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L’offensive d’Idlib que projette Bachar el-Assad sera-t-elle la mère de toutes les batailles du conflit syrien ?
©GEORGE OURFALIAN / AFP

Nouveau front

Bachar el-Assad aurait l'intention de faire de Idlib sa prochaine cible. Ce nouvel assaut pourrait-il être en mesure de mettre un terme à la guerre, ou s'agit il d'une illusion ?

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Ce 9 août, l'agence Reuters révélait l'intention de Bachar el-Assad de faire de Idlib sa prochaine cible, l'armée syrienne demandant à la population locale de se soumettre aux règles de l'Etat. Quel point peut-on faire sur le conflit syrien ?

Alain Rodier : Il est vrai que les forces légalistes syriennes sont aujourd’hui disponibles pour s’attaquer au dernier réduit de la rébellion situé dans la province d’Idlib au nord-ouest du pays (mais frontalière avec la Turquie ce qui a une grande importance). Environ 2 à 3 millions de personnes se trouveraient coincées sur place, la majorité d’entre-elles étant considérées comme rebelles puisque les dernières populations fidèles au régime ont été évacuées il y a maintenant trois semaines.
La phase précédente a été la reprise du sud-ouest du pays (les provinces de Qalamoun et de Deraa). Le régime a incontestablement remporté là une victoire, non seulement contre les rebelles « classiques » (« modérés » ou dépendant peu ou prou d’Al-Qaida (1)) mais aussi contre Daech qui y était acculé. Pour remporter la bataille sans effaroucher les Israéliens qui se trouvaient aux premières loges sur le plateau du Golan situé à l’ouest de ces régions, Damas a accepté - sur les conseils avisés de Moscou qui est en contact permanent avec l’État hébreu - de retirer les milices chiites étrangères (dont le Hezbollah libanais) à 85 kilomètres de la ligne de démarcation. Ce sont donc théoriquement les forces gouvernementales syriennes qui ont mené le combat même si quelques exceptions ont pu être constatées ici ou là au prétexte que des miliciens étrangers avaient été incorporés au sein d’unités régulières. Maintenant, en dehors des unités qui doivent rester sur place pour quadriller la zone et éviter un réveil de la rébellion, Daech étant passé maître dans l’art de « sortir de nulle part » pour mener des raids meurtriers qui visent les autorités locales mais aussi les populations civiles, le reste des forces engagées est désormais disponible pour remonter vers le nord pour prendre part à une grande offensive dont le but est de réduire Idlib. À la différence du sud-ouest, les milices chiites étrangères peuvent y être pleinement employées puisque les Israéliens ne sont pas présents à proximité de cette zone.
Des tracts ont effectivement été largués par le gouvernement appelant à la coopération des populations pour la « libérer du joug des militants et des terroristes » et pour « se joindre à la réconciliation comme beaucoup d’autres Syriens l’ont déjà fait ».
(1). le Jamaat Ansar al-Furqan fi Bilad ash-Cham, branche officielle d’Al-Qaida en Syrie. Une autre coalition créée autour du Hurras al Denn se revendique aussi d’Al-Qaida. Le Hayat Tahrir al-Cham (HTC) ex-Al-Nosra lutte contre son ancien allié, le Ahrar al-Cham. Ce dernier s’est  considérablement transformé en fusionnant avec le groupe Noor al-Din al-Zenki pour donner naissance au Front de Libération de la Syrie (FLS - Jabhat Tahrir Souriya).

Comment anticiper la situation en cas d'offensive sur Idlib ? A quoi peut-on s'attendre sur le terrain, et dans les différents jeux d'alliance qui entourent la Syrie ? 

La reconquête de la province d’Idlib pose deux problèmes majeurs à Damas, l’un tactique, l’autre politique.
Sur le plan tactique, le nombre (non connu exactement par l’auteur) de rebelles serait très élevé même si beaucoup de groupes s’opposent les uns aux autres. En effet, de nombreux combattants qui avaient accepté de quitter d’autres fronts en Syrie ont trouvé refuge dans cette région et sont venus grossir les rangs des activistes. Ensuite, le terrain semi montagneux parsemé d’agglomérations est favorable à un combat défensif, surtout si les rebelles ont préparé leurs positions. Enfin, les forces gouvernementales et alliées sont épuisées physiquement et en sous-effectifs.
Sur le plan politique, la Turquie voisine soutient certaines formations rebelles présentes à Idlib (particulièrement turkmènes) et peut les approvisionner facilement. De plus, elle a déployé conformément aux accords d'Astana conclus entre la Russie, la Turquie, l'Iran et des groupes rebelles (accords entrant dans le cadre de la résolution 2254 de décembre 2015 du Conseil de Sécurité des Nations Unies qui appelle à un cessez-le-feu général) douze postes d’observation autour de la province d’Idlib. Elle peut donc être une source de renseignements incomparable pour informer les rebelles des mouvements de l’ennemi. Je n’ose pas imaginer ce qui se passerait si l’un de ces postes d’observation était touché par des tirs syriens. Il y a indubitablement là un très grave risque de dérapage.

La bataille d'Idlib pourrait-elle être en mesure de mettre un point final au conflit, ou s'agit il d'une illusion ? 

La bataille d’Idlib - si elle était gagnée, et c’est loin d’être le cas - pourrait conforter Damas dans sa volonté de reprendre le contrôle de l’ensemble du pays. Néanmoins, il resterait ensuite à refaire passer sous sa coupe tout l’est de l’Euphrate tenu par les Forces démocratiques syriennes (FDS) composées majoritairement des Kurdes du PYD - parti de l’Union démocratique - soutenues en direct par la coalition internationale emmenée par Washington.
Les Kurdes syriens ont tellement confiance dans les Américains qu’il ont commencé à discuter directement avec le régime syrien le 26 juillet sur une suite possible au conflit. Globalement, les Kurdes syriens ne réclameraient qu’une autonomie au sein de la « nouvelle Syrie » mais ils refusent catégoriquement d’être désarmés comme le demande Damas. Pour mémoire, depuis la révolte de 2011, les Kurdes syriens ne se sont pas opposés au régime de Bachar el-Assad en dehors de quelques incidents sporadiques - vite étouffés -  qui engageaient que des chefs locaux.
En guise conclusion, les populations syriennes, et peut-être un fait nouveau, les gouvernants des pays intervenants, semblent en avoir enfin assez de ce conflit dont ils ne voient aucune issue. Les souffrances des populations subies depuis 2011 (environ 350 000 morts, 6,6 millions de déplacés à l’intérieur, 5,6 millions de réfugiés à l’extérieur) n’ont que trop duré et elles souhaitent que cela s’arrête sachant que la reconstruction sera longue, pénible et sujette à aléas. En effet, les alliés de Bachar el-Assad n’ont pas les moyens suffisants pour reconstruire le pays (Chine exceptée), ses adversaires - et surtout les Occidentaux - n’ont pas l’intention d’aider le régime honni de quelque manière que ce soit. La réconciliation nationale ne pourra se faire que sur durée - vraisemblablement après le départ du clan Assad - car les haines sont ancrées pour des générations. Quoiqu’en dise le régime, en dehors de Damas et de la zone côtière, son pouvoir régalien ne s’exerce pas directement sur terrain. Ce sont les chefs de guerre locaux qui tiennent un quartier, un village, rarement une ville toute entière. Là aussi, il faudra beaucoup de temps pour rétablir une certaine autorité centralisée.
Si la présence de la Russie en Syrie ne semble pas poser de problème particulier aux acteurs locaux (Turquie, Israël, Irak, Liban, etc.(1)), il en est bien différemment pour l’Iran dont l’influence est dénoncée et vivement combattue par l’État hébreu.
(1). Bien sûr en dehors des États-Unis et d’une partie de l’UE qui dénoncent Vladimir Poutine comme une menace de premier ordre.

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