La bourse donne raison aux entreprises qui ont quitté la Russie. Moscou risque le défaut de paiement<!-- --> | Atlantico.fr
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Une vue générale de l'usine automobile Renault à Moscou, le 26 avril 2022.
Une vue générale de l'usine automobile Renault à Moscou, le 26 avril 2022.
©KIRILL KUDRYAVTSEV / AFP

Atlantico Business

Les entreprises qui ont quitté la Russie pour sanctionner Moscou ont plutôt mieux performé que celles qui y sont restées. Par ailleurs et selon le FMI, l’économie russe commence à pâtir des sanctions occidentales et Moscou se retrouve en risque de défaut de paiement

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Depuis le début de la guerre en Ukraine, l’université de Yale tient à jour une liste des entreprises qui ont exprimé une position sur la guerre en Ukraine et leurs activités en Russie. Dans cette liste, on retrouve notamment celles qui ont finalement choisi de quitter totalement le marché russe. Cette liste est désormais très longue malgré les tergiversations du début. 

On estime aujourd’hui à plus de 2000 le nombre d’entreprises qui ont abandonné le territoire de la Russie. Beaucoup de ces entreprises sont américaines et très emblématiques de la modernité occidentale, dont les jeunes Russes étaient friands. McDonald’s (850 restaurants) ou Starbucks ont retiré leurs noms et leurs enseignes à Moscou comme à St Pétersbourg. Coca Cola ne livre plus depuis deux mois. Shell Exxon et évidemment beaucoup d’entreprises du digital. 

Le boycott du marché par ses entreprises-là ne fera pas beaucoup de mal à l’économie russe mais va contribuer à son isolement. La motivation des dirigeants est avant tout de protéger leur propre image et de céder aux réseaux sociaux occidentaux qui leur réclamaient d’abandonner purement et simplement tout pays à compter du jour où un pays ne respecte ni la liberté individuelle, ni les droits de l’Homme les plus élémentaires. La bourse, également, a tenu compte de leur décision en évitant ainsi l’impact d’une mauvaise image. 

Les entreprises allemandes sont parmi les européennes les plus nombreuses à avoir quitté la Russie. Le groupe Henkel, par exemple, entreprise mondiale de produits d’entretien et de cosmétique (la lessive Mir, Le Chat et les produits Schwarzkopf).  A commencer par geler tous les projets d’investissements pour finalement décider d’abandonner toutes leurs activités, tout comme le groupe Dr Oetker et la chaine de supermarchés russes Aldi qui ont fait le choix de retirer la totalité des leurs produits des magasins russes. 

Une grande partie des entreprises industrielles de l’automobile ont déménagé. 

Les entreprises françaises sont plus gênées parce que beaucoup ont fait le choix d’investir en Russie, plutôt que de se limiter à des relations commerciales. 

Il y a des entreprises qui se sont complètement retirées de Russie comme le leader informatique Atos, d’autres qui ont fermé leurs antennes ou leur magasin en se réservant la possibilité de revenir quand la guerre sera terminée et certaines qui continuent tant bien que mal comme Lactalis, Bonduelle ou Danone mais ces entreprises avaient des contrats avec l’agriculture locale pour s’approvisionner.  

En fait, la décision dépend beaucoup du secteur d’activité et de la pression des opinions publiques.  

Le gouvernement français n’a d’ailleurs pas donné de consignes obligatoires. Il a laissé les entreprises libres de leurs arbitrages, sachant néanmoins que les moyens de communication et de livraisons étaient paralysés.

Les enseignes du groupe Mulliez - Auchan, Décathlon, Boulanger, Leroy merlin ont beaucoup hésité. Les groupes de luxe ont suspendu toutes leurs activités dès le début des hostilités. LVMH, Kering, Chanel et Hermès ont fermé boutique. Les groupes industriels comme Renault ont arrêté leur chaine de fabrication et commencé à brader quelques actifs, le constructeur automobile Stellantis (Peugeot) et le groupe de restauration collective Sodexo, ont comme beaucoup d’autres, transféré les activités à l’équipe locale russe de direction, via des structures et des marques indépendantes. 

Ce qui est intéressant, c’est que les chercheurs de Yale ont étudié les réactions boursières pour ces entreprises.

Celles qui ont quitté le pays ont eu une meilleure performance boursière que celles qui se sont accrochées au terrain russe et ont tenu à garder des positions sur place. 

En moyenne, les entreprises européennes qui sont parties ont progressé en bourse, depuis leur décision, de plus de 3%. Celles qui sont restées ont perdu entre 8 et 10 % parce que les milieux financiers ont considéré que leur image était abimée.

Certaines entreprises ont cru perdre beaucoup en vendant leurs actifs très rapidement et à prix complètement cassé leurs installations, leurs bureaux et même leur fonds de commerce. Elles ont été obligées de passer des provisions conséquentes et des dépréciations. On aurait pu penser que la bourse leur en tiendrait rigueur. En réalité, les milieux financiers ont considéré que les pertes exceptionnelles représentaient un investissement en image. Toutes ces entreprises, dont Shell, la Société générale, ont bénéficié d’une création de valeur. L’augmentation de leur capitalisation boursière a été supérieure à la perte comptable qu’ils ont dû passer. Le départ de Russie a donc été pour beaucoup une bonne affaire. 

Du coté de l’activité économique des Russes, les indicateurs commencent en revanche à se détériorer. Cette détérioration ne se perçoit pas trop dans la vie quotidienne, sauf pour les élites qui habitent Moscou et qui avaient pris goût aux biens occidentaux. Mais pour le reste de la population, la fermeture des magasins Vuitton ou l’impossibilité de boire du Coca light ne les privent pas beaucoup. Sauf que l’inflation commence à galoper (+17%), les approvisionnements en biens de consommation courante (alimentaires) et biens d’équipement sont plus difficiles à cause de la logistique qui est très perturbée. Les courants d’affaires avec l’Ouest ont été fermés et les compagnies aériennes volent au ralenti. D’abord parce que beaucoup de lignes ont été suspendues, mais ensuite, les avions Airbus et Boeing ont cessé d’être entretenus comme avant puisque les équipes de Boeing et d’Airbus ne travaillent plus en Russie. Donc les avions servent au transport de marchandises mais pas au transport des passagers. Or, la Russie est un très grand pays. Ce manque de sécurité aérienne a complètement gelé l’activité transport à l’intérieur du pays. 

Cela dit, la perspective de sanctions sur le pétrole et le gaz inquiètent véritablement les hommes d’affaires russes. Sur le gaz, les délais d’adaptation seront très longs. En plus, les clients allemands et les fournisseurs russes (Gazprom) jouent la montre. Les investissements qui ont été faitx sont tellement couteux que personne n’a vraiment intérêt à les arrêter. En revanche, sur le pétrole, l’embargo va être plus rapide. A la fin de l’année, on estime en Occident qu’on pourra se passer du pétrole russe sans provoquer une crise mondiale. Les fournisseurs alternatifs seront trouvés et équipés. 

Ce sera le gros problème de la Russie au niveau budgétaire. La vente des énergies fossiles représente 70 % de recettes budgétaires du pays. Le pétrole représente 50 % des recettes liées aux hydrocarbures. Soit presque un milliard de dollars par jour. 

Le budget de la Russie chuterait donc de 35% minimum, sans compter l’impact de la baisse d’activité (-10 % au minimum). Le budget ne pourra pas fonctionner. Entre les dépenses militaires, le paiement des retraites et la rénovation du parc de logement qui représente les deux gros problèmes pour les Russes actuellement, sans parler des dépenses de la reconstruction dans les zones gagnées par les Russes mais désormais en ruine, Vladimir Poutine va devoir trouver de l’argent. Or, il ne pourra plus emprunter sur les marchés. Pour la deuxième fois depuis le début de la guerre, Moscou ne pourra pas payer sa mensualité d’intérêt aux porteurs d’obligations publiques russes. Pour la gouvernance russe, c’est gravissime parce que personne dans le monde, ni en Occident, ni en Asie, épargnants et banques, ne veulent rejouer le scénario des emprunts russes de 1917. 

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