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En 2022, les deux plus grandes entreprises chinoises du secteur des batteries pour véhicules électriques détenaient, à elles seules, la moitié des parts de ce marché dans le monde.
En 2022, les deux plus grandes entreprises chinoises du secteur des batteries pour véhicules électriques détenaient, à elles seules, la moitié des parts de ce marché dans le monde.
©NHAC NGUYEN / AFP

La Chine et les batteries électriques

Contrairement au pétrole, il n’y a pourtant aucune fatalité géographique dans la répartition des capacités de production de batteries.

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou est directeur général adjoint du cabinet de conseil Sia Partners. Il est l'auteur de "Liberté, égalité, mobilié" aux éditions Marie B et "1,2 milliards d’automobiles, 7 milliards de terriens, la cohabitation est-elle possible ?" (2012).

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Atlantico : En 2022, les deux plus grandes entreprises chinoises du secteur des batteries pour véhicules électriques détenaient, à elles seules, la moitié des parts de ce marché dans le monde. À quel point la Chine domine-t-elle le marché ? Comment expliquer une telle domination ? 

Jean-Pierre Corniou : Absente de nos rues, l’automobile chinoise est restée longtemps une abstraction pour le grand public. Ce n’est plus le cas depuis le Mondial de 2022 à Paris où les constructeurs chinois ont démontré leur savoir-faire. Plus gravement, l’industrie chinoise a longtemps été perçue comme vassale des constructeurs occidentaux et asiatiques qui ont surtout vu en Chine, à travers les joint-ventures, l’immense opportunité d’un marché de 1,4 milliard d’habitants, puis, plus récemment une plateforme industrielle moderne destinée à exporter leurs propres produits. Mais quand on suit attentivement la progression régulière sur leur marché domestique des constructeurs chinois, on mesure à quel point l’industrie automobile chinoise a construit la capacité de devenir une menace réelle pour les constructeurs automobiles des grands pays producteurs que sont les Etats-Unis, l’Europe et le Japon. La pandémie, qui a démarré à Wuhan, grand centre industriel automobile, a rendu opaque la situation industrielle récente de la Chine. Mais les efforts ne se sont pas relâchés. Les industriels chinois sont des stratèges patients. Le développement de l’électrification de la mobilité en Chine a été acté dès 2012 par le « Development Plan for Energy Conservation and New Energy Vehicules Industry » pour la période 2012-2020. Le « NEV Industrial Development Plan 2021-2035 » fixe les objectifs de moyen et long terme du development technologique et industriel des véhicules à énergie nouvelle, qui sont concrétisé par le 14e Plan. Le gouvernement et les industriels chinois ont fait preuve dans l’industrie automobile d’une grande prudence, beaucoup plus, en leurs temps, que leurs homologues japonais et coréens. Ils ont en effet mesuré, grâce à leur expérience dans les joint-ventures créées avec les grands constructeurs mondiaux depuis les années 80, que l’industrie automobile était une industrie exigeante qui impose une maîtrise parfaite de toute la chaîne de valeur. Et pour devenir leader, ils se donnent le temps et les moyens d’apprendre sans prendre le risque de s’exposer à des échecs sur les marchés automobiles les plus exigeants de la planète, les Etats-Unis, l’Europe, le Japon. 

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2022 marque un tournant majeur. La Chine n’est plus cet acteur marginal du marché mondial de l’automobile avec des exportations inférieures au million de véhicules sur des marchés secondaires. Avec 3,1 millions de véhicules exportés, une augmentation des exportations de 54% par rapport à 2021, pour une valeur de 16 milliards $, la Chine fait désormais jeu égal avec l’Allemagne qui a exporté en 2022 3,2 millions de véhicules. De plus la Chine exporte ce qu’elle a appris à bien faire, seule, les véhicules électriques à hauteur de 675 000 véhicules en 2022, soir 22% des exports, même si une partie de ces véhicules sont encore des véhicules électriques occidentaux produits en Chine, comme la Dacia Spring, la Tesla Model 3 ou la BMW iX3. Mais 100 000 MG, la marque électrique du groupe SAIC, ont été exportées en Europe. La raison de ce succès est la maîtrise de toute la chaine de valeur et au cœur de cette performance se situent les fabricants de batteries. 

Dans quelle mesure cette situation de quasi monopole est-elle problématique et pourrait nous coûter cher, tant sur le plan économique que diplomatique ? 

La menace est en effet réelle car les constructeurs et équipementiers chinois ont pris de l’avance. Les constructeurs asiatiques et occidentaux ont depuis plusieurs années compris que la réorientation du marché chinois vers l’ensemble des solutions de mobilité électrique était une menace sur leurs marchés traditionnels  comme une opportunité. Mais les véhicules produits en Chine sont équipés de batteries chinoises et une partie de la valeur ajoutée est donc captée par les producteurs chinois de batteries. La solution pour échapper à cette situation est de produire hors de Chine des véhicules équipés de batteries produites en Europe, ou aux Etats-Unis, et c’est bien le combat qui est mené.

La Chine a produit, en 2022, 26,8 millions de véhicules, VU et VP. C’est de loin le premier producteur automobile mondial et, pour y parvenir, l’écosystème qu’elle a construit au fil des années est puissant et efficient. L’électromobilité est une priorité absolue du gouvernement chinois et tout concourt à faire de la Chine un territoire d‘excellence dans ce secteur. 5 millions de bornes de recharges y sont installées, les villes ont depuis longtemps chassé les deux roues thermiques, et le marché de bus est totalement dominé par les véhicules électriques depuis plusieurs années. La performance des producteurs de batteries s’appuie ainsi sur un marché abondant et diversifié dans les usages. 

Naguère marginale, l’industrie chinoise sous marques chinoises grignote ce qui est devenu le premier marché automobile du monde. Les constructeurs chinois y représentent en moyenne 44% de part de marché avec des marques totalement inconnues en dehors de Chine. Mais ils ne sont pas absents de l’autre moitié du marché. 

Peu de gens se souviennent que le « suédois » Volvo est passé sous le contrôle du constructeur privé chinois Geely en 2010. Plus encore, Geely, qui n’a été créé qu’en 1986, a pris une participation de 9,69% au capital du constructeur emblématique de l’industrie automobile allemande, Daimler, pour 7,2 milliards € et de créer en 2022 un partenariat avec Renault pour la gestion du nouvel ensemble « Power » regroupant les motorisations thermiques. Geely a exporté en Europe en 2022 15 000 unités de sa marque Lynk & Co, et au total dans le monde près de 200 000 voitures. 

Si CATL dispose de plus de la moitié du marché chinois des batteries, son concurrent immédiat, BYD, est aussi constructeur automobile. BYD est une entreprise récente qui n’a été créée, à Shenzhen, qu’en 1995 pour produire des batteries pour appareils électroniques. Sa filiale BYD Auto a été lancée en 2003, la même année que Tesla. Initialement constructeur généraliste, BYD a cessé́ toute fabrication de véhicule thermique en mars 2022. En 2022, l’entreprise dispose de trente installations industrielles dans le monde. C’est une entreprise pensée pour devenir un pôle global d’innovation dans les secteurs de la mobilité et de l’innovation. BYD a mis en place six instituts de recherche qui couvrent l’innovation dans les secteurs de la mobilité́, automobile, camions, bus, mais aussi dans les technologies traversantes comme les matériaux, l’engineering, les technologies et l’environnement. BYD a été une des premières entreprises automobiles à imaginer un projet industriel entièrement fondé sur une stratégie zéro émission. Elle partage d’ailleurs avec Tesla cette vision. C’est dire que l’expérience automobile récente de BYD est assez spectaculaire et il est évident que cette entreprise dynamique ne se laissera pas dépasser par ses concurrents européens et américains sans réagir 

L’Allemagne a anticipé cette mutation du marché mondial et a fait de la Chine son premier marché. Elle y a investi massivement depuis les années quatre-vingt. Fort de cette structure industrielle, les constructeurs allemands comptent faire de la Chine leur base industrielle mondiale et par là renforcer leur position concurrentielle, puisque leur rentabilité en Chine permettra de financer leur R&D pour développer la nouvelle génération de véhicules, électriques, connectés et autonomes. Ils ont d’ailleurs répondu aux orientations du gouvernement chinois en annonçant le lancement de très nombreux véhicules électriques en Chine. Volkswagen prévoit d’investir dix milliards € pour produire 40 modèles de véhicules électriques dans au moins six usines. Volkswagen Anhui est la première joint-venture, avec JAC Automobile Group, créée en 2017, consacrée aux véhicules « new energy » (NEV) et vient de lancer la production dans sa première usine à Hefei en décembre 2022 pour produire 350 000 véhicules par an. 

Il faut souligner l’excellente performance des équipementiers français en Chine où Valeo, Faurecia, Plastic Omnium enregistrent des croissances à deux chiffres de leur chiffre d’affaires, grâce notamment à leurs clients chinois qui, montant en gamme et en fiabilité, ont besoin de leurs technologies. Valeo réalise plus du tiers de son chiffre d’affaires en Chine avec les constructeurs locaux.

L’Union Européenne a réagi à la nécessité de doter l’industrie automobile européenne d’une capacité propre de production de batteries. Mais les champions chinois investissent également en Europe. CATL a annoncé la création d’une usine à Erfurt, qui viendra compléter son usine hongroise, annoncée en 2022, avec une capacité de production de 100 GWh.

Les entreprises américaines et européennes, complètement absentes du top 10 des constructeurs de batteries, essaient-elles de combler leur retard face à la Chine ? Face à quels problèmes se heurtent-elles ? 

Il n’y  aucune fatalité qui s’opposerait à ce que les constructeurs américains et européens développent une compétence propre en matière de batteries ; c’est tout simplement un secteur qu’ils abordent plus tardivement que leurs concurrents chinois car ils ne l’ont pas jugé prioritaire, confiants dans leur maitrise des moteurs thermiques, dont la Chine était dépourvue au même niveau technique, et, singulièrement, en Europe, rassurés par leur expertise sur les moteurs diesel qui ont longtemps été considérés comme suffisamment vertueux en termes d’émission de CO2 pour retarder, sinon éviter, l’abandon des moteurs thermiques. C’est le « diesel gate », entre 2009 et 2015, en cassant la confiance sur les vertus environnementales des moteurs diesel, qui a accéléré la chute du thermique et rendu un virage inéluctable.

La maîtrise des approvisionnements en matières premières nécessaires à la production de véhicules électriques n’est pas comme on le prétend souvent un obstacle majeur car le lithium, par exemple, est abondant sur la planète mais n’a pas fait l’objet de mise en production car les volumes disponibles étaient jusqu’alors suffisants. L’augmentation de la demande va pousser l’industrie minière aux investissements nécessaires, y compris sur le sol européen. Par ailleurs, si la filière ion-lithium est jugée aujourd’hui la plus performante, d’autres techniques de batteries sont explorées et testées et feront appel à d’autre matériaux.  Les constructeurs cherchent par exemple à s’affranchir du cobalt, produit en RPC dans des conditions considérées comme non éthiques. La situation technologique n’est pas figée, les recherches sont très actives et on annonce pour la fin de la décennie une migration du marché vers les batteries solides. L’industrie européenne et américaine évoluera si elle est certaine de disposer d’un marché suffisant et els orientations politiques offrent le cadre nécessaire à la justification de ces investissements. 

Le Parlement Européen, en actant la fin de la production de véhicules à moteurs thermiques à partir de 2035, nous livre-t-il à l’invasion automobile chinoise ? 

Cette décision, entérinée par la Commission et les États membres fixe un cap à l’industrie européenne. Elle indique que l’Europe a décidé, comme la Chine, de faire de l’électromobilité le fer de lance de son industrie automobile et donc d’aligner l’ensemble de son système de production sur cet objectif structurant.  La Chine a démontré que la volonté politique associée à la mobilisation des industriels procurait les résultats attendus. Il y a bien naturellement deux lectures antagonistes de ce choix. Pour certains, c’est sacrifier 140 ans d’héritage d’un savoir-faire automobile acquis, depuis Beau de Rochas, Daimler et de Dion Bouton, autour de la maitrise des motorisations thermiques sur lesquels les constructeurs européens excellent, tant dans le très haut de gamme d’exception avec des marque mythiques comme Ferrari ou Porsche que dans la maitrise des moteurs de petite cylindrée performants. Il est indéniable que c’est la performance de ses moteurs qui a construit la réputation de l’industrie européenne. La seconde lecture de ce virage brutal est plus positive. Il s’agit en effet, face au déclin inéluctable des moteurs à combustion interne incompatibles avec les exigences d’une action ferme sur les émissions de CO2, de réorienter l’excellence européenne vers l’électrification en créant sur les bases des compétences automobiles acquises une industrie complète du véhicule électrique. En couvrant toutes les activités nécessaires, des matériaux de base, lithium, cobalt, manganèse, nécessaires aux batteries, aux moteurs électriques sans terres rares, qui est devenu une spécialité de Renault, aux piles à combustible, et à la créativité dans les formes de véhicules, l’industrie européenne est en mesure de répondre aux besoins d’un marché exigeant. Il faut d’ailleurs rappeler que les moteurs thermiques ne disparaitront pas car une grande partie du marché mondial n’est pas encore en mesure de basculer vers l’électrification de la mobilité. L’expertise européenne sera indispensable pour continuer à innover pour produire des moteurs thermiques à basse émission. 

C’est en tout cas le pari de la Commission et les constructeurs, après de multiples réticences initiales, se sont rangés derrière cette vision. L’Union européenne, avec son plan batteries, a d’ailleurs démontré une étonnante capacité de mobilisation à laquelle nous n’étions pas habitués en Europe. 30 gigafactories, dont quatre en France, sont en cours de construction ou en projet, même si certains n’aboutiront pas ; néanmoins l’objectif est de produire 25% de la capacité mondiale de batteries en Europe en 2030. 

Le CES 2023 à Las Vegas a démontré par la présence de Stellantis et de BMW dans des key notes remarqués, mais aussi avec les stands dynamiques des équipementiers ZF, Bosch, Valeo, Plastic Omnium, Forvia Faurecia que toute l’industrie européenne faisait front pour offrir les solutions nécessaires à l’électrification de la mobilité et aux véhicules connectés innovants. Il faut ainsi souligner que Plastic Omnium, spécialiste des réservoirs à hydrogène, présentait sur son stand une pile à combustible, comme le CEA. Batteries et piles à combustibles sont en effet, selon les usages, en compétition. L’Europe n’est pas en retard sur les piles à combustible et dispose avec Air Liquide d’un champion mondial de l’hydrogène.

L’Europe dispose d’une industrie automobile robuste et puissante. Même si sa prise de conscience du potentiel de l’électrification de l’ensemble des vecteurs de mobilité est plus tardive que celle de la Chine, elle montre une réactivité stimulante qui doit désormais être accompagnée par le support des consommateurs, encore rétifs face aux prix de ces véhicules. La décennie va être capitale à la fois pour faire baisser les prix, doper l’industrie européenne par l’innovation et les volumes de ventes, accompagner les mutations de l’emploi et construire les infrastructures d’accueil nécessaires en Europe. La prise de conscience est là et les chantiers de Gigafoctories en Europe démontrent que cette vision est devenue opérationnelle.

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