La dangereuse stratégie politique qui se cache derrière le tweet prétendument « boutade » de Danièle Obono<!-- --> | Atlantico.fr
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Danièle Obono
Danièle Obono
©Archives / AFP

Mangez vos morts

Sur Twitter, la députée LFI a dénoncé les moqueries subies par Sandrine Rousseau et Manon Aubry, huées lors du rassemblement pour les Iraniennes dimanche à Paris. Mais l'expression employée, "Mangez vos morts" est en réalité lourde de sens

Céline Pina

Céline Pina

Née en 1970, diplômée de sciences politiques, Céline Pina a été adjointe au maire de Jouy-le-Moutier dans le Val d'Oise jusqu'en 2012 et conseillère régionale Ile-de France jusqu'en décembre 2015, suppléante du député de la Xème circonscription du Val d'Oise.

Elle s'intéresse particulièrement aux questions touchant à la laïcité, à l'égalité, au droit des femmes, à la santé et aux finances sociales et a des affinités particulières pour le travail d'Hannah Arendt.

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Jean-Pierre Sakoun

Jean-Pierre Sakoun

Jean-Pierre Sakoun, pionnier de l’édition numérique, fut conservateur de bibliothèques et ingénieur de recherche au CNRS avant de créer sa propre entreprise. Il préside l’association Unité Laïque. Il est à l’origine de l’initiative pour l’entrée de Missak Manouchian au Panthéon.

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Atlantico : « Bonjour à tous et toutes !* *Sauf aux gens qui instrumentalisent la lutte des femmes en Iran contre l'oppression pour insulter et disqualifier la lutte des femmes en France contre l'oppression. Ceux-là : mangez vos morts. » A déclaré sur Twitter la députée LFI Danièle Obono. Plaidant une boutade, l’élue a minimisé l’utilisation de l’expression « mangez vos morts ». L’expression est-elle si anodine que cela ? A qui s’adresse-t-elle ? De quoi est-elle vectrice ?

Céline Pina : L’expression n’est pas anodine du tout et est profondément choquante. La mise en place de rites funéraires marque d’un point de vue anthropologique le début de la civilisation. Même pour qui ne connaît pas l’origine de l’expression, il la ressent comme profondément dégradante. D’abord quelqu’un qui « mange ses morts », c’est quelqu’un qui trahit un tabou profond. Il n’a ni dignité, ni conscience et se ravale lui-même au rang de bête, il perd son humanité.

A l’origine, c’est une expression gitane. Elle signifie plus ou moins « traître à ta race », c’est une façon d’accuser quelqu’un de renier ses origines, mais cela va plus loin tant la symbolique est violente. D’ailleurs c’est le summum de l’insulte, elle appelle à la réplique physique et déclenche la violence. C’est une insulte pour sortir les couteaux.

Ce tweet venant d’une élue est inadmissible, il redescend l’expression de la représentation nationale au niveau des guerres de territoire de la racaille. Il met en scène une élue pulsionnelle, que seule guide les lois de son clan et qui est prête à l’insulte sans discernement dès qu’un membre du clan est remis à sa place. C’est aussi un appel à la violence. En effet, celui qui est accusé de « manger ses morts » est un adversaire tellement méprisable, il a franchi un tel tabou humain qu’il est légitime à être agressé. L’expression donne aussi le sentiment d’une haine aussi primaire qu’inextinguible puisqu’elle s’en prend aux morts, comme si rien n’était susceptible d’éteindre la haine, de mettre fin à l’affrontement. Quand on n’a rien de concret à reprocher à celui que l’on veut éliminer, on l’accuse de « manger ses morts », autrement dit de renier son humanité et de dégrader sa lignée. Même les morts de l’ennemi continuent à être maudit, doublement maudit car victimes des leurs. L’arrière-plan de cette insulte est effrayant.

Jean-Pierre Sakoun : On ne peut évidemment pas croire à la boutade. C’est une expression violente, quelle que soit son origine ethnique et culturelle. Elle marque un très grand mépris. Même si elle est utilisée assez couramment dans les banlieues, elle est extrêmement agressive. Que Mme Obono l’ait utilisée le matin parce qu’elle était mal réveillée n’est pas une excuse. Cela montre au contraire qu’une telle expression fait partie de son vocabulaire – et de son mode de pensée – habituels.  Elle se réfugie derrière le prétexte de la « blague » lorsqu’elle est interviewée à ce sujet, pour esquiver les questions claires qui lui sont posées. 

Je ne pense pas qu’après ce premier constat il faille aller plus loin dans l’analyse sémantique de cette expression. Je pense plutôt que c’est au message qu’elle envoie à sa clientèle qu’il faut s’intéresser. Et ce message, c’est « je ne respecte pas, comme vous, les codes de la civilité, car ils appartiennent aux codes du blanc dominant cisgenre ».

Dans son interview à ce sujet, corroborant mon analyse de l’usage qu’elle fait de l’expression « mangez vos morts », elle réalise l’exploit de ne pas utiliser le terme de voile et de ne pas remettre en situation les assassinats de plusieurs jeunes femmes en Iran car elles avaient une mèche de cheveux qui dépassait. 

Ce qu’elle exprime c’est bien un message à sa clientèle. Elle leur signifie qu’elle défend le port du voile en France et ne remet pas en cause – elle n’en parle même pas – le port du voile en Iran. Et elle fait un parallèle entre la police des mœurs iranienne qui tue par dizaine des jeunes femmes avides de liberté et la loi de 2004 en France qui justement défend cette liberté. C’est bien sûr une absurdité totale mais c’est le message qu’attend son électorat ! Qu’elle utilise cette expression ou une autre comme il y en tant dans l’argot actuel des banlieues, n’a qu’un objectif, flatter sa clientèle...

Y-a-t-il une stratégie politique derrière cette prétendue « boutade » ? Si oui, laquelle ?

Jean-Pierre Sakoun : Bien entendu. Et cette stratégie politique se retrouve chez LFI ou EELV.

La méthode consiste d’un côté à cliver, à mettre en colère et de l’autre à humilier et piétiner la République, pour faire entendre à sa clientèle ce message : « ne vous intégrez pas, ne devenez pas des Français, soyez des rebelles permanents, aveuglément. » Le message implicite, moins audible mais bien plus réel et grave, c’est « gâchez votre vie en refusant d’être les enfants du pays qui vous accueille au profit de ma carrière politique. »

Son fonds de commerce c’est la révolte, la lutte contre la République, contre la laïcité, contre l’égalité contre la fraternité, pour une division ethnique et religieuse du pays et pour une guerre entre communautés ethnico-religieuses reconstituées par ses soins. Des gens comme elle ou Sandrine Rousseau savent parfaitement utiliser les mots pour lancer des polémiques qui vont toutes dans ce sens, cliver, diviser, attiser les haines, instiller la méfiance entre les citoyens.

 Le fondement de son action, de ses paroles, c’est une volonté politique constante d’affaiblissement des valeurs de la République au profit d’une vision ethnoreligieuse de la société.

Céline Pina : Il y a peut-être simplement une immense bêtise et une grande violence mais aussi une représentation dégradée de l’action publique et la difficulté à comprendre le rôle d’un élu. A défaut de stratégie, cela montre néanmoins à quel point la violence est constitutive du rapport à la politique de LFI. Dans notre société de spectacle, la pulsion est confondue avec la sincérité, la violence avec l’authenticité, le bruit et l’indignation surjouée avec la vérité. Or une parole publique est censée être tout le contraire. Elle doit être posée et réfléchie car elle est censée être le reflet de l’intérêt général. Ce n’est pas une parole spontanée, mais une parole construite et portée par des gens qui doivent avoir conscience qu’ils représentent plus qu’eux-mêmes. La sortie de Mme Obono n’est pas stratégique, mais elle est révélatrice de la violence et de la brutalité qui commencent à caractériser LFI, son leader et ses représentants. Aujourd’hui, tout comme le digne successeur de Jean-Marie Le Pen est plus Jean-Luc Mélenchon que sa fille en terme d’excès de langage et de niveau de vocifération, les équipes s’alignent sur le comportement du chef. Cela ancre LFI dans un rôle protestataire mais se révèle peu payant en terme de crédibilité. La dernière enquête « Fractures françaises » de la Fondation Jean Jaurès montre que pour la première fois, les Français considèrent LFI comme plus dangereuse pour la démocratie que le RN.

Ce que ce type d’agressivité (je ne crois pas une seule seconde que cela soit une boutade et de toute façon elle est parfaitement inadmissible) dit d’un parti, c’est aussi son absence de considération pour ce qui n’est pas lui. En dehors de ce qui le constitue, il n’y a que des ennemis et ceux-ci ne méritent que la violence. Cette dialectique de l’ennemi justifie que l’accession au pouvoir se fasse par tous les moyens. La rue et la violence sont légitimes quand on lutte contre le mal, contre des gens qui « mangent leurs morts » et n’ont donc aucune limite ni respect. Si on ajoute à cette représentation du monde et des relations politiques, la haine de la police et le refus de la légitimité des autorités, on se retrouve avec un mouvement qui conteste le socle de notre contrat social, les valeurs qui le fondent, accuse la démocratie de n’être qu’un leurre, justifie la violence politique, déshumanise ses adversaires et rêve de prendre le pouvoir par la rue et la révolution. On comprend pourquoi les Français jugent que LFI est le parti le plus dangereux pour la démocratie. Celui-ci leur a donné de très bonnes raisons de le penser.

Dans quelle mesure surfe-t-elle sur l’échec de l’intégration en France, en l'accentuant et l’instrumentalisant ?

Céline Pina : Si l’on s’éloigne de l’insulte « mangez vos morts » pour regarder de plus près le contexte et l’objet de ce tweet, on voit aussi à quel point la langue de bois accompagne l’insulte la plus crue et le déni le plus choquant. Quand Mme Obono écrit : « Les gens qui instrumentalisent la lutte des femmes en Iran contre l’oppression pour insulter et disqualifier la lutte des femmes en France contre l’oppression », elle réussit le triple exploit d’abord de nier que les femmes en Iran se révoltent contre leur condition d’inférieure que marque et symbolise le port du voile. Un voile qui marque l’infériorité de la femme et le refus de lui accorder l’égalité, qu’il soit porté volontairement ou non. Elle nie ensuite le fait que ce qui a été sifflé c’est bien le fait de présenter le voile comme une liberté alors que la réalité prouve que c’est un objet d’oppression. Enfin, en installant une équivalence entre l’oppression des femmes en Iran et celle qui régnerait chez nous, elle veut justifier la position de soutien de LFI au port du voile qui n’est que le symbole de leur alliance avec les islamistes. Au lieu de porter haut les valeurs d’égalité à raison du partage de la même dignité humaine, LFI défend le port d’un signe sexiste qui est le prélude à l’apartheid sexuel dont rêvent les islamistes. Le voile est un marqueur séparatiste et un moyen de mesurer physiquement l’emprise des islamistes sur la communauté musulmane. Par leur défense de ce marqueur communautariste et politique, LFI se fait le relais du refus de notre civilité et du refus d’accorder l’égalité en droit aux femmes. Ce parti porte en lui la régression de ce qui fait la base de notre contrat social et de notre civilisation, la foi en l’égalité en droit des hommes et en leur capacité de créer, par la raison, des institutions et une société politique qui les unit et leur permet d’agir ensemble.

Jean-Pierre Sakoun : Depuis quelques décennies il y a eu un échec de l’intégration, dû au fait que le personnel politique a oublié lui-même ce que c’est que d’être républicain. C’est un personnel politique qui s’est accommodé d’une vision communautariste de la société, qui a perdu le sens de la fraternité républicaine et de ce que signifie la République en termes d’émancipation. 

Mais à côté de cet échec de l’intégration, il y a aussi ce qu’on pourrait appeler « la réussite de la dés-intégration ». On ne peut sous-estimer le travail de fond d’organismes comme les Frères musulmans financés par les milliards du Qatar, et les menées séparatistes concurrentes mais aussi in fine complémentaires de l’Iran, de l’Arabie Saoudite ou de la Turquie, qui veulent, en Europe, construire la « communauté des croyants » sous la loi de la charia, contre les Nations sécularisées et contre les idéaux européens.

Autant il y a une faute majeure de la part des gouvernants qui depuis vingt ans ont renoncé à fabriquer des Français, autant il y a des gens en face d’eux dont c’est l’objectif et le métier que d’interdire que les musulmans s’intègrent. Et ceux-là sont d’une constance admirable dans leur volonté de séparer.

C’est pourquoi on peut parler d’idiots utiles. LFI, EELV, Obono, Rousseau, ne veulent pas le triomphe de l’islamisme et des Frères musulmans sur le territoire français. Ce sont juste des gens qui, soit ne comprennent pas la profondeur et la gravité de ce qui est en train de se passer, soit qui subordonnent tout, même le pire, à leur opportunisme électoraliste. Ce sont en ce sens des irresponsables.

Comment cela s’inscrit-il dans une logique plus globale que l’on retrouve chez certains membres de LFI ? Avec quel objectif ?

Jean-Pierre Sakoun : On ne peut généraliser à la NUPES. Le PS ou le PC sont des partis qui ont eu besoin de LFI pour assurer leur existence à l’Assemblée nationale mais ils sont en désaccord profond sur ces questions. LFI et EELV, eux, veulent imposer une transformation radicale, même si elle s’appuie sur un stratégie catastrophique et dangereuse. C’est par le prisme des droits individuels qu’EELV en arrive à flatter tous les communautaristes au nom de leurs « droits » et de leurs « libertés ». Chez LFI ça passe par la questions sociale ;  les musulmans sont les pauvres qui forment le nouveau peuple et il faut être du côté du peuple. 

Il y a des logiques politiques à l’œuvre qui sont différentes dans chacun des deux partis. Et je ne crois pas qu’il s’agisse pour les Verts comme pour les Insoumis de soutenir l’islamisme, sauf pour une petite frange de leur membres, eux-mêmes islamistes infiltrés dans ces partis et mouvements et dont il faut surveiller de près les agissements. Ils veulent bien plutôt faire triompher leurs points de vue, quels que soient les outils qu’ils utilisent, même si cela signifie qu’il leur faut faire un bout de route avec les Frères musulmans ou leurs épigones, sans se rendre compte que ce sont eux qui seront à la fin phagocytés… Leur action s’inscrit aussi dans une hostilité absolue aux Lumières et à la tradition républicaine. Ces gens-là sont profondément acquis à la vision de la gauche américaine - que l’on simplifie en l’appelant woke, communautariste ou décoloniale - qui colle parfaitement à la culture individualiste qui s’est répandue en Europe depuis une trentaine d’années. 

Ils croient être des révolutionnaires mais sont en fait des réactionnaires hostiles aux idéaux qui sont les nôtres, fondés sur le fait que les êtres humains se ressemblent plus qu’ils sont dissemblables. Ils sont dans une logique qui les amène à des alliances avec des gens qui sont objectivement des fascistes. On finit par voir des partis qui se disent de gauche être aveugles ou défendre des associations, des mouvements qui promeuvent des positions obscurantistes, homophobes, antisémites et patriarcales, au nom de leur rejet de l’idéal que nous tentons d’atteindre, qui n’est pas achevé et qui ne le sera jamais mais qui dans son imperfection, vaudra toujours mille fois mieux que leur vision d’une société de haine.

Céline Pina : Ce parti s’est enfermé dans une logique protestataire et destructrice. Il ne propose pas de chemin, n’a aucune vision de la société désirable qu’il chercherait à construire. Il n’est motivé que par la rage de mettre à bas une société et cherche à accentuer le désordre car il pense que son pouvoir viendra du chaos, de la violence et par la rue. Enfermé dans la haine et le rejet de ce qui n’est pas lui, de ce qui ne pense pas comme lui, il est dans une logique d’épuration. Faute d’être porteur d’un projet de société cohérent et partagé, il sombre dans la quête du bouc émissaire. Désigner l’autre comme un ennemi permet de faire oublier que l’on n’a rien à proposer au peuple et d’assurer son emprise sur la masse en cultivant la haine et le ressentiment.

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