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Quand la CGT croit que les emplois se créent par magie
©Reuters

Abracadabra

Pour le numéro 1 de la CGT, un million d'emplois se créent, tous les 5 ans en France, "de manière naturelle".

Jacques Bichot

Jacques Bichot

Jacques Bichot est Professeur émérite d’économie de l’Université Jean Moulin (Lyon 3), et membre honoraire du Conseil économique et social.

Ses derniers ouvrages parus sont : Le Labyrinthe aux éditions des Belles Lettres en 2015, Retraites : le dictionnaire de la réforme. L’Harmattan, 2010, Les enjeux 2012 de A à Z. L’Harmattan, 2012, et La retraite en liberté, au Cherche-midi, en janvier 2017.

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Atlantico : Le secrétaire national de la CGT, Thierry Lepaon, a déclaré vendredi : "un million d'emplois, c'est ce qui se crée sur une tranche de cinq années de manière naturelle dans notre pays. C'est le solde net de créations d'emplois". Que faut-il en penser ?

Jacques Bichot :Selon l'INSEE, l'emploi total en France atteignait 19 millions en 1954, et 25,7 millions en 2012. Les créations d'emploi nettes se sont donc élevées à 6,7 millions en 58 ans, soit en moyenne 115 000 par an : les 200 000 créations annuelles dont parle le leader de la CGT s'observent seulement les bonnes années.

Évidemment, on peut considérer les bonnes années comme étant "naturelles", et les mauvaises comme résultant du malheur des temps, de la méchanceté des capitalistes ou de l'ineptie des dirigeants politiques, selon la grille de lecture que l'on privilégie. Si Thierry Lepaon estime que les défauts du capitalisme et des chefs d'entreprises jouent un rôle important dans l'insuffisance des créations d'emplois, il devrait logiquement se réjouir du fait que le principal leader des "patrons" donne comme objectif à ses pairs de créer au cours des 5 prochaines années 70 % d'emplois supplémentaires par rapport à ce qui se fait ordinairement : après tout, peut-être les responsables d'entreprises sont-ils en train de devenir un peu moins "salauds" qu'il ne pensait qu'ils le sont ?

Est-ce que Thierry Lepaon croit vraiment à cette affirmation ? Si non, pourquoi le dit-il ? Quel est son objectif ?

Il est probable que Thierry Lepaon connaît les chiffres que j'ai cité. Mais le discours syndical, comme le discours politique, n'aime guère "les durs pépins de la réalité", pour parler comme Prévert. Il veut minimiser le mérite qu'auraient ses partenaires (ou adversaires ?) patronaux à créer beaucoup d'emplois. Il veut donner à penser que les pouvoirs publics font un marché de dupes en payant pour obtenir ce qui se produira de toute façon "naturellement".

Le MEDEF veut que l'État aide les entreprises à restaurer leurs marges. Thierry Lepaon pourrait se réjouir de voir la principale organisation patronale partager avec lui l'illusion selon laquelle les pouvoirs publics disposent d'une cassette inépuisable dans laquelle il lui suffit de piocher pour résoudre tous les problèmes. Mais peut-être est-il assez lucide pour se dire que si les patrons se mettent eux aussi à tendre la sébile pour résoudre leurs problèmes, ce sera la fin des "cochons de payant" dont les syndicats et l'État ont besoin pour vivre à leurs crochets ?

Quelles conséquences concrètes cette idéologie a, en ce moment, sur le dialogue social ? E plus globalement sur le débat économique en France ? 

Le dialogue social est biaisé, en France, par l'appel incessant qu'y font les pouvoirs publics. Ceux-ci interrogent les partenaires sociaux à temps et à contretemps, comme si c'était cela la démocratie. Il faudrait recentrer le dialogue social sur l'entreprise. La sécurité sociale, notamment, c'est-à-dire 30 % du PIB, n'a pas de rapport direct avec l'entreprise, sauf en ce qui concerne l'assurance accidents et maladies du travail. Il n'y a aucune raison pour que les ressources de la sécurité sociale, en dehors de cette branche, reposent sur des cotisations dites "patronales".

Toutes les cotisations de sécu devraient être salariales. Les syndicats auraient alors à discuter avec le patronat de ce qui est leur affaire : la rémunération du travail, y compris ce qui est aujourd'hui appelé "charges patronales". Et ensuite les syndicats auraient à défendre la cause des salariés face à une sécu trop gourmande, comme ils ont à les défendre vis-à-vis des employeurs lorsque ceux-ci sont grippe-sous. Les rapports syndicats – patronat et le débat économique en France auraient beaucoup à gagner à cette clarification, que l'on appelle souvent "la fiche de paie vérité".

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