’affaire, c’est l’aîné qui est à blâmer. Le jeune apprendra bien assez tôt à ses dépens ce qu’il en coûte de trop croire les vieillards.

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