La Chine a un nouveau plan à 5 ans... et ne veut plus du reste du monde<!-- --> | Atlantico.fr
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Xi Jinping entouré de délégués du Parti communiste chinois, le 11 mars 2021.
Xi Jinping entouré de délégués du Parti communiste chinois, le 11 mars 2021.
©NICOLAS ASFOURI / AFP

Repli stratégique

Le quatorzième plan quinquennal de la Chine, récemment approuvé par le Parti communiste chinois, donne pour objectif au pays d’atteindre l’autosuffisance. Ce recentrement du pays sur lui-même doit lui permettre de se satisfaire d’un marché interne de plus d’un milliard de consommateurs.

Emmanuel Lincot

Emmanuel Lincot

Professeur à l'Institut Catholique de Paris, sinologue, Emmanuel Lincot est Chercheur-associé à l'Iris. Son dernier ouvrage « Le Très Grand Jeu : l’Asie centrale face à Pékin » est publié aux éditions du Cerf.

 

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Atlantico : Le quatorzième plan quinquennal de la Chine, récemment approuvé par le Parti, donne pour objectif au pays d’atteindre l’autosuffisance. Est-ce un changement de stratégie de la part de Xi Jinping ? Le temps des réformes favorables au marché est-il terminé ?

Emmanuel Lincot : C’est un repli stratégique, un recentrement sur la Chine elle-même et son environnement proche. Xi Jinping tient compte ici de plusieurs éléments : un découplage industriel en cours, une hostilité croissante de l’Occident à l’encontre de la Chine. Les réformes se poursuivent mais autrement. Le pari est de se satisfaire d’un marché interne de plus d’un milliard de consommateurs, autant en Asie du Sud-Est avec les pays de l’ASEAN avec lesquels le RCEP a été signé il y a quelques mois. Atteindre l’autosuffisance est toutefois une utopie. Sur le plan alimentaire notamment, la Chine est confrontée à une raréfaction drastique de ses terres arables. Sa dépendance de l’extérieur restera forte et sa consommation continuera à tirer les prix mondiaux des denrées les plus élémentaires vers le haut. Ne jamais perdre de vue que les Printemps arabes sont pour partie nés de cet affolement des cours du marché dans le domaine céréalier, par exemple. A l’autre extrémité du spectre économique, la fabrication des semi-conducteurs de nouvelle génération dépend encore à ce stade de l’ingénierie étrangère. Enfin, troisième exemple de nature stratégique, le pétrole dont la Chine restera le premier plus gros consommateur au monde dépend des marchés iraniens et arabes pour une majeure partie. Si les relations avec Téhéran sont bonnes, très bonnes même, elles tendent précisément à éloigner Pékin des producteurs arabes, lesquels sous la pression de Donald Trump, se sont rapprochés d’Israël. La relation avec l’ensemble des Proche et Moyen-Orients va en être fragilisée et pousser l’ensemble du monde à des reconfigurations inédites. Les tensions entre la Chine et le monde vont donc croître surtout dans les régions situées à l’interface entre Pékin et Washington et plus particulièrement, les régions maritimes.

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Est-ce le signe d’une redéfinition des rapports entretenus par la Chine avec le monde extérieur ?

Oui, se forme sous nos yeux une logique de bloc. Il ne vous a pas échappé qu’à la suite de l’échec de la rencontre sino-américaine d’Anchorage, le Ministre russe des Affaires étrangères Lavrov s’est rendu à Pékin. Le duopole de la puissance sino-russe va donc se renforcer tandis que certaines régions du monde vont, elles, se fractionner par l’action de leviers antagonistes. Parmi ces leviers, la puissance de l’Inde dont l’intérêt stratégique est de repousser contre son rival sino-pakistanais les zones de conflits traditionnels (Cachemire, Himalaya, Balouchistan) en dehors des zones frontalières, c’est-à-dire vers des régions situées plus à l’ouest encore (Etats du Golfe) ou en Asie centrale. Ce sont ces régions et dans leur prolongement géographique, l’Europe, qui vont être le théâtre de ces affrontements. Les dommages collatéraux opèrent comme autant de secousses sismiques. Autant, l’extérieur avait été vécu par la Chine comme une opportunité, autant il est désormais perçu comme une menace. C’est d’ailleurs un sentiment très largement partagé, en Occident tout autant. Cette rétractabilité de l’horizon mental épouse une tendance de fond qui est celle d’une association de la souveraineté à celle du territoire. Autrement dit, cette redéfinition des rapports entretenus par la Chine avec le monde extérieur met un terme à un cycle de 40 ans, celui du néo-libéralisme et d’une économie à flux tendus au niveau international.

Comment la Chine compte-t-elle réduire sa dépendance à l’importation ?

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Par une coopération accrue avec ses alliés du sud-est asiatique, de la Russie, de la Turquie et de l’Iran. L’emprise chinoise sur la Birmanie, la Thaïlande ou le Cambodge va se poursuivre. Avec la Russie, c’est un strategic hedging qui va se maintenir : soutien militaire de l’une, développement des projets d’infrastructures dans des régions convoitées qui restent toutefois à sécuriser pour l’autre. Quant à l’Iran et la Turquie, ces deux puissances régionales finiront par intégrer l’Organisation de Coopération de Shanghai consacrant ainsi la division du monde entre les pays de l’entente « abrahamique », pour parler le langage d’un Gilles Kepel (Israël et pays arabes d’un côté), contre les pays musulmans non arabes se rangeant quant à eux aux vues du duopole sino-russe.  

Quels sont les risques de cette stratégie ? Cela pourrait-il constituer une menace pour l’innovation du secteur privé ?

Tout réflexe de clôture est un signe d’affaiblissement et de confrontation. Une seule solution par le haut existe : c’est le renforcement d’un système international qui puisse à la fois établir des lignes de conduite et permettre aux grandes puissances de dialoguer. Car l’absence de dialogue, c’est la guerre. Je ne vois qu’une puissance à venir, et qui soit en mesure de se hisser à la hauteur de cette mission. C’est l’Union Européenne. Pour la Chine, cette situation est dramatique et balaie près d’un demi-siècle d’efforts et de diplomatie qui avaient su sortir le pays de l’expérience folle et criminelle du maoïsme. C’est aussi le renoncement à la part la plus inventive de la nation chinoise : ses initiatives privées, le génie de ses hommes d’affaires à créer des entreprises. Car ce recentrement de la Chine va en effet renforcer le pouvoir de l’Etat et partant, celui du Parti c’est-à-dire asphyxier le meilleur de la créativité. C’est naturellement un crève-cœur que de voir cette intelligence individuelle et collective à ce point sacrifiée.

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