La Corse a-t-elle été colonisée par la France ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Paul-François Paoli publie « Une histoire de la Corse française » aux éditions Tallandier.
Paul-François Paoli publie « Une histoire de la Corse française » aux éditions Tallandier.
©JULIEN DE ROSA / AFP

Bonnes feuilles

Paul-François Paoli publie « Une histoire de la Corse française » aux éditions Tallandier. Comment définir le lien de la Corse avec la France et quel est son fil conducteur ? Pourquoi ces deux entités si disparates ont-elles uni leurs destinées alors que, culturellement parlant, la Corse était plus proche de l’Italie ? Extrait 2/2.

Paul-François Paoli

Paul-François Paoli

Paul-François Paoli est l'auteur de nombreux essais, dont Malaise de l'Occident : vers une révolution conservatrice ? (Pierre-Guillaume de Roux, 2014), Pour en finir avec l'idéologie antiraciste (2012) et Quand la gauche agonise (2016). En 2023, il a publié Une histoire de la Corse française (Tallandier). 

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Le mouvement nationaliste est divisé entre autonomistes et indépendantistes. Une idée les rassemble  : la Corse a été « colonisée » par la France. Son identité a été aliénée et il faut la lui rendre. Néanmoins, les autonomistes pensent ce mal corrigible à travers une France fédéralisée tandis que les radicaux considèrent qu’elle doit se dissocier de la métropole et devenir indépendante. Nous sommes là au cœur d’un dilemme qui reste aujourd’hui aussi inextricable et complexe qu’il était il y a quarante ans. Comment démêler cette confusion, inaccessible au commun des Continentaux –  et parfois aux Corses eux-mêmes ? On ne peut reprocher aux Français de ne pas comprendre l’île car la question corse est d’une complexité décourageante, surtout à l’heure où les conflits géopolitiques, en Ukraine et ailleurs, menacent d’embraser la planète. De guerre lasse, beaucoup de commentateurs en sont venus à penser qu’il vaudrait mieux qu’elle soit indépendante et que le sujet soit clos. Si un référendum avait lieu à ce propos, il n’est pas exclu qu’une majorité de Français la lui accorde volontiers. Un dépit que Raymond Barre a exprimé en son temps avec cette formule restée célèbre : « Si les Corses veulent leur indépendance, qu’ils la prennent. »

En fait, dès le départ, la question de l’indépendance est mal formulée. Elle se pose d’ailleurs peu à l’époque de Pascal Paoli, qui préférait à l’indépendance une souveraineté limitée par un cadre protecteur. En revanche, si on juge que l’île a toujours été française contre son gré, l’idée même de sécession s’impose comme une conclusion logique. Il faut prendre garde aux mots qu’on utilise car ils entraînent des conséquences… Le fait est qu’il n’existe pas de nation colonisée qui n’ait accédé, tôt ou tard, à l’indépendance. Les Corses refusent depuis plus de cinquante ans cette perspective car ils n’adhèrent pas à cette analyse. La colonisation implique toujours une inégalité de statut entre le colon et le colonisé, ce qui n’a jamais existé sur l’île. Le colonialisme – ce fut le cas en Algérie – implique la séparation des communautés ; or en Corse, les pinzuti sont souvent mariés à des Corses et les femmes corses à des Continentaux. Il n’a jamais existé de frontière étanche entre les Corses français et les Français non Corses. Le terme « colonialisme » est donc inapproprié, ce qu’a reconnu le militant nationaliste Nicolas Battini qui, à travers son mouvement Palatinu, a mis à l’honneur la figure du résistant Fred Scamaroni.

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Si la Corse devient indépendante, quelle histoire enseignera-t-on aux enfants ? Sambucucciu d’Alandu remplacera-t-il Jeanne d’Arc, dont la statue trône dans tant d’églises sur l’île ? La littérature et les chants corses seront-ils étudiés à parité avec la littérature française ? Le poète et romancier corse Rinatu Coti sera-t-il enseigné au même titre que Jean Racine, Jean de La Fontaine, Charles Baudelaire, Victor Hugo, Paul Verlaine, Rimbaud, Balzac, Flaubert, Stendhal, Guy de Maupassant, Marcel Proust ? Qu’advient-il de la culture corse si on la dépouille de l’imprégnation ligure et toscane ? Cette île n’est pas la Sicile, dont le patrimoine intellectuel est immense, avec Luigi Pirandello et Leonardo Sciascia, parmi tant d’autres. La Corse compte des hommes extraordinaires : des soldats, des aventuriers ou des prophètes, comme Sampiero Corso, Paoli et Napoléon. Mais la culture corse réduite à la chaleur communicative de sa langue, de ses dictons et de ses chants magnifiques n’est pas à même, à elle seule, de subvenir aux besoins spirituels des Corses, à moins que ceux-ci se résignent à devenir des Américains comme les autres, des hilotes folkloriques de ces périphéries de l’Occident où Disneyland, Nike et Mbappé sont devenus les référents ultimes. Sans son héritage culturel français, l’île serait amputée d’une part d’elle-même. Nous sommes des italo-français ou des franco-italiens, peu importe l’ordre de déclinaison… La Corse ne peut se réduire à un schéma unique. Nous sommes corses, fiers de l’être, mais aussi heureux d’être les héritiers de deux civilisations qui ont nourri et enrichi l’histoire de l’Occident : la française et l’italienne.

En réalité le terme « colonialisme » a été utilisé depuis cinquante ans au sens large, « psychologique ». Les idéologues du nationalisme corse ont été à leur manière des « wokistes » avant-gardistes. Ils ont fait de leur ressenti de « colonisés » la base de leur relation à une France qu’ils jugeaient intrusive. Le concept de colonialisme a pourtant un sens précis, qu’il ne faut pas galvauder. « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde », affirmait Camus. Il y a colonialisme quand une puissance étrangère décide de la destinée d’un peuple à son insu. Comment soutenir que cela a été le cas alors que les Corses ont tant participé au destin impérial de la France en Algérie, en Indochine et en Afrique ? Sans eux, tout un pan de l’histoire de France s’écroule. Mais l’inverse est également vrai : sans la France, l’histoire de la Corse est tout simplement inintelligible. Certes, l’île a été acculturée à une langue, le français, qui n’était pas la sienne. Mais les Corses ont accepté ce mouvement, qui s’est confondu avec la modernité dont la France était porteuse au xixe siècle. Le vrai dilemme serait plutôt celui-ci  : en devenant française au xixe siècle, la Corse a-t-elle perdu une part de son âme ? On a le droit de le penser. Toutefois, ce n’est pas en « défrancisant » artificiellement la Corse et en imposant un bilinguisme administratif que nous retrouverons l’esprit de nos ancêtres. Ce serait trop simple… Le consumérisme de masse, qui a banalisé la Corse depuis soixante ans, serait advenu sans la France. Les défenseurs d’un retour de la Corse à une présumée identité originelle, s’ils étaient cohérents, proposeraient la réintégration de la Corse à la famille italienne, où la Corse jouirait alors peut-être d’un statut d’autonomie, à l’image de la Sardaigne. Mais Corses et Italiens le voudraient-ils ?

« Prétendant assurer la direction de la lutte nationaliste, le FLNC est condamné au substituisme : il prétend représenter le peuple quel que soit l’avis et le vote de ce dernier et obtenir directement de l’État ce qui lui est refusé par les Corses », écrivent Arrighi et Jehasse. Toute l’impasse du nationalisme clandestin tient dans cette formule. Pourquoi avoir commis une telle erreur ? Parce que les nationalistes corses ont cru pouvoir imiter le modèle algérien, celui d’une prétendue avant-garde qui parle au nom d’un peuple prétendument muselé.

En 1976, le FLNC s’octroie un rôle historique comparable à celui du FLN algérien, mais sans l’usage de la terreur. Les nationalistes corses ont certes assassiné plusieurs gendarmes et un légionnaire –  ce qui est déjà impardonnable –, mais ils se sont surtout entretués dans les années  1990. Chacun admet que ces années-là ont été nocives pour la Corse. Il est inutile de relater les péripéties qui ont amené la scission du mouvement clandestin : le FLNC Canal historique d’un côté, proche du parti A  Cuncolta ; le FLNC Canal habituel de l’autre, représenté notamment par le MPA (Mouvement pour l’autodétermination) d’Alain Orsoni. Ce maquis d’organisations est complexe. Il est avéré aujourd’hui que Pasqua, ministre de l’Intérieur de Jacques Chirac, avait établi une relation privilégiée avec le nationaliste François Santoni qui publia en 2000 avec Jean-Michel Rossi un livre mémorable, Pour solde de tout compte, réalisé avec le journaliste Guy Benhamou – lequel dut quitter la Corse après avoir été menacé. Cet ouvrage nous explique comment le nationalisme corse, sous sa version clandestine, a fini par se confondre avec une Corse caricaturale où règnent corruption et règlements de comptes, aux antipodes de ce que souhaitait Pascal Paoli.

Nul ne regrette en Corse cette période trouble marquée par l’assassinat du préfet Érignac le 6 février 1998, à l’origine de la plus grande manifestation de masse de l’histoire insulaire. Après ce meurtre, la Corse s’est à nouveau égarée dans des méandres dignes de L’Enquête corse de René Pétillon, avec un nouveau préfet qui n’était pas adapté à la situation de ce pays. Les péripéties de l’affaire des paillotes détruites illégalement sont dans toutes les mémoires. Bernard Bonnet a cru qu’il fallait, pour combattre l’État de non-droit régnant souvent en Corse, s’exempter de certaines règles. On se rappelle aussi les affrontements entre groupes nationalistes menant à l’assassinat de Santoni le 17  août 2001, peu après celui de son ami Rossi, qui fut criblé de balles dans un café de L’Île-Rousse un an plus tôt. Les deux hommes avaient dénoncé les collusions entre certains nationalistes et les milieux mafieux, notamment ceux du gang de la Brise de mer.

Extrait du livre de Paul-François Paoli, « Une histoire de la Corse française », publié aux éditions Tallandier

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