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L'islam au cœur de la campagne présidentielle : comment se sentent les musulmans de France ?
©Reuters

Cohésion mise à mal

Burkinis, les Gaulois, l'interdiction du port du voile dans les lieux publics, etc. : autant de débats et polémiques alimentés ces dernières semaines par plusieurs personnalités politiques, et qui inquiètent les musulmans de France quant au risque de voir apparaître un sentiment de stigmatisation.

Malik Bezouh

Malik Bezouh

Malik Bezouh est président de l'association Mémoire et Renaissance, qui travaille à une meilleure connaissance de l'histoire de France à des fins intégrationnistes. Il est l'auteur des livres Crise de la conscience arabo-musulmane, pour la Fondation pour l'innovation politique (Fondapol),  France-Islam le choc des préjugés (éditions Plon) et Je vais dire à tout le monde que tu es juif (Jourdan éditions, 2021). Physicien de formation, Malik Bezouh est un spécialiste de la question de l'islam de France, de ses représentations sociales dans la société française et des processus historiques à l’origine de l’émergence de l’islamisme.

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Atlantico : Dans une enquête Ifop pour "Vivre Ensemble" parue ce jeudi sur la perception de la place de l'islam dans le débat public (voir ici), 90% des musulmans interrogés estiment que les débats ou polémiques autour de la place de l'islam de France risquent de créer un sentiment de stigmatisation chez les musulmans de France. Dans quelle mesure les derniers mois ont-ils impacté le sentiment d'appartenance des musulmans à la société française ? Comment se positionnent-ils désormais à l'égard de cette dernière ? 

Malik BezouhAvant de répondre à cette question, insistons sur un élément fondamental ; celui de l'hétérogénéité de l’islam de France. En effet, contrairement à ce que certains esprits affirment, esprits maîtrisés tantôt par la peur, tantôt par l’ignorance, les Français musulmans n’ont pas été coulés dans un même moule. On trouve, parmi eux, des agnostiques, des libéraux, des athées, des traditionalistes, des conservateurs non pratiquants, des réformistes, mais aussi, bien évidemment, des dévots de tendance plus ou moins littéraliste.

Après ce préambule, venons-en à ce qui nous préoccupe. Il est évident qu’un traitement médiatique excessif et dénué de toute profondeur intellectuelle de la question musulmane n’est pas de nature à apaiser le climat national. Si à cela on ajoute les déclarations de quelques élus, en particulier de droite, que semblent guidés par des considérations électoralistes bien plus que la recherche de l’unité de la nation française, alors oui, les prodromes de la discorde sont d’ores et déjà jetés.

Pour abonder dans ce sens, signalons l’étude des psychologues sociaux Stephen Reicher et Alexandre Haslam (professeurs de psychologie aux universités de Saint Andrews, en Écosse, et du Queensland, en Australie) établissant formellement la corrélation entre le sentiment de stigmatisation des musulmans vivant dans les pays occidentaux et le basculement de certains d'entre-eux dans le terrorisme. Ce résultat, qui doit nous faire réfléchir, est partagé par l’ensemble des psychologues affirmant sans détour :

"Les sociétés occidentales alimenteront les rangs des terroristes si elles laissent se fragiliser le lien d’appartenance des musulmans avec leur pays[1] "  

Rassurons-nous cependant ; ce basculement dans le côté obscur de la foi musulmane, c’est à dire le takfirisme violent et terroriste, ne concerne qu’une poignée d’individus. Quant aux autres, c’est à dire l’écrasante majorité des Français de culture ou de confession musulmane (puisque notre propos concerne la France), ils sont inquiets, pour le moins. Certains, peu nombreux il est vrai, envisagent de quitter la France tandis que d’autres, abasourdis par les coups de boutoirs assénés par les tenants de l’identitarisme[2], se réfugient dans leur identité propre, arabité, islamité, berbérité, négrité, etc., en densifiant leur lien communautaire, d’une part, et en prêtant une oreille plus attentive à la démagogie communautariste, d’autre part. Quant à la majorité silencieuse, désemparée, un rien groggy, elle fait le dos rond, en attendant des jours meilleurs.

[1] Cerveau&Psycho, N°78, juin 2016, p. 66.

[2] Nous définissons l’identitarisme de la façon suivante : une idéologie qui dévoie la question identitaire soit par une peur excessive de l’altérité arabo-musulmane, soit par opportunisme politique.  

Où sont aujourd'hui les principales lignes de fracture entre Français musulmans et Français non musulmans ? Que conviendrait-il de mettre en oeuvre pour les résorber ? 

Les attentats récents qui ont ensanglanté notre pays ont plongé la population française dans le désarroi avec comme conséquence l’émergence d’une angoisse lancinante taraudant les citoyens français non musulmans vis-à-vis de l’islam, d’une part, et, d’autre part, l’exaspération croissante des Français musulmans qui se sentent montrés du doigt. Telle est la névrose nationale dans laquelle la France se démène depuis l’irruption, dans le paysage public, de la première affaire du voile islamique, à Creil, en 1989. Cette névrose, que d’aucuns appellent "fracture", est donc le regard biaisé porté sur l’altérité musulmane que la France, dans son ensemble, a du mal à gérer ; regard biaisé qui à son tour fait le lit des interrogations des Français musulmans sur-réagissant ou se mettant à douter de la légitimité de leur place dans cette société qui, parfois, semble, via les discriminations à l’embauche, leur fermer les portes.

Or pour traiter cette névrose, il faudrait des ‘’thérapeutes’’ dignes de ce nom. Et c’est là que réside tout le drame de notre pays. Sans épaisseur politique, dénués de culture historique, beaucoup de nos responsables politiques, naviguant à vue, se contentent de petites phrases malheureuses, sans portée aucune si ce n’est  électoraliste, aggravant ainsi ladite névrose nationale. À quand des élus responsables ne versant ni dans le politiquement correct de gauche, qui tend à éluder ces questions qui inquiètent la population, ni dans ce que j’appelle le prêt-à penser de droite qui aborde ces questions avec tant de maladresse, voire de brutalité qu’il aggrave l’autre versant de la névrose nationale ?

Quant aux Français musulmans, il conviendrait d’entamer un travail de recul, voire de désensibilisation par rapport à ces questions ayant trait à l’islam de France. Ainsi l’islamophobie, la peur de l’islam, et l’islamodiumie[3], le rejet, voire la détestation de l’islam, devraient être, et ce n’est pas simple du tout j’en conviens, abordées de façon moins passionnelle. Mais est-ce seulement possible alors même que notre élite politique procède, pour une partie d’entre-elle, exactement à l’inverse ?

Il reste qu’une meilleure connaissance de l’histoire de l’anticléricalisme français, qui fit tant gémir les catholiques naguère, devrait permettre d’apaiser les cœurs des Français de culture ou de confession musulmane qui prendront alors conscience que, depuis la victoire des amis de Voltaire au siècle des Lumières, la France a développé, avec le fait religieux, une relation quasi-maladive. D’ailleurs, je n’ai de cesse d’inviter mes amis musulmans à lire les travaux de Jean Sévillia qui nous rappelle qu’au siècle dernier "Les catholiques étaient hors la loi"...

[3] Pour la clarté des débats, j’ai introduit le terme islamodiumie (en latin, odium signifie le rejet, la détestation) afin de le distinguer du mot islamophobie. Ce dernier est plutôt le fait des identitaires qui craignent qu’un islam par trop visible ne porte atteinte à l’identité profonde de la France. Tandis que l’islamodiumie est portée par les anticléricaux et autres laïcards qui voient en l’islam une manifestation religieuse rétrograde, incompatible avec le progrès humain.

Quel effet produit l'offre politique actuelle, aussi bien à droite qu'à gauche, sur les musulmans de France ? Vers quel(s) candidat(s) pourraient-ils se tourner dans le cadre de la présidentielle de 2017 ? 

Une large partie de la France musulmane est dubitative devant l’offre politique. Lorsqu’on interroge ces enfants, qu’ils soient croyants ou non, pratiquants ou pas, tous s’accordent à dire, à leur grand désarroi, que l’offre politique, en particulier à droite, tend à faire de l’islam un sujet central. Mais la gauche, en particulier celle incarnée par le Premier ministre Manuel Valls, n’est pas exempte de tout reproche. Tant s’en faut ! 

Résumons-nous-en nous faisant un tantinet caricatural. Il existe une gauche islamodiume, c’est à dire anticléricale et régénériste dans le sens où elle entend rééduquer le citoyen musulman encore attaché à ses ‘’superstitions’’ religieuses, et une droite islamophobe, c’est à dire identitariste.

Alors vers quel candidat pourraient se tourner les Français de culture ou de confession musulmane ? Jean-Luc Mélenchon, en soutenant sans le dire le régime génocidaire de Bachar, s’est aliéné des pans entiers de la France musulmane. Il reste les écologistes à gauche et bien entendu Alain Juppé, à droite, dont le discours, qui ne verse ni dans l’islamophobie, ni dans l’islamodiumie, rassure de plus en plus de Français musulmans. Car pour ces Français-là, le drame n’est pas tant de parler d’islam et d’identité, des sujets importants, mais d’en parler mal et trop. C’est dommage. Car les question identitaires, nobles par essence, ainsi que celle de la construction d’un islam gallican, ancré dans la réalité socio-culturelle de notre pays, mériteraient un traitement autre que celui consistant à sur-traiter ces questions à des fins électoralistes pour certains, commerciales pour d’autres.

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