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La Corse est un paradis fiscal mais pour les Corses. La Cour des comptes a décidé de le dénoncer. Ou le gouvernement étouffe le dossier ou alors c’est la guerre
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Atlantico Business

Ce mardi soir, la Cour des comptes a rendu public un rapport sur le système fiscal corse. Rien que sur les taxes indirectes, Bercy perd 80 millions d’euros par an. Et ne parlons pas de la fraude sur l’IRPP, l’impôt sur les sociétés, les successions et le capital.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Le problème n’est pas nouveau, chaque gouvernement depuis que la Corse existe (!) a reçu son rapport dénonçant les dérogations, les exonérations, les fraudes notoirement connues mais non sanctionnées dont bénéficient les Corses résidents ou plus souvent d’origine corse, mais rien n’y fait. On sait que le problème existe, chacun échange dans les dîners en ville son lot de petites histoires croustillantes, mais rien ne bouge.

La Corse est un magnifique exemple de résistance au changement et à la réforme. L’inconvénient c’est que le système ne profite qu’aux Corses

Le problème corse pourrait rester une anecdote exotique s’il n‘était pas représentatif de l’impuissance de l’Etat français à appliquer partout la même réglementation, au nom de l'Egalite républicaine. La France, qui est la première à dénoncer l’existence de paradis fiscaux dans le monde (et la France a raison), laisse vivre et prospérer deux départements entiers à l’abri des règles fiscales et administratives. L’île corse demande à bénéficier de tous les avantages de la République, l’école, l’éducation, la protection, les équipements collectifs mais s’arrange pour ne pas participer financièrement en protégeant des avantages acquis autrefois et des systèmes archaïques qui n’ont plus aucune raison d’être.

La Cour des comptes a donc mis son nez dans le maquis corse des contributions indirectes. Sait-on par exemple que les vins et alcools fabriqués et/ ou commercialisés en Corse ne sont pas assujettis à la TVA ? Ce privilège qui représente quand même 20 % du prix de vente des vins et des alcools n’a jamais fait l’objet d’un texte législatif.

En fait, cette dérogation remonte à l’époque de Napoléon qui, par décret, avait exonéré les négociants en vin et alcool de tout impôt, parce que le contrôle de la production et de la circulation était trop compliqué et par conséquent plus cher que ce que cet impôt aurait rapporté. Alors, Napoléon avait institué un prélèvement forfaitaire par personne, qui a été supprimé très rapidement.

Depuis, on a inventé la TVA bien sûr, qui devrait être appliquée partout sur tous les produits et services, mais la Corse a obtenu moult dérogations qui n'ont jamais été actées par le législateur.

L’exonération de TVA sur le vin par exemple n'existe que parce que le ministre de l’Economie en 1968 avait dit à la tribune qu’il ne fallait pas pénaliser les Corses en ces moments un peu troubles. Cette déclaration avait été actée au journal officiel et l’administration l’utilise pour ne pas réclamer la TVA sur les vins et les alcools.

Sur le tabac, c’est un peu la même chose. En dépit des efforts faits par tous les Français pour lutter contre le tabagisme, les Corse ou les visiteurs corses peuvent encore aujourd'hui acheter du tabac et des cigarettes 25% moins cher que sur le continent. Légalement cette exonération a été supprimée en 2009, mais bizarrement les Corses n’appliquent pas cette décision et personne ne leur dit rien.

Idem pour les carburants. Pour compenser les coûts de l'insularité, les Corses paient l’essence moins cher. Mais là encore, le processus de réalignement est prévu mais bloqué.

Autre exemple, les bouilleurs de cru, dont l’activité a été supprimée en France il y a plus de 30 ans, existent encore en Corse où chacun peut faire bouillir et vendre son alcool en franchise de taxe et de contrôle.

Le cas de la taxe à l’essieu est encore plus cocasse. Cette taxe s’applique normalement à tous les véhicules de marchandises de plus de 12 tonnes. Ça fait du monde chez les chauffeurs-livreurs.

"Alors, jusqu'au 1er janvier 2012, expliquent les magistrats de la Cour des comptes, cette taxe ne s’appliquait pas aux véhicules imposables et immatriculés en Corse". Comme certains députes se sont émus de cette distorsion, on a décidé du côté de Bercy de changer la taxe. La taxe est effectivement applicable aux véhicules immatriculés 2A ou 2B, mais, "sans plus de justification", dit la Cour, elle ne s'applique pas à ceux qui ne circulent "que dans l'île". Donc si on comprend bien, le véhicule immatriculé en Corse ne paie pas la taxe tant qu'il circule dans l’île de beauté, mais dès qu’il passe sur le continent et arrive à Neuilly, il devrait donc la payer. En bref, on installe des contrôles au terme desquels on a convenu qu'il était impossible d’interdire la circulation d’un véhicule corse sur le continent. Donc, c’est Kafka au profit des chauffeurs corses.

Toutes ces exonérations, dérogations représentent 80 millions de manque à gagner.

La Cour des comptes ne s’est pas penchée sur la fraude à la TVA, la fraude aux charges sociales, les oublis concernant l’impôt sur le revenu, les bénéfices des sociétés (qui de toute façon font très peu de bénéfices en Corse), les successions et le capital. Les deux départements de Corse sont parmi ceux où le produit de l’impôt sur le capital et sur les successions est le plus faible. Au bas mot, l’évasion fiscale dépasse les 3 milliards d‘euros.

Tout cela prouve qu’il existe en France des paradis fiscaux qui seront difficiles à démanteler. La Cour des comptes se réserve le droit de revenir sur ce dossier. Elle peut toujours essayer.

La Cour des comptes passe son temps à prouver que les institutions et les administrations françaises sont contrôlées dans leur activité, le contribuable pourrait être rassuré d’une certaine façon... Mais elle montre aussi que l’Etat français est impuissant à sanctionner les manquements graves à appliquer la législation et à gérer de façon rigoureuse l’argent public. 

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