L’Ukraine change de Parlement : clan contre clan, pourquoi elle n’en a pas fini avec ses vieux démons mafieux<!-- --> | Atlantico.fr
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Les Ukrainiens sont appelés aux urnes pour choisir leurs députés.
Les Ukrainiens sont appelés aux urnes pour choisir leurs députés.
©Reuters

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Ce dimanche 26 octobre les Ukrainiens sont appelés aux urnes pour choisir leurs députés. En pleine crise dans l’Est séparatiste pro russe, les pro occidentaux comptent renforcer leur pouvoir. Toutefois, si l'Europe ne sort pas de son soft power pour se dresser contre la Russie, bon gré, mal gré, la corruption restera le terrain de jeu privilégié des élus ukrainiens.

Michael Lambert

Michael Lambert

Michael Eric Lambert est analyste renseignement pour l’agence Pinkerton à Dublin et titulaire d’un doctorat en Histoire des relations internationales à Sorbonne Université en partenariat avec l’INSEAD.

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Florent Parmentier

Florent Parmentier

Florent Parmentier est enseignant à Sciences Po et chercheur associé au Centre de géopolitique de HEC. Il a récemment publié La Moldavie à la croisée des mondes (avec Josette Durrieu) ainsi que Les chemins de l’Etat de droit, la voie étroite des pays entre Europe et Russie. Il est le créateur avec Cyrille Bret du blog Eurasia Prospective

Pour le suivre sur Twitter : @FlorentParmenti

 

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Atlantico : Si le bloc pro-occidental de Petro Porochenko est donné favori, cela signifie-t-il pour autant que la vie politique du pays sera moins affectée par la corruption ? Les tentatives de rapprochement avec l'UE permettront-elles d'aller vers un mieux ?

Michael Lambert : La corruption est un phénomène courant en Ukraine, comme dans tous les Etats membres du Partenariat Oriental. Celle-ci était présente en raison de la situation politique dans le pays avant même la fin de l’Union soviétique. Les oligarques que l’on retrouve actuellement n’ont fait que se substituer aux élites soviétiques qui avaient déjà des avantages. A ce jour, une dizaine de personnes disposent de plus de 40% des richesses du pays et entretiennent de bonnes relations avec le monde politique. D’une manière générale, en Ukraine, on rentre en politique pour gagner sa vie et le concept même d’aider son pays reste abstrait pour un grand nombre de membres du parlement, tout comme il l’était dans l’ancien gouvernement et avant les évènements de la Place Maïdan en 2014.

La différence essentielle, aujourd’hui, repose sur la présence du nouveau Président ukrainien, Petro Porochenko, qui semble animé par le souhait de moderniser son pays, d’entamer un rapprochement réel avec l’Union européenne, possiblement avec l’OTAN, et surtout de relancer l’économie dans un contexte militaire critique avec les tensions liées aux séparatistes de Novorossia. La bonne volonté n’est pas suffisante, mais elle est un pas en avant conséquent et redonne une perspective aux citoyens ukrainiens qui vont aller voter ce dimanche. Porochenko sera donc le premier à pousser, si le bloc pro-occidental est majoritaire, à des réformes profondes pour la lutte contre la corruption. Leur mise en place sera longue et fastidieuse mais devrait pouvoir se faire en raison du besoin pour le pays de trouver sa place entre l’Union européenne et l’Union eurasiatique. Assez paradoxalement, la crise économique, mais aussi civile, amènera les nouveaux élus à adopter une ligne de conduite plus noble pour conserver leurs postes. Le pays n’ayant comme seule option que de se rapprocher de l’Union européenne, tant bien même si c’est seulement pour l’obtention de subventions. Ce rapprochement nécessitera de mettre en place des réformes solides contre la corruption, qui est au cœur des préoccupations de l’Union européenne, mais aussi des principaux partenaires de l’Ukraine. On pense ici à l’Allemagne et la Pologne.

Paradoxalement, les élus ukrainiens, qui rentreront en fonction pour gagner leur vie, et ne sont donc pas objectivement opposés au principe de corruption, devront voter les lois contre ces pratiques pour pouvoir bénéficier du soutien des occidentaux et ainsi conserver leur place. On pourrait avancer l’idée que c’est le souhait d’appartenance à l’Union européenne qui est le seul motif pour vraiment lancer une campagne contre la corruption. Un retournement diplomatique vers l’Union eurasiatique signifierait un abandon de cet idéal, ce qui ne serait pas nouveau dans la mesure où une situation similaire s’est construite après la Révolution Orange.

Florent Parmentier : Cette question est essentielle pour le système politique et économique de l’Ukraine : les classements de Transparency international en ont fait l’un des Etats les plus corrompus au monde. Le Président Ianoukovitch était l’exemple même du politique vermoulu, comme en témoigne sa gigantesque demeure et le fait que son fils a pu devenir l’une des plus grandes fortunes nationales en quelques années. La « famille » a pu bénéficier de sa position politique pour accroître son capital économique, mais naturellement, ce n’était que le sommet d’un système oligarchique beaucoup plus large, dont le nettoyage promet d’être difficile tant de mauvaises habitudes ont été prises, et tant les intérêts institués sont devenues autant de citadelles inexpugnables.

Il y a une demande sociale forte pour rejeter ce système de corruption organisé, puisque cette idée était au cœur des revendications de Maïdan. Le système de corruption frappe à tous les niveaux de la société, ennuyant aussi bien le citoyen que l’investisseur international. En ce sens, la « révolution pour la dignité », comme le mouvement EuroMaidan se nomme en Ukraine, est un appel puissant en faveur de l’Etat de droit.

Les législatives nous permettent-elles de prendre ce chemin ? Il est vrai que le Parlement va être profondément renouvelé – peut-être jusqu’au deux tiers – en incluant de nombreux activistes de MaIdan, dont le mot d’ordre est la lutte anti-corruption. Attention toutefois : le problème ne résidera pas dans le vote des lois pour se conformer aux exigences européennes, mais dans la capacité à les appliquer sur le terrain. De ce point de vue, toutes les garanties ne semblent pas encore réunies, et si l’UE constitue l’horizon, c’est aux élites ukrainiennes de respecter les règles.

Après tous ces mois de combats entre forces gouvernementales et dissidents pro-russes, quel est l’état de l’économie du pays et de son administration ?

Florent Parmentier : Le pays est dans une situation très compliquée, puisque l’Ukraine doit faire face à une terrible crise financière, qui l’accule à demander de l’aide à l’extérieur (2 milliards d’euros à Bruxelles il y a encore quelques jours). Non seulement le Donbass et la Crimée ne contribuent plus à la création de la richesse nationale, mais ils ont eu également un coût élevé, en raison de la déstructuration du système productif et de la destruction du capital physique, sans même parler du plus important, le bilan humain (3700 morts et 430 000 déplacés).

Au niveau macro-économique, l’Ukraine est en prise avec une résurgence de l’inflation, du chômage et de l’effondrement des exportations. Ceci, qui plus est, à un moment où la question du prix du gaz refait surface. En un mot, il n’y a guère de raison de se réjouir sur le plan économique, et nul doute que les réformes sociales douloureuses qui seront demandées par les créanciers internationaux auront un coût politique certain pour les autorités dans les mois et les années à venir.

Quant à l’administration, elle doit faire face à des demandes sociales très fortes en faveur du changement : « vivre dans un pays normal », dans l’esprit de nombreux Ukrainiens, cela veut dire vivre dans un Etat de droit. La question de la lustration (le remplacement des élites administratives ayant soutenu l’ancien régime de Viktor Ianoukovitch) est encore devant nous : elle peut permettre de combattre les corrompus, en espérant que les remplaçants soient davantage honnêtes, mais peut également conduire à plusieurs années de chasses aux sorcières, avec des risques de décisions arbitraires.

Michael Lambert : L’économie ukrainienne était déjà dans une situation critique avant l’apparition des conflits à l’Est du pays. L’industrie ukrainienne est de moins en moins compétitive en raison du manque de fonds disponibles pour moderniser les entreprises. Qui plus est, le pays est complément dépendant de la Russie pour ses approvisionnements énergétiques. Cette dépendance est liée à l’histoire soviétique où la Russie n’avait pas pour habitude d’inciter les Etats à ne pas dépendre les uns des autres, mais aussi au manque de propositions concrètes, comme en Moldavie, pour développer le secteur des énergies renouvelables.

L’Ukraine pourrait disposer d’un avantage avec sa position géographique car la Russie a besoin d’exporter le gaz vers l’Europe en passant par l’Ukraine. Malheureusement, le gouvernement ukrainien n’a jamais réussi à concevoir qu’il pouvait à la fois développer sa propre production d’énergie et bénéficier d’une taxation sur le gaz qui transite par son territoire. La dépendance de l’Ukraine à la Russie la rend donc vulnérable, notamment lors des hivers rigoureux.

Pour résumer la situation économique du pays, celui-ci n’est plus apte à être compétitif sur le plan économique et la lutte contre les séparatistes est d’autant plus problématique qu’elle amène le gouvernement central à s’épuiser économiquement en luttant contre ces derniers et le coupe de ses ressources énergétiques qui étaient situées à l’Est du pays, aujourd’hui chez les séparatistes.

Cet affaiblissement économique n’est pas le seul résultat de la mauvaise gestion des dirigeants et des entrepreneurs, il est également la manifestation du souhait de Moscou de garder l’Ukraine sous son contrôle. Afin de rentrer dans l’Union européenne, l’Ukraine devra mettre en place des politiques nécessaires et coûteuses, ce qu’elle ne pourra pas faire si le pays est trop affaibli. En conséquence, si le pays ne peut pas se rapprocher de l’Union européenne, il devra le faire avec l’Union eurasiatique, ce qui signifie que la Russie aura réussi à gagner le bras de fer contre l’Europe et l’OTAN.

Il semble également important de mentionner que le soutien du Kremlin à Novorossia n’est pas aléatoire, le projet des séparatistes est de rattacher le Sud du pays et de bloquer l’accès à la mer Noire, ce qui aurait pour effet de paralyser l’économie ukrainienne qui ne pourrait plus exporter vers le Caucase et la Turquie. On est donc dans cette logique de Moscou d’affaiblir économiquement pour contraindre au rattachement au sein de l’Union eurasiatique.

En ce qui concerne l’administration, on pourrait dire que la présence de Novorossia a été bénéfique. Le fait de ne plus avoir à s’accorder avec les pro-russes et le rejet total de la Russie amène l’administration à afficher clairement une tendance pro-européenne, ce qui donne une ligne diplomatique visible et claire pour l’avenir du pays, ce que les citoyens attendaient avec impatience.

Dans un tel contexte, comment espérer une meilleure application des principes démocratiques et ce, à tous les niveaux ?

Michael Lambert : On présente l’Ukraine comme étant dans une situation critique tant sur le plan économique que diplomatique et militaire, ce qui amène à oublier le potentiel dont elle dispose. Le pays comporte une population instruite et dispose d’un accès à la mer Noire, ce qui peut changer l’équilibre des forces dans la région, sans oublier sa position géographique qui fait que la Russie dépend de l’Ukraine pour ses exportations de gaz et de biens manufacturés vers l’Europe. Enfin, l’Ukraine est voisine de la Transnistrie, un Etat de facto qui comporte plus de 28% d’habitants avec des origines ukrainiennes. On pourrait donc facilement imaginer les pressions économiques et politiques, modestes au début, que pourraient exercer l’Ukraine afin d’affaiblir la Transnistrie et la présence de la Russie dans la région.

Il est tout à fait envisageable de voir l’Ukraine, si elle lutte efficacement contre la corruption et relance son économie avec l’aide de l’Union européenne, aller vers la production d’énergies renouvelables et surtout assurer son indépendance totale vis-à-vis de la Russie. Un grand nombre d’experts n’envisagent l’Ukraine que dans sa dynamique avec la Russie, alors que celle-ci n’a plus rien à gagner à continuer d’entretenir des relations avec la Russie, tout comme les Etats baltes depuis 2004. Il faudrait au contraire intégrer l’Ukraine le plus rapidement possible dans l’Union européenne pour assurer son avenir économique et dans l’OTAN pour éloigner la Russie, mais aussi pour donner aux Européens et Américains plus d’influence en mer Noire.

Cette attitude est essentielle car, de l’avenir de l’Ukraine, dépend celui de la Moldavie et de l’ensemble du Caucase. Nous parlons de l’avenir de pays qui attendent d’avoir une alternative concrète au projet d’Union eurasiatique. Il semble donc nécessaire d’écarter une bonne fois pour toute la Russie de l’Ukraine et de faire clairement comprendre au Kremlin que le pays n’a aucun souhait d’échanger avec lui dans la mesure où la Russie n’a pas pour vocation à influencer l’avenir de l’Union. Si cette attitude peut sembler « brutale », elle est essentielle face à une Russie qui n’a de cesse de concevoir son Histoire et son avenir avec l’Ukraine, une erreur dans la mesure où les évènements de la Place Maïdan montrent clairement que le peuple ukrainien n’a pas pour souhait de continuer à dépendre de la Russie, d’autant plus depuis l’annexion de la Crimée.

La priorité est à mettre sur la lutte contre la corruption, l’intégration dans l’Union européenne et l’OTAN. L’application des principes démocratiques est importante mais, au regard de la situation dans le pays à l’heure actuelle, l’essentiel est d’avoir un gouvernement ukrainien qui ose s’affirmer contre la Russie et développe son autarcie vis-à-vis de cette dernière.

Nous ne sommes pas en train d’assister à l’intégration d’un nouvel Etat dans l’Union européenne, nous sommes en face du pilier qui déterminera l’avenir du Caucase, de la sécurité en mer Noire, de la résolution des conflits avec les Etats de facto et surtout, à l’avenir, de la Russie comme puissance européenne et mondiale. C’est la raison pour laquelle le pragmatisme doit s’imposer et il n’est plus envisageable d’imaginer que les négociations seront suffisantes pour apaiser les tensions dans la région. Il est temps de voir les européens, qui jusque-là n’ont fait que jouer sur leur Soft power, s’imposer avec force face à la Russie  et possiblement avec des moyens coercitifs, c’est du moins la réaction que celle-ci aura face à l’Ukraine. La priorité n’est donc pas la démocratie, mais d’avoir un gouvernement assez fort pour relancer son économie et améliorer la vie politique avec des mesures radicales. On est donc loin du schéma que l’on retrouve dans beaucoup de démocraties occidentales et c’est un facteur à prendre en compte. 

Florent Parmentier : Le principe démocratique ne se limite en effet pas au seul vote. Les élections ukrainiennes ont été ces dernières années plutôt libres et justes ; les difficultés ont surtout résidé dans la faiblesse des contre-pouvoirs, la mauvaise mise en œuvre des lois ou le poids trop important des groupes d’influence dans la prise de décision publique. Contraindre les responsables politiques à rendre des comptes, affirmer un « droit à être bien gouverné », voilà la priorité pour les Ukrainiens.

La difficulté de la tâche doit empêcher de se faire des illusions, mais permet toutefois des espoirs. Le renouvellement de la Rada est en effet une occasion historique de changer les pratiques : les activistes de Maidan, les combattants volontaires ou les élites économiques agro-industrielles feront leur apparition au Parlement, au détriment des groupes d’influence représentant les industries lourdes et les mines, et autres hommes des clans de l’Est, autour de la famille Ianoukovitch.

La gravité de la situation peut inciter à un changement profond, mais aussi détourner l’attention de l’opinion publique des questions institutionnelles et politiques… La prudence reste de mise, mais le mandat de l’opinion publique est clair.

Pendant le conflit ukrainien, le slogan "à bas les gangs" était utilisé dans tous les camps. Quel est le niveau de présence des organisations mafieuses en Ukraine ?

Michael Lambert : En Ukraine, les gangs armés sont une réalité et disposent d’une structure locale et parfois nationale. Ils se composent de personnes aux tendances pro-russes, mais il existe également des gangs ukrainiens qui ne soutiennent pas le rattachement à la Russie.

Leur origine, et surtout leur puissance, remontent au moment de la chute de l’Union soviétique, à une époque où l’armée et les structures étatiques n’étant plus en mesure d’assurer la sécurité après 1991. Des particuliers, anciens militaires congédiés, policiers n’ayant plus de solde ou citoyens à la recherche d’un revenu, proposèrent à la population un soutien pour assurer la sécurité. Par la suite, ces groupes sont restés importants et ont étendu leur influence dans les autres domaines que l’on associe fréquemment à la mafia (prostitution, trafics de drogue, blanchiment d’argent et trafics d’armes dans certaines régions, comme ce fut probablement le cas à Odessa).

Le gouvernement ukrainien n’ayant pas les moyens pour les contrôler, on se retrouve aujourd’hui dans une société qui admet leur existence et où ils font partie du paysage politique et économique quotidien.

Le problème actuel repose sur le fait que ces gangs se sont souvent substitués aux structures d’Etat. Ils contrôlent une partie importante de l’économie informelle, mais également officielle en ayant acheté avec l’argent des malversations des entreprises tout ce qu’il y a de plus légales dans le pays. Cette puissance économique leur a également permis de placer des membres à la tête de l’Etat et des partis régionaux.

La crise en Ukraine et son soutien par Moscou ont amené les gangs à s’affirmer pour occuper des postes politiques à l’échelle locale et ainsi accroître leur puissance, leur légitimité et surtout ne pas pouvoir être condamnés par le gouvernement dans la mesure où ils en deviennent des membres à part entière. Les armes leur permettent également de faire face à l’armée, notamment en milieu urbain, et de ne pas rencontrer une résistance trop importante dans les régions pro-russes.

Un Etat mafieux peut facilement voir le jour en Ukraine dans les années à venir et des exemples concrets existent dans l’espace post-soviétique. On pourrait aujourd’hui parler d’Etats autocratiques avec un monopole économique, comme en Transnistrie, région située entre l’Ukraine et la Moldavie qui existe depuis plus de 24 ans et que l’on qualifie communément d’Etat mafieux dans les médias occidentaux.

Dans quelle mesure ces groupes criminels ont-ils profité du conflit pour prospérer ?

Michael Lambert : Ils ne font pas un retour en force et étaient déjà sur place. Les évolutions récentes leur permettent de s’affirment dans la sphère politique où ils profitent du chaos ambiant pour tenter d’accroître leur puissance.

Les connections de certains avec des groupes en Russie les amènent également à bénéficier du soutien logistique et économique de l’extérieur, ce qui leur donne encore plus de puissance et leur permet de positionner des membres dans certaines structures (police, armée, mairies, etc.), auparavant difficilement accessibles.

Le plus grand risque à l’heure actuelle est sans doute le chaos engendré par Novorossia qui profite aux trafiquants d’armes et aux mercenaires de tous genres. On ignore encore ce qui se passe à l’Est du pays et ce manque d’informations amène à ne pas pouvoir se prononcer sur l’étendue de la puissance de ces groupes criminels qui ont probablement des connections avec le Caucase.

Encore une fois, l’attention des occidentaux doit se tourner vers la Transnistrie. L’Etat de facto comporte d’importantes réserves d’armes de l’époque soviétique et de 1500 soldats russes sur place pour les garder. Il est possible, en fonction de l’actualité et de la progression de Novorossia, que ces armes puissent trouver un chemin pour alimenter les séparatistes qui pourraient les exporter vers le Caucase ou s’en servir pour déstabiliser la région. La Transnistrie représente donc le plus grand danger dans la mesure où elle pourrait bénéficier aux groupes criminels dans les années à venir.

Quelles sont les connexions des groupes mafieux avec les politiques ? 

Florent Parmentier : La question du crime organisé en Ukraine a de multiples ramifications, et s’avère étroitement liée à celle de la corruption. Les divers groupes régionaux ont des intérêts différents, l’ouverture d’Odessa sur la mer Noire différant par exemple des réseaux d’influence en Ukraine de l’Est, ou du blanchiment d’argent que l’on trouve en Crimée. De même, si certains trafics sont anciens, d’autres sont apparus sous l’Union soviétique avec la nomenklatura et d’autres encore pendant la période de transition, où la privatisation de masse a offert de nombreuses opportunités de développement au crime organisé, avec ses extensions internationales (avec ses dimensions ethniques russes ou caucasiennes). L’économie informelle, les réseaux de sécurité, l’évasion fiscale ou la transformation du système bancaire ont permis la constitution de fortunes sans précédents, à la faveur de la faiblesse de l’Etat de droit.

La tentation a été grande, pour les puissances d’argent, de s’impliquer ainsi directement dans le jeu politique et d’obtenir l’immunité parlementaire, mais aussi indirectement par le biais de la corruption. L’ancien Premier ministre Pavel Lazarenko avait ainsi été condamné pour blanchiment aux Etats-Unis, mais son cas n’est pas isolé. Des connexions existent donc, touchant différents groupes politiques, et continueront probablement tant que le système politique n’aura pas été apuré dans son personnel et ses systèmes de financement.

Michael Lambert : Il est toujours difficile d’établir clairement les relations entre la mafia et le monde politique, pas seulement en Ukraine.

Il existe naturellement des politiques qui sont membres de la mafia, au sens large de la définition, et d’autres qui entretiennent des relations avec des membres de la mafia, mais sans même savoir qui ils ont en face d’eux. Loin de la conception stéréotypée que nous avons des mafias en occident, il faut plutôt se représenter des personnes avec un niveau de vie conséquent et des activités communes qui vivent ensemble et fréquentent souvent les mêmes lieux dans Kiev et les grandes villes.

On retrouve des personnes qui, parfois malgré-elles, se retrouvent à entretenir des relations amicales ou économiques avec des personnes peu louables. Etablir les relations entre les dirigeants ukrainiens et les membres de la mafia est aussi complexe que de déterminer les relations entre les hommes politiques en occident et les lobbyistes. On peut avoir des soupçons, mais l’on ignore souvent la profondeur des connections, du moins tant que ces derniers restent discrets.

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