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La crise démocratique de l'Occident, du pain bénit pour la Chine de Xi Jinping
©Naohiko Hatta / POOL / AFP

Bonnes feuilles

Face à un Occident atteint d’une forme de fatigue démocratique, la Chine poursuit résolument sa marche vers la superpuissance. Ce défi chinois, aujourd’hui économique et géopolitique, sera aussi à terme idéologique et culturel. Extrait tiré du livre de Claude Meyer, "L’Occident face à la renaissance de la Chine", publié chez Odile Jacob. 1/2

Claude Meyer

Claude Meyer

Claude Meyer, conseiller au centre Asie de l'IFRI (Institut français des relations internationales), a enseigné l'économie et les relations internationales à Sciences Po. Docteur en économie, diplômé en philosophie, sociologie et études asiatiques, il a publié de nombreux ouvrages, parmi lesquels : "La chine, banquier du monde" (Fayard, 2014) et L'occident face à la renaissance de la Chine (Odile Jacob, 2018).

 

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Élection de Donald Trump aux États-Unis, vote en faveur du Brexit au Royaume-Uni, échec massif du référendum Renzi en Italie, etc. : ces résultats électoraux surprenants ont déjoué en 2016 tous les pronostics, cristallisant un mouvement de désenchantement démocratique qui a débuté durant les années 1980 mais s’est fortement accentué récemment.

La forme représentative de la démocratie semble à bout de souffle en Occident et la profonde désillusion des citoyens à l’égard du processus démocratique se manifeste à travers plusieurs symptômes. Le plus préoccupant est le taux d’abstention record qui touche nombre de pays. Le second est la montée du populisme – terrain fertile pour les régimes autoritaires – qui découle d’ailleurs largement du premier car l’abstentionnisme favorise surtout les extrêmes. On l’a vu avec les scores élevés du Front national qui ont permis à Marine Le Pen d’être présente au second tour de la présidentielle française de 2017. Au cœur même de l’Europe, le Premier ministre hongrois Viktor Orban revendique une autre forme de régime, un « État non libéral », qui reposerait sur l’ordre, la famille, la religion, le contrôle de la presse, etc. Selon lui, les valeurs occidentales, fondées sur les droits de l’homme, le respect des minorités, l’État de droit et le libre-échange, ont fait long feu et il faut désormais s’inspirer d’États « illibéraux » comme la Russie, la Chine et une Turquie de plus en plus autoritaire.

Ces symptômes révèlent la perte de légitimité des représentants élus ainsi que la méfiance des citoyens à leur égard, voire leur rejet de politiciens professionnels qu’ils jugent déconnectés des réalités. Les victimes des crises économiques accusent les partis au pouvoir d’être incapables d’améliorer leur vie et de résoudre les problèmes de pauvreté et de chômage entraînés par les excès de la mondialisation. Pour expliquer cette impuissance des dirigeants, certains dénoncent leur soumission aux intérêts privés ou, dans le cas de l’Europe, leur démission face aux injonctions de technocrates bruxellois non élus. Le triomphe du néo  libéralisme aurait ainsi tué la démocratie qui suppose la possibilité de choix pour les électeurs entre différents systèmes socio-économiques. Aux yeux de citoyens de plus en plus nombreux, ce sont désormais les multinationales, les grandes banques et les organismes internationaux qui imposent leur volonté aux gouvernants et non l’inverse. Ils en veulent pour preuve la crise grecque : le peuple avait refusé l’austérité budgétaire à deux reprises – élections législatives et référendum – mais la volonté populaire a été bafouée par des institutions soumises aux puissances d’argent, qui sont restées insensibles aux conséquences dramatiques des restrictions budgétaires pour la population.

Plusieurs facteurs expliquent le développement de l’antiparlementarisme et la contestation de la démocratie représentative. Certains sont économiques : crises financières, mondialisation de la production et des échanges sans véritable gouvernance mondiale, développement techno  logique très rapide, etc. D’autres sont de nature politique, comme le rôle de l’argent dans les campagnes électorales et la perte de confiance à l’égard d’élus au mieux impuissants, au pire incompétents ou corrompus. Jouent aussi des facteurs socioculturels, tels que le retour du religieux et la crise d’identité face à la montée du multiculturalisme. S’y ajoute un phénomène nouveau observé lors de la présidentielle américaine de 2017, le débat politique « postvérité ». Dans ce processus pollué par un cortège de fake news (« fausses nouvelles »), les faits objectifs cèdent le pas aux émotions et croyances, véhiculées par un usage intensif des réseaux sociaux dans lequel Donald Trump, par exemple, est passé maître avec un art consommé pour les polémiques clivantes.

Un climat général délétère se dégage de cet ensemble de facteurs : les citoyens éprouvent une frustration croissante à l’égard de la démocratie représentative, devenue largement fictive à leurs yeux dans la mesure où elle ne représente plus l’intérêt général. Le mal est profond et les aménagements proposés – démocratie directe au niveau local, voire assemblée complémentaire de citoyens tirés au sort, etc. – ne sont pas à la hauteur du discrédit qui touche la démocratie représentative occidentale, confortant ainsi le sentiment de supériorité que la Chine éprouve à l’égard de son propre modèle.

Écouter le point de vue officiel chinois

Comme le montre bien l’éditorial cité précédemment, les difficultés de la démocratie occidentale sont pain bénit pour la Chine dans la mise en avant de son propre régime politique. L’article concernait les États-Unis mais la charge de l’organe officiel du Parti était tout aussi sévère auparavant pour condamner les mouvements de démocratisation dans le reste du monde, printemps arabes, Ukraine, Birmanie, Thaïlande, etc. :

Du Moyen-Orient à l’Afrique du Nord ou de l’Ukraine à la Thaïlande, tous [ces pays], sans exception, ont été entraînés sur la voie de la « démocratie à l’occidentale » et tous ont connu l’escalade de la politique de la rue, de meetings en manifestations et jusqu’au conflit armé.

D’une manière moins brutale mais tout aussi dogmatique, certains intellectuels chinois – familiers de l’Occident pour y avoir étudié ou enseigné – se font les propagandistes zélés du modèle politique de Pékin. Zhang Weiwei, professeur à l’Université Fudan, et le financier Eric X. Li, par exemple, sont omniprésents dans les médias occidentaux et y développent les mêmes arguments pour démontrer la supériorité du modèle politique chinois sur la démocratie occidentale. Ils estiment que l’opposition entre autocratie et démocratie n’est pas pertinente et que le critère de comparaison devrait être « bonne gouvernance contre mauvaise gouvernance ». Selon eux, la plupart des démocraties occidentales sont mal gouvernées et un pays non occidental qui adopte la démocratie « passe en général de l’euphorie au désespoir ou à l’anarchie ». Au contraire, les résultats en Chine parlent d’eux-mêmes : quelque 700 millions d’habitants ont été arrachés à la pauvreté durant les dernières décennies, une première dans l’histoire de l’humanité. À cela, une seule explication, l’excellence d’un système politique qui est à la fois efficace et légitime car il repose sur des mécanismes méritocratiques qui ont fait leurs preuves depuis des siècles. Il est ainsi parfaitement adapté aux 260 caractéristiques physiques, sociales et culturelles d’un pays qui est plus un État-civilisation qu’un État-nation.

L’efficacité et la légitimité du parti unique dans la gestion de l’État sont indiscutables selon Zhang et Li. Une des raisons essentielles du succès du Parti est sa capacité à gérer le long terme, sans avoir à se préoccuper d’échéances électorales. La planification stratégique est à la fois rigoureuse et flexible : elle fixe dans les plans quinquennaux les objectifs chiffrés à atteindre, qui sont ajustés chaque année en fonction de la conjoncture domestique ou internationale.

Efficace, le système politique est également légitime, affirment Zhang et Li qui en veulent pour preuve certains sondages. Selon celui d’Ipsos réalisé en octobre 2016, 90 % des Chinois estimaient que le pays allait dans la bonne direction. Les études d’opinion de Pew Research indiquent même une nette amélioration du taux de satisfaction depuis le début de la décennie 2000 : 87 % en 2014, contre 72 % en 2005 et 48 % en 2002. Cette légitimité du pouvoir exercé par le Parti s’inscrit, selon Zhang et Li, dans le droit fil de la tradition politique confucéenne. Le pouvoir du souverain reposait sur le « mandat du Ciel » qui lui était confié à raison de sa propre vertu mais cette sorte de contrat social avant la lettre était révocable si l’empereur ne remplissait pas sa mission : assurer l’unité du pays et garantir le bien-être de la population. Désormais le Parti exerce ce mandat et c’est de lui qu’il tire sa légitimité puisqu’il en respecte la double exigence, amélioration du niveau de vie des citoyens et maintien de la cohésion sociale nécessaire à l’unité du pays. Il exerce son pouvoir dans l’esprit confucéen de « gouvernement par la vertu » et exige de ses membres probité et souci de l’intérêt général. Le système de parti unique n’exclut pas la participation des citoyens : ils sont régulièrement consultés et ils peuvent choisir leurs représentants au niveau local, voire exprimer leurs doléances par les voies appropriées. Quant à la restriction des libertés tant reprochée par les Occidentaux, cela ne touche selon Zhang que « les plus radicaux parmi les radicaux ».

Le pouvoir du Parti est fondé sur la longue tradition méritocratique de la Chine impériale. La promotion des dirigeants dépend de leurs per  formances dans des domaines essentiels tels que le développement économique et social local, l’élimination de la pauvreté, la création d’emplois, la protection de l’environnement, etc. Xi Jinping par exemple, avant d’accéder aux plus hautes fonctions, avait été à la tête de deux provinces – le Fujian et le Zhejiang –, représentant ensemble 80 millions d’habitants et un PIB supérieur à celui de l’Inde. Sur la base de tels critères, l’actuel président américain et ses prédécesseurs n’auraient eu aucune chance d’accéder au poste suprême, persiflent Zhang et Li. Ils insistent sur les garde-fous qui encadrent le pouvoir du parti unique : les mandats des dirigeants chinois sont limités dans le temps et le leadership est pratiqué de manière collective dans le cadre du Comité permanent du Politburo. Pour ces thuriféraires du pouvoir, la comparaison entre modes de gouvernance chinois et occidental est sans appel, comme le montrent les sondages sur le niveau de satisfaction de la population dans les deux systèmes. Le professeur de Fudan ne se prive pas de rap  peler le jugement sévère sur la démocratie américaine de son confrère de Columbia, Joseph Stiglitz, pour qui le modèle rêvé par Abraham Lincoln d’un « gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple » est devenu celui « de 1 %, par 1 %, pour 1 % ». Le prix Nobel précise ainsi sa pensée : « Pratiquement tous les sénateurs et députés font partie des 1 % les plus riches, ils sont maintenus au pouvoir par l’argent des 1 % les plus riches et ils savent que lorsqu’ils termineront leur mandat, ils en seront récompensés par ces 1 % les plus riches. »

Si le modèle chinois est si efficace selon Zhang et Li, c’est parce qu’il est parfaitement adapté aux particularités du pays, trop souvent négligées par les Occidentaux : taille du territoire et de la population, extrême diversité des régions, etc. Comme le fut l’Empire romain d’Occident jusqu’à sa chute en 476, la Chine est en effet le produit de centaines d’États féodaux qui se sont progressivement agrégés au cours d’une longue histoire. Aujourd’hui encore, si 92 % de la population sont des Han – les « Chinois d’origine » –, on compte néanmoins 55 minorités nationales, qui parlent environ 200 dialectes différents avec pour langue commune le mandarin. Le pays compte 34 provinces – ou régions assimilées – dont les caractéristiques et les niveaux de développement sont très disparates.

Il n’est donc pas surprenant que, face à cette extrême diversité, la première valeur politique pour les Chinois soit l’unité du pays, qui repose sur un pouvoir absolu au niveau central et une large décentralisation au niveau provincial pour tenir compte des spécificités locales. Si la Chine devait adopter un régime démocratique de type libéral avec multipartisme et suffrage universel, le pays deviendrait très vite ingouvernable et s’enfoncerait dans l’anarchie, selon ces propagandistes du régime. D’ailleurs l’expérience a été tentée après l’instauration de la République en 1912 mais elle a plongé dans le chaos un pays ravagé par les luttes entre seigneurs de la guerre et a causé des dizaines de millions de victimes entre 1916 et 1928. La démocratie représentative est peut-être bonne pour l’Occident nous disent Zhang et Li, qui en doutent pourtant fortement, mais elle n’est absolument pas adaptée aux spécificités chinoises.

En résumé, le modèle chinois présente à leurs yeux au moins quatre avantages incontestables par rapport au système électoral occidental. D’abord le Parti communiste peut assurer efficacement le développe  ment national sur le long terme sans être affecté par l’alternance de partis d’orientations différentes ; cela ne l’empêche pas de faire preuve d’une remarquable réactivité face aux nouveaux défis et opportunités. De plus, par son système de sanctions à l’égard des cadres défaillants, le gouvernement en Chine est plus responsable que dans les sociétés démocratiques : à tout moment, les officiels y sont tenus responsables de leur incompétence, de leur négligence ou de leurs erreurs. Dans la démocratie électorale au contraire, les dirigeants échappent à toute mise en cause au terme de leur court mandat, voire dans l’exercice de leurs fonctions s’ils n’enfreignant pas la loi. Troisième avantage, le système de sélection des dirigeants est fondé sur le mérite et la performance, ce qui permet de les choisir parmi les membres du PCC les plus talentueux. Dernier point, sans doute le plus important pour Zhang et Li : le Parti peut vraiment représenter l’ensemble du peuple, alors que, dans le système multipartite occidental, les partis représentent des groupes d’intérêts différents. Le régime politique chinois évoluera sans doute, nous disent-ils, mais certainement pas vers le modèle démocratique occidental : au contraire, il le « transcendera », sans préciser davantage en quoi pourrait consister cette évolution

Extrait de "L'Occident face à la renaissance de la Chine", de Claude Meyer (Ed. Odile Jacob)

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