La crise a-t-elle signé le décrochage des économies développées au profit des émergents ?<!-- --> | Atlantico.fr
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En 2010, les pays émergents ont connu un rebond de croissance sans précédent alors que les pays occidentaux accusaient un net ralentissement.
En 2010, les pays émergents ont connu un rebond de croissance sans précédent alors que les pays occidentaux accusaient un net ralentissement.
©Flickr

Série : la crise 5 ans après

Alors que les économies occidentales s'enfonçaient dans la crise, les pays émergents ont quant à eux connu une montée en puissance. Quatrième épisode de notre série "La crise cinq ans après".

Jean-Joseph Boillot

Jean-Joseph Boillot

Jean-Joseph Boillot est agrégé de sciences économiques et sociales et Docteur en économie.

Il est spécialisé depuis les années 1980 sur l'Inde et l'Asie émergente et a été conseiller au ministère des Finances sur la plupart des grandes régions émergentes dans les années 1990. Il est aujourd'hui chercheur associé à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et coprésident du Euro-India Group (EIEBG).

Son dernier livre :  "Utopies made in monde, le sage et l'économiste" paru chez Odile Jacob en Avril 2021.  
Il est également l'auteur de "L'Inde ancienne au chevet de nos politiques. L'art de la gouvernance selon l'Arthashâstra", Editions du Félin, 2017.   et de "Chindiafrique : la Chine, l'Inde et l'Afrique feront le monde de demain" paru chez Odile Jacob en Janvier 2013.

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Cinq ans après la faillite de Lehman Brothers, la crise a-t-elle précipité, renforcé ou accéléré le décrochage des économies développées au profit des pays émergents ? Elle a clairement mis en lumière le découplage des tendances de croissance observé depuis une bonne décennie, mais ces derniers mois ont bien montré qu’on était ensemble dans le même bateau. Les pays riches ne peuvent plus faire fi des émergents, mais ces derniers ne peuvent pas faire fi non plus de ceux qui constituent encore près de la moitié du PIB mondial et maîtrisent les technologies haut de gamme.

Il est intéressant de revenir rapidement sur le film de la crise et de voir l’évolution des rapports de force dans les grands sommets internationaux depuis le dernier G8 de 2007. Il y a d’abord eu la constitution du G20 au sommet de Washington de 2008. Les pays émergents apparaissaient suffisamment puissants à cette époque pour être partie prenante de toute solution à la crise mondiale. Puis la tentation a été grande de ne leur donner qu’un strapontin. Il suffit de voir comment leur poids combiné dans les décisions du FMI ou de la Banque mondiale ne dépasse toujours pas 10-15%, et qui dirige de facto ces institutions.

Du côté des émergents, on a donc été assez prudent et on a développé la thèse que c’était la crise des pays riches, de leur finance folle et d’une consommation à crédit depuis trop longtemps. Le G20 s’est alors enlisé. D’un côté, les pays développés ont tenté de faire face à la crise avec chacun ses outils : expansion illimitée de la masse monétaire du côté des Etats-Unis, politiques de rigueur extrême en Europe, avec une crise de la dette qui mettra au moins dix ans avant de se stabiliser… au mieux.

De l’autre, les pays émergents faisaient la leçon aux cigales occidentales, même si la Chine s’est très tôt inquiétée d’une guerre commerciale et monétaire qui ralentirait forcément son économie. Avec Pékin, ils se sont tous lancés dans des politiques de stimulation de leur demande interne, avec un grand succès apparent dès 2009. Malgré le net ralentissement de la croissance (+2,7%), jamais l’écart de croissance n’a été aussi élevé avec le monde développé qui était en pleine récession (-3,5%). En 2010, les émergents ont même connu un rebond sans précédent : +7,4% de croissance.

Puis les choses se sont compliquées. Leur croissance a commencé à ralentir et elle va tomber à 4,4% cette année alors que l’économie américaine devrait rebondir à 1,5-2%. Surtout, les signaux d’un endettement excessif des pays émergents se sont multipliés, notamment chez les plus fragiles comme l’Inde, le Brésil, l’Afrique du sud, et même la Turquie et l’Indonésie. La pyramide de crédit de la Chine elle-même, qui dépend de plus en plus des marchés émergents pour ses exportations, a commencé à montrer des lézardes inquiétantes. Bref, les émergents sont apparus comme ayant eux-aussi des problèmes structurels, largement masqués, voire entretenus par l’excès de liquidités dans le monde. Leurs marchés actions sont souvent surévalués et certaines monnaies ne sont plus du tout compétitives en raison de l’écart d’inflation avec les pays industriels. La Chine, surtout, sait qu’elle est entrée dans un nouveau régime de croissance, plus proche de 5%, et que le syndrome japonais n’est pas loin.

Est alors arrivé le dernier sommet du G20 à Saint-Pétersbourg. On aurait pu penser que la leçon du chacun pour soi aurait porté ses fruits et que les deux mondes allaient améliorer la coordination des politiques économiques, et tout particulièrement des politiques monétaires. L’affaire syrienne a nettement perturbé le sommet. Et en raison bien sûr du rôle majeur de la Russie qui ne raisonne qu’en termes géopolitiques puisque c’est un pays aux rentes illimitées. Mais pas seulement. Ce qui surprend est en effet son succès à s’appuyer sur les BRICS qui agissent de plus en plus désormais comme un véritable club, face au G7 reconstitué de-facto.

On a vu notamment les BRICS se réunir en Afrique au printemps dernier et tenir un quasi sommet parallèle aux grandes réunions des institutions de Bretton Woods. Une sorte de nouveau sommet du Tiers Monde, 58 ans après à Bandoung. Sauf que certains de ces pays ne sont plus vraiment des pays pauvres puisqu’ils sont rentrés dans le top 10 des grandes puissances mondiales, au détriment très largement d’ailleurs des puissances européennes. Face à ce qu’ils perçoivent comme une trop grande lenteur à élargir la table des décisions, ils ont clairement tenté de construire un système parallèle avec par exemple l’annonce d’une banque de développement et d’un fonds de stabilisation des changes notamment, sans compter les déclarations politiques comme déjà le refus de toute intervention militaire en Syrie.

Il ne suffit pas d’avoir répété ces annonces à Saint-Pétersbourg pour qu’elles deviennent crédibles. Les BRICS ont comme seul point commun d’être des pays devenus puissants économiquement face au G7, mais divisés sur de nombreux points, incapables de mettre en place une structure alternative de régulation de l’économie mondiale, et confrontés enfin à de véritables défis économiques et écologiques. Ils peuvent potentiellement représenter un rôle de locomotive de l’économie mondiale, mais il faut pour cela que le train aille dans une même direction. A défaut, personne ne sortira gagnant d’un face à face comme à Saint-Pétersbourg. Ni les entreprises occidentales qui ont raison de jouer ces marchés en rattrapage potentiel fantastique, ni les entreprises des pays émergents qui se heurteront à un protectionnisme croissant.

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