La COP ou la mort ? Ces guerres auxquelles la planète n’échappera pas si rien ne se passe sur le climat <!-- --> | Atlantico.fr
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Le tsunami de 2004 dans l'Océan Indien est la catastrophe la plus meurtrière des 30 dernières années, avec plus de 250 000 victimes.
Le tsunami de 2004 dans l'Océan Indien est la catastrophe la plus meurtrière des 30 dernières années, avec plus de 250 000 victimes.
©Reuters

Bombe climatique

En 2008, l'Union européenne qualifiait les changements climatiques de "multiplicateurs de menaces conflictuelles". Une idée largement reprise par les institutions militaires mondiales.

Jean-Michel Valantin

Jean-Michel Valantin

Jean-Michel Valantin, docteur et chercheur en études stratégiques, responsable de la rubrique "environment and security" de www.redanalysis.org, auteur de Guerre et Nature, l’Amérique se prépare à la guerre du climat (La Procure, 2013).

 

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Alexandre Taithe

Alexandre Taithe

Chercheur associé à la FRS (2006) - Attaché temporaire d'enseignement et de recherche (ATER) à l'Université de Pau et des Pays de l'Adour (2003-2005) - Consultant extérieur au CERI (2001-2002, travaux réalisés pour la DAS) - Chargé d'Enseignement à l'Université de Versailles-Saint-Quentin (1998-2002)

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Atlantico : Au regard des tensions déjà existantes, quelles sont les régions qui risquent d’être les plus affectées par les modifications climatiques futures, si rien n’est fait d'ici là ?

Alexandre Taithe : Les zones qui vont connaitre les plus graves crises climatiques sont les régions où règnent déjà une importante instabilité politique, économique et sociale. On pense alors à une bande allant de l’Afrique du Nord au Pakistan, en passant par le Moyen-Orient. Les impacts en termes d’accroissement de la chaleur et de pression sur les ressources vont être importants, tout en prenant en compte qu’une bonne partie de la population est rurale et dépend donc du secteur agricole. De plus, ces pays subissent une pression démographique colossale, ce qui induit un facteur de déstabilisation non-négligeable.

Dans cette zone, la pression sur les ressources en eau est également un facteur important pour la stabilité régionale. C’est dans ce sens qu’en mars dernier, le président égyptien s’est entendu avec ses voisins Ethiopiens et Soudanais pour partager les bénéfices du futur barrage du Millénium sur le Nil Bleu afin de pallier aux craintes de baisse du débit du fleuve.

Dans l’Afrique des Grands Lacs, on note une relation positive entre climat et conflictualité. Les années qui suivent celles à forte pluviométrie engendrent plus de conflictualité alors qu’au cours des années sèches, on assiste au retour des mécanismes anciens de solidarité et de partage. Les années pluvieuses donnent naissance à des stratégies d’enrichissement et d’accaparement. Le changement climatique modifie les regards sur les ressources naturelles avec le risque d’instrumentalisation de l’accès à ces dernières. Un lien entre instabilité politique et changement climatique est souvent indirect car par nature, on ne peut accorder une cause unique à un conflit.

En Asie du Sud et Sud-Est, les conséquences ne sont pas à penser en termes de conflit mais plus de sécurité. Par exemple, dans cette zone, certains états sont menacés comme les Maldives, le Bangladesh ou le Viêt-Nam. Là, la question touche à la souveraineté des Etats. Concernant le Bangladesh, le pays enregistre une densité record de plus de 1000 habitants par km² alors que près de 30 % de son territoire est menacé d’inondations et de submersion. L’inquiétude est vive car les pluies saisonnières de mousson sont de plus en plus importantes et tendent à s’amplifier dans le temps. Et à cela s’ajoute la montée du niveau de la mer. Tout cela concourt à faire craindre au Bangladesh des migrations saisonnières de grande ampleur impliquant des dizaines de millions de personnes.

Le Bangladesh est un merveilleux exemple de capacité d’adaptation aux changements climatiques car c’est un pays qui est habitué aux catastrophes d’ampleur et qui les gère mieux que ses voisins. Toutefois, les conséquences des changements climatiques effraient son voisin indien qui craint une migration climatique massive. C’est l’une des raisons qui a poussé l’Inde à ceinturer sa frontière d’une barrière. Même si son efficacité est contestable, elle symbolise bien une réponse à une forme de menace.

Aujourd’hui, de plus en plus d’Etats considèrent l’environnement comme un piège à la sécurité nationale. Il en résulte que ce ne sont plus uniquement les scientifiques qui parlent de réchauffement climatique mais aussi les diplomates, les économistes et les militaires. Les changements climatiques altèrent tous les secteurs de la société et au-delà puisque même au seuil des 2°, il n’y aura aucun pays gagnant.

Sur le plan géopolitique, il est intéressant de voir que les changements climatiques redessinent les relations internationales dans le sens où de nouvelles alliances se nouent. Depuis 2009 et la COP15 de Copenhague, les négociations sur le climat sont menées par une alliance plus ou moins formalisée entre les Etats-Unis et la Chine.

Jean-Michel Valantin : Rappelons que la relation entre le changement climatique et certains conflits en court et à venir est très complexe. Ainsi, en Syrie, la guerre civile, qui a commencé en 2011, a été précédée par une immense sécheresse entre 2006 et 2010, qui a détruit près de 60% des récoltes et a aggravé l’aridité de régions entières, ce qui a entrainé un gigantesque déplacement de populations rurales vers les villes, très mal géré par les autorités.

Les grandes tensions sociales et économiques qui ont accompagné ce processus ont été réinvesties dans les tensions politiques, la montée de la violence politique et la radicalisation confessionnelle connues par ce pays voisin de l’Irak, pays lui aussi très déstabilisé.

Aussi, les régions qui sont affectées par le changement climatique sont aussi bien celles qui subissent d’importantes modifications climatiques régionales, comme le Moyen-Orient, que celles qui se caractérisent par de grandes vulnérabilités sociales, économiques et politiques.

L’eau apparait comme un élément central de cette dynamique. Certaines parties du monde risquent de subir de graves pénuries alors que d’autres tendent à être submergées. Cette situation laisse-t-elle présager des crises migratoires et politiques pouvant déboucher sur des conflits ?

Alexandre Taithe : Prenons le cas de l’Arctique. La fonte des glaces révèle des ressources énergétiques considérables qui éveillent l’intérêt des pays qui bordent cette zone. Aujourd’hui, il n’est pas inenvisageable que des forces terrestres soient déployées de manière permanente ou ponctuelle pour un trafic maritime. Il y a une convergence d’intérêts stratégiques qui comprend la dimension environnementale et un regard politique qui a changé. Cela montre comment les changements climatiques transforment l’intérêt pour une zone. Les USA, la Russie, le Canada, la Chine, le Japon et les pays nordiques s’intéressent à l’Arctique, y compris sur un plan militaire. Toutefois, il est peu probable de voir dans cette zone éclater un conflit dans le futur en raison des conditions climatiques extrêmes qui caractérisent cette région.

Jean-Michel Valantin : La question de l’accès à l’eau, de son partage est un enjeu politique et stratégique ancré dans l’histoire profonde des groupes humains. Les effets du changement climatique renforcent et risquent d’aggraver ces tensions et d’en faire émerger de nouvelles.

Ainsi, depuis plus de 50 ans, il existe de graves disputes stratégiques entre la Turquie, qui est en amont du Tigre et de l’Euphrate, et qui a installé de six barrages sur leurs cours afin de développer l’Anatolie, et les pays en aval, à savoir la Syrie, l’Irak et les régions Kurdes.  La question du partage de l’eau a déclenché de nombreuses tensions stratégiques et militaires, qui, désormais se conjuguent aux guerres qui ravagent toute la région, alors que celle-ci est lourdement impactée par le changement climatique qui en aggrave l’aridité. 

Est-t-il plus juste de lier la dynamique "changements climatiques/conflits" à celles de la pression démographique et de la capacité des Etats à s’adapter ?

Alexandre Taithe : Oui, la plupart des conflits liés aux changements climatiques auront une base interne en déstabilisant le pays touché. Ils fragilisent toutes les composantes d’un Etat. Les Etats faibles ou faillis seront beaucoup plus vulnérables que les autres et c’est donc avant toute chose à des risques internes qu’ils s’exposent. Néanmoins, un pays déstabilisé peut créer un chaos régional.

Les conséquences des changements climatiques vont accentuer des fragilités existantes, qu’elles soient économiques, sociales ou politiques. En 2008, le "Livre Vert" de l’UE qualifie les modifications climatiques de "multiplicateurs de menaces". Il est alors préférable de parler d’instabilité plutôt que de conflits.

La pression démographique est un des facteurs importants à prendre en compte dans cette dynamique. Une population qui croit de manière non contrôlée est le reflet de carences de gouvernance. Pour les Etats, avant d’être une question de sécurité, le changement climatique est avant tout une question de développement. Cela correspond à la manière de voir les problèmes.

La mauvaise adaptation face aux changements climatiques peut avoir des conséquences sociales importantes. Quand on va remettre à plat le partage de l’eau, la redistribution va créer des tensions sociales. La question reste : comment légitimer ce nouveau partage ? C’est pareil pour les terres. L’accaparement et l’achat de terres par d’autres pays apparait comme une capacité d’adaptation pour se sécuriser mais cette stratégie créée plus de mal que de bien car des pays qui avaient de l’eau et des terres vont finir par manquer des deux. C’est le cas de Madagascar, qui pendant un temps avait cédé le tiers de ses terres à la Corée du Sud. Les réponses adoptées pour pallier aux changements climatiques peuvent devenir les causes de conflits.

Jean-Michel Valantin : Les tensions politiques liées au changement climatique ne dépendent pas d’un seul facteur, mais, au contraire, de la façon dont un grand nombre de facteurs interagissent. Le véritable enjeu est d’accepter la complexité et le caractère évolutif des situations. En effet, c’est l’ensemble des sociétés, des nations et des civilisations qui est mis sous pression par le changement climatique, qui est en interaction avec le cycle de l’eau, la production de nourriture, les écosystèmes, les infrastructures dont dépendent les vies des Terriens.

Ainsi, dans de nombreux Etats, les responsables militaires, qui sont de grands pragmatiques, prennent en compte les risques que font peser les effets conjugués du changement climatique et de la compétition mondiale pour des ressources naturelles qui se raréfient.

C’est le cas, par exemples, des ministères de la Défense Américain et Russe. Le Pentagone travaille à anticiper les crises liant environnement et violence politique qui pourraient le concerner, tout en faisant entrer les bases militaires US dans une démarche de développement durable, tandis que les Russes établissent un commandement militaire pour l’Arctique, dont le réchauffement bouleverse l’accès aux ressources énergétiques et minières.

Cependant, il s’agit en fait là avant tout de démarches nationales d’adaptation, bien plus que de facteurs de conflit.

Aussi, c’est en acceptant cette complexité "climato-stratégique" qu’il sera possible d’anticiper, et ainsi de prévenir, les tensions politiques et militaires à venir et de s’adapter tout en atténuant le changement climatique.

Dans l’histoire, il apparait que certaines civilisations ont été ébranlées ou se sont éteintes suite à des incidents climatiques. Nous pouvons penser dans ce sens aux civilisations de l’Indus ou à l’empire Khmer dont la chute au XVème siècle aurait été précipitée par des sécheresses à répétition. Que pouvons-nous apprendre de cela pour la gestion de nos risques contemporains ?

Jean-Michel Valantin : La connaissance de ces cas d’effondrement permet d’élaborer des indicateurs et des systèmes d’alerte pour identifier l’émergence de ces risques, désormais globaux. En fait, le véritable risque stratégique global réside justement dans la façon dont les différentes nations, sociétés, territoires, villes contemporains sont profondément interdépendants les uns des autres. La vulnérabilisation de certains peut se diffuser dans tout ce système d’interdépendances.

Ainsi, la grande sécheresse et les incendies qui ont ravagé les récoltes de céréales russes et ukrainienne de 2010 ont eu pour effet de faire monter les prix des céréales et de la nourriture, ce qui a été aggravé par la spéculation. Dans les pays en développement, dont les pays arabes, cela a donné lieu à d’immenses tensions sociales et politiques, qui ont aggravé celles existant déjà. Les "printemps arabes" résultent aussi de ces interactions.

Cette compréhension de la complexité permet de favoriser, partout, l’émergence de réponses adaptées et créatives, pour nous permettre de réussir les stratégies d’atténuation du changement climatique et d’adaptation à ses effets. Si nous savons les saisir, l’avenir est plein de promesses.

Dans cet ordre d’idée, il est tout à fait significatif de voir que, parmi et malgré les puissantes tensions politiques et stratégiques qui traversent le champ international, la COP 21 est l’occasion d’un immense effort politique de coopération, pour prévenir un danger global. La "climatopolitique" permet ainsi de transcender la "géopolitique". 

Alexandre Taithe – Il est dur de répondre à cette question. La plupart des études sur ce sujet sont des relectures de l’histoire qui risquent de biaiser la réalité. Il faut toujours se méfier du monocausal. Les changements climatiques à eux seuls ne peuvent pas être tenus pour responsable de telle ou telle extinction de civilisation. 

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