L’intelligence artificielle au secours de la médecine face au Covid-19 <!-- --> | Atlantico.fr
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Des membres du personnel soignant auprès d'un patient dans une unité de soins intensifs dédiée à la Covid-19 à Los Angeles. L'intelligence artificielle et les algorithmes apportent des solutions innovantes pour aider les malades.
Des membres du personnel soignant auprès d'un patient dans une unité de soins intensifs dédiée à la Covid-19 à Los Angeles. L'intelligence artificielle et les algorithmes apportent des solutions innovantes pour aider les malades.
©MARIO TAMA / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

SOS algorithmes

Depuis un an, certains logiciels ont permis aux traitements de la maladie de gagner en efficacité. Certains experts redoutent néanmoins que des outils soient approuvés trop rapidement et que d’autres soient biaisés.

Damien Gromier

Damien Gromier

Damien Gromier est fondateur de l'initiative Al for Good, lancée à l'Assemblée nationale en avril 2018. Il est CEO et cofondateur du groupe Startup Inside à l'origine des conférences internationales AI for Health, AI for Finance et AI for the Planet. Il est également cofondateur et ancien président de l'initiative France is AI by France Digitale. Il est enfin vice-président fondateur de l'association Impact Al, "think and do tank" de référence en matière d'éthique de l'IA.

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Atlantico : En début d’année dernière, face à l’inconnu de la pandémie qui débutait alors, de multiples hôpitaux, notamment aux Etats-Unis, ont mis au point des logiciels et des algorithmes recourant à l’IA. Ainsi, ils ont pu modéliser et prévoir les profils de patients touchés par la Covid-19 susceptibles de requérir une hospitalisation, ou de développer une forme grave. Comment la technologie de l’IA a-t-elle été utilisée par le milieu médical ? Son utilisation a-t-elle eu un impact réel ?

Damien Gromier : La crise de la Covid-19 a été, comme dans bien des domaines, un accélérateur pour l’IA dans le domaine de la santé. Il est exact qu’aux Etats-Unis de nombreux hôpitaux ont développé, ou se sont mis à utiliser des algorithmes. En pratique, il s’agit le plus souvent de logiciels utilisant des algorithmes de « machine learning », c’est à dire des logiciels conçus pour découvrir automatiquement des liens entre différentes variables cliniques, à partir de bases de données médicales. Ces logiciels n’ont pas attendu la crise de la Covid-19 pour faire leur apparition. Ils sont en développement depuis quelques années. Certains font l’objet de projets pilote, d’autres, plus rares, ont déjà entamé une véritable carrière commerciale – aux Etats-Unis comme ailleurs. En janvier 2021, l’université de Zurich a publié les résultats d’une étude dans le journal médical « The Lancet ». Une étude unique en son genre, parce qu’elle analyse pour la première fois, de manière quasi exhaustive, l’ensemble des dispositifs numériques utilisant de l’IA en santé en Europe et aux Etats-Unis. Les chercheurs en ont compté plus de 200 de part et d’autre de l’Atlantique : 222 aux Etats-Unis, 240 en Europe. Parmi eux, les plus nombreux analysent les clichés obtenus par imagerie médicale : imagerie par résonance nucléaire ou CT scan (le fameux « scanner »). Les autres font, le plus souvent, des recoupements entre données cliniques (sérologie, bactériologie, type sanguin, traitements suivis, historique des maladies …) et profils individuels (sexe, âge, statut socioéconomique…). Les objectifs sont multiples. Dans le cas des IA analysant l’imagerie médicale, il s’agit en général d’accélérer et d’aider le diagnostic. Il faut savoir que bien souvent un médecin spécialiste, un radiologue par exemple, n’a que quelques secondes pour analyser un cliché. L’IA démultiplie prodigieusement cette capacité, en effectuant un premier tri, par exemple, des cas simples et des cas compliqués, ou présentant un risque particulier, afin que les médecins priorisent leur temps d’expertise. Dans la crise de la Covid-19, la vitesse pour bien orienter un patient, bien anticiper son éventuel risque de rechute, et ainsi bien dimensionner les capacités de réanimation, choisir les bons traitements… a été, surtout en début de pandémie, un facteur décisif, pour aider les soignants à affronter l’urgence. En France, l’institut Gustave Roussy, par exemple, utilise un logiciel appelé AI Severity, développé par la startup Owkin, lauréate du challenge AI for Health 2019, pour établir un score prédictif de gravité de l’infection par le SARS-COV-2 sur la base, notamment, de scanners des poumons.

Le néphrologue Girish Nadkarni, du Hasso Plattner Institute for Digital Health et du Mount Sinai Clinical Intelligence Center, affirme que cet usage de l’IA dans la collecte et l’analyse de ces données médicales correspondait à un besoin d’agréger rapidement des informations afin d’en apprendre plus sur un virus alors nouveau. Y-a-t-il des risques associés à de tels procédés ?

Effectivement, le premier besoin des soignants, face à l’épidémie, et se demandant si l’IA pouvait les aider, était de gagner du temps. En pratique, cela signifie que certains algorithmes ont été développés rapidement, ou adaptés à partir de codes écrits pour d’autres contextes, et conçus à partir de données pas forcément aussi fournies et qualitatives que le voudraient les bonnes pratiques statistiques, ou alors mis en application sans avoir pris le soin de vérifier qu’ils étaient fiables – c’est à dire apportant une aide à la décision fidèle à la réalité clinique -, robustes – c’est à dire peu ou pas sensible à la présence de données erronées – et justes – c’est à dire donnant des résultats ne discriminant aucun type de population au sein des patients concernés. Il faut reconnaître que, sur tous ces points, bien des logiciels développés sont loin d’être parfaits. L’étude de l’université de Zurich que j’ai mentionné s’est d’ailleurs penché de près sur la question de savoir si les algorithmes d’IA pour la santé développés aux Etats-Unis et en Europe avaient fait l’objet de tests rigoureux, visant à prouver qu’ils sont fiables, robustes et justes. Les chercheurs estiment que sur les plus de 400 algorithmes répertoriés, seuls 5 avaient pouvaient revendiquer un niveau de preuve solide. Attention, je ne dis pas que la majorité des algorithmes ne sont pas efficaces : simplement qu'il manque encore un référentiel commun, solide, qui permette d’en évaluer systématiquement la qualité. Il existe heureusement de nombreux systèmes d’IA sérieusement conçus et évalués. C’est le cas notamment de celui qu’utilise, par exemple, l’ANSM, conçu par la startup Synapse Medicine, qui sert, là encore, à faciliter le travail des médecins pharmacologues en charge de la pharmacovigilance mise en œuvre pour les vaccins anti-covid.

Que nous dit cette démarche de la place de l’IA dans la pratique médicale aujourd’hui ? Quelles perspectives la crise de la Covid-19 a-t-elle ouverte en la matière, et quelles sont leurs limites ?

L’IA est incontestablement en train de s’installer parmi les technologies clés de la médecine. Elle a été mobilisée, on l’a vu, pour faire face à l’urgence : aide au diagnostic, aide à l’orientation et au suivi des patients. Elle est devenue également, et cela bien avant la crise de la Covid 19, un levier de progrès décisif pour la recherche fondamentale. D’une part parce que les technologies de l’IA sont appropriées pour explorer plus rapidement et efficacement que jamais les combinatoires immenses en jeu dans la recherche de molécules et associations de médicaments susceptibles d’être efficaces non seulement contre le SARS-CoV-2, mais contre un large éventail d’agents infectieux. D’autre part parce que l’IA optimise très efficacement les essais cliniques, en appariant bien plus efficacement volontaires et protocoles de tests. Or, le criblage des molécules (la recherche pharmaceutique) et les essais cliniques, on l’a vu avec le révélateur qu’est la pandémie, ont besoin de gagner en efficacité pour que l’on puisse faire face rapidement à la survenue de nouvelles épidémies.

En dehors des contextes pandémiques, l’IA pour la santé est utile, et en cours de développement accéléré, aussi bien dans les actions de prévention (elle est appelée à jouer un rôle dans la surveillance des appareils connectés, dans l’anticipation des épisodes chroniques, dans les recommandations personnalisées), de soin (pour l’assistance au diagnostic et à l’observance thérapeutique, pour la personnalisation des traitements) que pour l’accompagnement du patient – notamment via les assistants vocaux de télémédecine. Comme j’ai pu le constater avec les nombreux experts et entrepreneurs qui ont contribué à mon livre « l’IA en action », la santé est un des domaines où la révolution de l’IA est, déjà, à l’œuvre, et transforme l’expérience des professionnels de santé et des patients. Les technologies de l’IA ont le potentiel de transformer en profondeur, pour le meilleur, la pratique médicale.

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