L’offensive narrative sur la nation lors de la campagne électorale de Nicolas Sarkozy en 2007<!-- --> | Atlantico.fr
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Le candidat de droite à l'élection présidentielle et ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy prononce un discours lors d'une réunion, le 24 janvier 2007 à Paris.
Le candidat de droite à l'élection présidentielle et ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy prononce un discours lors d'une réunion, le 24 janvier 2007 à Paris.
©DOMINIQUE FAGET / AFP

Bonnes feuilles

Sébastien Ledoux a publié « La nation en récit » aux éditions Belin. Depuis quarante ans, le récit national hante la France. Il s'est imposé dans les débats politiques et médiatiques, parallèlement aux questions relatives à l'identité. Comment en est-on arrivé là ? C'est en historien que répond ici Sébastien Ledoux. Extrait 1/2.

Sébastien Ledoux

Sébastien Ledoux

Sébastien Ledoux est chercheur en histoire contemporaine à l'université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne et enseignant à Sciences Po Paris. Spécialiste des enjeux de mémoire, il a publié plusieurs ouvrages et de nombreux articles sur le sujet.

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Pour la première fois, la campagne électorale pour les élections présidentielles de 2007 voit l’histoire nationale située comme un enjeu politique central. Conseillé par Henri Guaino et Patrick Buisson, ce dernier venu de l’extrême droite et ne cachant pas ses sympathies pour l’Algérie française et Vichy, le candidat de la droite Nicolas Sarkozy prend une position clivante sur ce sujet. Pariant sur l’adhésion de l’électorat d’extrême droite à sa candidature pour remporter l’élection, il s’affiche en défenseur de l’identité nationale présentée comme menacée par le communautarisme, l’Europe et la mondialisation. La question de l’histoire nationale prend une large place dans ces discours de campagne par le biais de sa valorisation et de la fierté que l’on doit en retirer. En rupture totale avec la vision et les actions de Jacques Chirac et du Parlement contant l’histoire de France en reconnaissant différents groupes victimes du passé criminel depuis une dizaine d’années, Nicolas Sarkozy évacue de son vocabulaire le devoir de mémoire, largement utilisé par son prédécesseur, et évoque dans de nombreux meetings sa conception du passé national en reprenant l’héritage du courant nationaliste de la fin du XIXe siècle, prolongé par le Front national depuis les années 1980, sur le thème des ennemis de l’intérieur. Le candidat vilipende les effets désastreux du «communautarisme» sans préciser de quelle population il s’agit. Surtout, il dénonce une nouvelle catégorie d’ennemis de l’intérieur qui menace l’identité de la France: les adeptes de la «repentance» qui fustigent l’histoire de leur pays au lieu d’en être fiers:

Car le drame de la France aujourd’hui c’est le doute qui la ronge. La France doute d’elle-même, de son identité, de son rôle, de son avenir. Aimer la France c’est d’abord lui redonner l’espoir, c’est d’abord lui rendre confiance en elle-même. […] Je veux le dire à tous les adeptes de la repentance qui refont l’histoire et qui jugent les hommes d’hier sans se soucier des conditions dans lesquelles ils vivaient, ni de ce qu’ils éprouvaient. […] À ceux qui haïssent la France et son histoire, à ceux qui n’éprouvent envers elle que de la rancœur et du mépris, je dis aussi qu’ils ne sont pas les bienvenus.

La dénonciation alors récurrente de la « mode exécrable » de la repentance « qui demande aux enfants d’expier les fautes supposées de leurs pères » amène Nicolas Sarkozy à une réévaluation de la responsabilité de la France dans les persécutions antisémites, qui fut l’aiguillon de la recomposition du récit national opérée par le pouvoir exécutif depuis 1995 sous la présidence de Jacques Chirac. Le candidat renoue avec l’intrigue universaliste « exceptionnaliste » de l’histoire de France en se présentant lors d’un meeting à Nice le 30 mars 2007 comme «l’un de ceux qui pensent que la France n’a pas à rougir de son histoire. Elle n’a pas commis de génocide. Elle n’a pas inventé la Solution finale. Elle a inventé les droits de l’homme et elle est le pays du monde qui s’est le plus battu pour la liberté. Je suis convaincu que pour un Français, haïr la France, c’est se haïr lui-même ».

Le récit «sarkozyste» sur la nation reprend la trame des héros nationaux avec la mémoire de la Résistance. Après un hommage à de Gaulle à Colombey, il se rend dans l’entre-deux-tours, le 4 mai 2017, sur le plateau des Glières, haut lieu de la mémoire résistante, pour y prononcer un discours exaltant l’héroïsme de ceux qui se sont sacrifiés pour la vie de la nation. Dans l’intention de se donner une envergure nationale, le candidat évoque le lien spécifique qu’un président doit construire avec l’histoire de la nation et indique la mise en intrigue qu’il doit insuffler: «Le président de la République, est un homme de la nation, pas d’un parti, il doit comprendre, connaître l’histoire de France, il doit honorer la mémoire de ces héros.»

La conception de l’identité nationale autour du pôle amour/haine de la France, les vrais français étant ceux qui aiment son histoire, lui permet de promouvoir le métissage historique en s’affichant lui-même comme fils d’immigré : la France est un peuple de sang-mêlé qui doit être fier de son histoire, une histoire d’intégrations réussies. L’opposition entre un « nous » et un «eux» s’opère ainsi dans un positionnement à l’égard du récit que l’on fait de l’histoire nationale : un «nous» qui assume d’être français, en étant fier de son histoire contre un « eux » les repentants qui vivent l’histoire nationale sous le mode de la honte et de l’accusation.

Au printemps 2006, la conseillère de Nicolas Sarkozy Emmanuelle Mignon rencontre Pierre Nora. L’historien lui parle de l’importance de l’identité nationale, du patrimoine, des lieux de mémoire. Quelques jours après cette rencontre, le 9 mai, Nicolas Sarkozy prononce un discours sur la nation à Nîmes, dans lequel des propos de Pierre Nora sont repris: «Combien sommes-nous à avoir mal à la France? La France ne cesse de chercher des occasions d’espérer des “moments pleins d’histoire nationale” (Pierre Nora). Elle ne se trouve que des malheurs.» Tournant résolument le dos à une intrigue criminelle du passé national, le ministre de l’Intérieur participe ainsi activement à la construction d’un problème public sur le rapport négatif des Français à leur histoire. Dans son élaboration d’un storytelling, le candidat se présente comme celui qui va résoudre le problème. Dans quel sens ? L’objectif est de renouer avec une histoire qui soit source de fierté, associée à la promotion de l’identité nationale que l’on doit assumer de manière décomplexée. C’est dans ce cadre interprétatif que Nicolas Sarkozy reprend l’argumentaire du Front national avancé depuis les années 1980 en articulant identité nationale et immigration. Il annonce en mars 2007 son projet de création d’un «ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale», largement relayé par la presse de droite, dont Le Figaro qui soutient l’initiative. Interrogé à ce sujet dans les colonnes du journal quelques jours plus tard, l’essayiste Alain Finkielkraut ne le cautionne pas, mais reprend l’argumentaire de la crise d’avec le passé national et du danger de la repentance en affirmant que « c’est notre lien avec les morts qui est aujourd’hui menacé et même rompu par la repentance. Qu’est-ce, en effet, que la repentance, sinon une arrogante désaffiliation? Sous l’apparence de la contrition, le présent s’applaudit de sa supériorité morale sur un passé criminel ». L’essayiste déplore ensuite une conception de l’hospitalité de l’étranger (« accueillir l’autre, c’est désormais le laisser être ce qu’il est», avant d’invoquer l’historien Marc Bloch pour alerter sur le danger de la situation présente: «Marc Bloch écrivait que la défaite de 1940 avait été rendue possible par une désintégration nationale. Il faut lire Marc Bloch et renouer le fil de l’identité française. Mais c’est un mot d’ordre exigeant, ce n’est pas un nom de ministère.»

L’élection de Nicolas Sarkozy marque une nouvelle phase du rapport au passé national de l’État. Une fois élu président de la République en mai 2007, il crée un «ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Codéveloppement», ce qui provoque la démission de la quasi-totalité des chercheurs du conseil scientifique de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration (CNHI), qui rédigent alors une pétition condamnant ce ministère dans Libération le 22  juin 2007. En novembre 2009, Éric Besson, qui est en charge de ce ministère, lance un grand débat avec les citoyens sur le thème de l’identité nationale organisé localement dans les préfectures et sous-préfectures pour «débattre de ce que c’est qu’être français, parler des valeurs qui nous rassemblent, laïcité, droits des femmes, patrimoine culturel,  etc. ». La notion de patrimoine culturel est déclinée sous différents aspects avec un item intitulé «Nos églises et nos cathédrales ». Le débat a également lieu sur Internet avec une question préalable: «Pour vous, qu’est-ce qu’être français aujourd’hui?» Dans les 26000 premières contributions, le mot «histoire» est l’un des plus utilisés aux côtés de droit, liberté, culture, débat, langue, vivre, égalité (entre 5 000 à 7 000 occurrences chacun). Les discussions sont rapidement abandonnées en raison de la polémique soulevée par les messages xénophobes contre les immigrés postés sur le site. C’est dans ce contexte que le président Sarkozy lance le projet d’une «Maison de l’histoire de France» comme réponse au problème posé lors de sa campagne: inscrire dans un lieu un récit de l’histoire de France qui ferait défaut aux Français.

Extrait du livre de Sébastien Ledoux, « La nation en récit », publié aux éditions Belin

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