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La cohabitation comme cause de la déstructuration progressive des pouvoirs du chef de l'Etat
©STF / AFP

Bonnes feuilles

La cohabitation et le balancier entre la droite et la gauche ont-ils affaibli le rôle et l'efficacité du président de la République ? Extrait du livre 'Vie et survie de la Ve République. Essai de physiologie politique" de Jean-François Sirinelli, publié aux éditions Odile Jacob (2/2).

Jean-François Sirinelli

Jean-François Sirinelli

Jean-François Sirinelli est professeur émérite d’histoire contemporaine à Sciences Po. Spécialiste de la Ve République et des mutations socioculturelles de la France contemporaine. Il est l'auteur de nombreux ouvrages dont Les Révolutions françaises : 1962-2017.

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La fin  des présidents thaumaturges

La prégnance du clivage droite-gauche dans la vie politique de la Ve République avait été de facto confirmée par les premières élections  présidentielles  qui s’y  tinrent. Mis  à  part la  consultation de juin 1969, rendue atypique à la fois par le brusque départ du général de Gaulle quelques semaines plus tôt et par les basses eaux des gauches après l’ébranlement des législatives de juin 1968 quelques mois auparavant, les échéances de 1965, de 1974 et de 1981 s’étaient, en effet, globalement articulées autour d’une crête droite-gauche, avec d’ailleurs des contrastes chaque fois mieux  marqués entre les deux  versants :  si  1965 avait encore vu la présence d’un très solide candidat centriste au premier tour, Jean Lecanuet, 1974 avait enregistré à ce même tour un « candidat unique de la gauche », tandis que 1981 avait hérité  de  la  bipolarité  très  marquée  du  septennat  de  Valéry Giscard d’Estaing, en dépit des efforts de ce dernier pour ne pas s’enfermer dans un tel étau. Plus largement, et non seulement en raison de cet aspect binaire croissant, ces trois élections avaient paru confirmer d’emblée l’aptitude structurante de ce type de consultation : par essence, semble-t-il, celle-ci constituait chaque fois une sorte de nœud gordien que tranchait le suffrage universel, avec un processus jamais acquis à l’avance mais dont le dénouement engageait l’avenir.

Même si 1988, pour des raisons tactiques plus qu’idéologiques, fut délibérément placée par François Mitterrand sous le signe de l’ambiguïté par l’usage du slogan du « ni-ni » et du thème de la « France unie », l’élection présidentielle qui eut lieu à cette date demeura encore, à bien des égards, structurante. Elle  sembla  résoudre  par  le  suffrage  universel  une  situation jusque-là  inédite,  que  ce  même  suffrage  avait  mise en  place deux ans plus tôt : la cohabitation, au pouvoir, de la droite et de la gauche. Toujours la même disposition bipolaire, donc, mais placée en position historiquement singulière par les élections législatives de 1986. À bien y regarder, pourtant, 1988 introduisait  une  nouveauté  dans  le  paysage  politique,  mais considérée  davantage  sur  le  moment  comme  une  anomalie, ou  une  pièce  rapportée,  que  comme  un élément réellement important : un Front national crédité de 14,38 % des suffrages exprimés. Le dérèglement, en fait, était déjà à l’œuvre, mais la brillante réélection du Président sortant – 54,02 % lors d’un second tour où 84,06 % des inscrits s’étaient déplacés – dissimula largement la tectonique des plaques qui s’amorçait alors.

A sa façon, pourtant, l’élection de 1988 demeurait structurante, puisqu’elle mettait en lumière une tendance de fond qui s’amorçait à  la  même  époque : l’installation  d’une  force politique en position haute et durable à la droite de la droite. Bien plus complexes à déchiffrer, car davantage imprévisibles en  amont  et  surtout  moins  structurantes  en  aval,  seront  en revanche les échéances présidentielles suivantes. Non que leurs résultats  aient  été  désormais  politiquement  erratiques : elles continueront, au contraire, à condenser à dates régulières les principaux enjeux, à aimanter les principales formes politiques, tout en arbitrant au sein des partis les principales ambitions personnelles. Mais elles  ne  retrouveront  pas pour  autant les  mêmes  vertus  durablement  structurantes  qui  avaient  été les leurs jusque-là. Bien plus, une telle perte sinon de sens, en tout cas de capacité de polarisation politique, a été croissante au fil des consultations électorales suivantes, et, de ce fait, étudier la Ve République passe aussi, après 1988, par le constat d’une déstructuration progressive non du fonctionnement des élections présidentielles successives, mais de leur aptitude à conférer au Président élu les conditions d’un appui large et stable d’une partie de la communauté nationale. Leur dérèglement, de ce fait, n’est pas seulement à analyser sur le registre institutionnel ni  même, plus largement, sur  celui du constat de  la montée  en  puissance  de  la  démocratie  dite  d’opinion, où  celle-ci, devenue  plus volatile qu’auparavant, n’assurerait plus au nouveau chef de l’État le minimum politique requis : une adhésion durable, scellée  par le  pacte démocratique  que représente, au bout du compte, l’acte de voter. Cette déstructuration  débouche,  bien  plus  profondément, sur un  déficit d’incarnation : la présidentielle n’engendre plus un Président à qui sont donnés le temps et les moyens. Quelles que soient les qualités des intéressés leur sont de facto retirés les attributs dont  disposaient  leurs  prédécesseurs. D’une  certaine  façon, c’en  est  donc  fini,  après  François  Mitterrand,  des  chefs  de l’État à la forte marge  d’autonomie. Celle-ci se restreint donc  également dans ce domaine du pouvoir de faire, et  mener l’analyse de chacune des élections  présidentielles après 1988 revient à  rédiger la chronique d’une mort annoncée : celle des présidents thaumaturges.

Extrait du livre 'Vie et survie de la Ve République. Essai de physiologie politique" de Jean-François Sirinelli, publié aux éditions Odile Jacob

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