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La démocratie face au piège du traitement de ses ennemis (islamistes) : petites munitions intellectuelles pour résister aux sophistes
©DOMINIQUE FAGET / AFP

Lutter sans renier ses principes

Au regard du débat public actuel, est-il encore possible de lutter contre l'islamisme sans être taxé de stigmatisation ou de discrimination ? L'Etat de droit permet-il de lutter face aux idéologies radicales sans renier ses principes ?

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Atlantico.fr : L'an dernier, un formulaire distribué aux personnels de l'université de Cergy-Pontoise destiné à détecter des signes de radicalisation parmi les étudiants et les enseignants avait créé une vive polémique. Vu l'état du débat public actuel, peut-on encore lutter contre l'islamisme sans être taxé de discrimination ou de stigmatisation ?

Christophe de Voogd : Sans rentrer dans le détail de ce qui s’est passé à Cergy-Pontoise, ne surestimons pas l’efficacité de tels questionnaires, enquêtes et autres « chartes de la laïcité » : l’islamisme manie très bien le concept de « dissimulation » et signera tous les documents que l’on veut. Sauf si ces engagements ont une vraie force juridique opposable, ce qui est très rarement le cas. Mais sur le fond, l’assassinat de Samuel Paty change la donne, car on a touché au sacré républicain de l’école et de ses « hussards noirs ». Plus simplement, « un bon prof » qui fait son boulot, qui est à la fois exigeant et bienveillant, reste une forte référence de l’imaginaire collectif et individuel…

En tout cas, depuis la tragédie de Conflans, le ton du débat public n’est plus le même, et l’on semble assister à un changement net de ce que j’appellerai « le rapport de force rhétorique ». Je constate que les habitués du discours culpabilisant la France et excusant les terroristes se taisent, voire font mine de se rallier à l’indignation générale. Toute la question est de savoir pour combien de temps ? Le précédent de Charlie incite à la prudence. Toutefois, l’accumulation des tragédies finit par provoquer une rupture qualitative, comme le savent les théoriciens des crises.  L’illégitimité du discours tenu est en train de passer dans l’autre camp, celui des fanatiques et de leurs alliés. A lui désormais d’assumer « la charge de la preuve ». Il est en tout cas assez facile de renverser l’argument répété de « l’amalgame » et de la « stigmatisation » : qui sinon les amis des islamistes, pratique l’amalgame systématique entre ces derniers et la majorité des musulmans en hurlant à « l’islamophobie » dès qu’on dénonce une radicalisation ? Qui stigmatise les musulmans, sinon ceux qui en projettent une image fanatique, ignare et sanguinaire ?

L'Etat de droit peut-il lutter contre l'islamisme sans renier ses principes ?

Commençons par évacuer quelques contre-sens courants, reposant sur l’ignorance philosophique et juridique généralisée dans notre société. Au passage, je voudrais insister sur un fait capital : quand comprendra-t-on que l’ignorance est la source première des maux actuels ? Et que, de fait, l’école que l’on sollicite à tout bout de champ pour parler de la disparition des ours blancs, de la sécurité routière ou du « vivre-ensemble », a une mission et une seule : transmettre les connaissances fondamentales et l’esprit critique.

Quant à l’Etat de droit, ce n’est pas « l’Etat du n’importe quoi ». L’expression est bien plus claire en anglais, « rule of law » : « le règne de la loi » (mais comment éviter le mot « Etat » en France, quel que soit le sujet ?)

L’Etat de droit dans le domaine pénal, c’est trois choses : la légalité, la proportionnalité et la personnalisation des peines : voilà qui ne préjuge en rien de la nature, de l’opportunité et de la sévérité des peines en question. On peut parfaitement prévoir et appliquer de très fortes peines pour des délits graves et être un Etat de droit. Si vous vous contentez d’un « rappel à la loi » (hypocritement compté au nombre des sanctions pénales dans notre droit et nos statistiques) pour une agression violente, alors que vous infligez une lourde amende pour une infraction mineure, vous trahissez donc le principe même de l’Etat de droit. Sans compter l’activisme juridique de certains magistrats qui se donnent pour mission de changer la société. 

La France est déjà l’une des démocraties occidentales où la liberté est la plus conditionnelle. Je n’ai jamais entendu d’arguments juridiques convaincants pour justifier de nouvelles lois liberticides. Pourquoi des étrangers fichés S restent-ils sur notre sol ? Pourquoi la plupart des mosquées et des écoles salafistes sont-elles encore ouvertes ? Pourquoi les déboutés du droit d’asile ne sont-ils pas expulsés ? Toutes les lois existent pour y mettre fin, entre dispositions d’ordre public et législation sur les sectes. Et que l’on ne nous objecte pas la jurisprudence de la CEDH. Est-ce l’Europe qui nous a imposé de renoncer à la « double peine » aux « peines-plancher » à la déchéance de nationalité pour les terroristes et à l’inexécution des sentences de moins de deux ans d’emprisonnement ? Tout cela est de la responsabilité nationale et relève de de notre Parlement.  De même la politique pénale, responsabilité du Garde des sceaux, est directement en jeu. Or je remarque que cette question précise ne lui est jamais posée. A aucun de ses prédécesseurs, non plus d’ailleurs. Un seul exemple sur notre sujet : les activistes islamistes pratiquent le harcèlement judiciaire contre tous ceux qui les dénoncent : d’où épuisement psychique et financier de ces derniers. Pourquoi la Chancellerie ne demande-t-elle pas déjà au Parquet de classer ces plaintes ? Ce serait un signal clair.

Quels penseurs pourraient-nous aider à trouver cet équilibre ?

Vous ne serez pas surpris si je réponds par la tradition libérale, qui est d’abord une tradition de droit, de John Locke à John Rawls ! Montesquieu nous a mis en garde contre l’abus de pouvoir des gouvernants mais aussi des juges, (dont il était pourtant) qui disposent, rappelle-t-il, d’une « puissance si terrible ».

Plus généralement, la pensée libérale est formelle et consensuelle sur un point : la tolérance ne peut protéger les ennemis de la tolérance pour la simple raison qu’elle se détruirait elle-même. Les penseurs les plus libéraux comme John Stuart Mill, ont plaidé pour le respect et l’utilité des opinions contraires ; jamais pour le respect des pousse-au-crime, qui ferment l’espace même du débat et interdisent cette confrontation des opinions. Rawls insiste, dans sa société pourtant très communautarisée, sur l’indispensable « consensus » qui doit exister sur les règles de base du corps politique. Quant à Voltaire, il pourfendait les « intolérants intolérables », tout en se battant sans relâche pour la pluralité intellectuelle et politique ; car ce sont deux choses fort différentes, que seuls les sophistes contemporains confondent. Ils sont, hélas, très nombreux.

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