L’inquiétant rejet de l’industrie chez les jeunes savants<!-- --> | Atlantico.fr
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Des étudiants d’AgroParisTech ont dénoncé leur formation lors d’une remise de diplôme, samedi 7 mai
Des étudiants d’AgroParisTech ont dénoncé leur formation lors d’une remise de diplôme, samedi 7 mai
©(Capture d’écran YouTube/Des agros qui bifurquent)

Nouvelle mode

Une minorité d’étudiants de l’enseignement supérieur rejettent en bloc toute forme de collaboration avec le monde de l’entreprise. Une attitude puérile, antihumaniste et dangereuse : sans une synergie entre capital, travail et savoir, il ne peut y avoir de progrès technique… Au risque d’être encore plus désarmé face au danger climatique précisément dénoncé par ces militants.

Philippe Fabry

Philippe Fabry

Philippe Fabry a obtenu son doctorat en droit de l’Université Toulouse I Capitole et est historien du droit, des institutions et des idées politiques. Il a publié chez Jean-Cyrille Godefroy Rome, du libéralisme au socialisme (2014, lauréat du prix Turgot du jeune talent en 2015, environ 2500 exemplaires vendus), Histoire du siècle à venir (2015), Atlas des guerres à venir (2017) et La Structure de l’Histoire (2018). En 2021, il publie Islamogauchisme, populisme et nouveau clivage gauche-droite  avec Léo Portal chez VA Editions. Il a contribué plusieurs fois à la revue Histoire & Civilisations, et la revue américaine The Postil Magazine, occasionnellement à Politique Internationale, et collabore régulièrement avec Atlantico, Causeur, Contrepoints et L’Opinion. Il tient depuis 2014 un blog intitulé Historionomie, dont la version actuelle est disponible à l’adresse internet historionomie.net, dans lequel il publie régulièrement des analyses géopolitiques basées sur ou dans la continuité de ses travaux, et fait la promotion de ses livres.

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Cela semble devenir une nouvelle mode : après le discours remarqué de jeunes diplômés d’AgroParisTech en mai dernier, qui ont appelé leurs camarades à refuser de travailler pour l’agro-industrie, d’anciens élèves diplômés de Polytechnique ont publié une tribune dans Le Monde, le 8 septembre, pour s’opposer à l’implantation d’un centre de recherche de LVMH sur le campus de l’école « dédié au luxe durable et digital », au motif pris qu’il s’agirait de préoccupations dérisoires, voire indécentes au regard des besoins de la population, et que le centre ne servirait qu’à faire du « greenwashing » et perpétrer la société de consommation dans ses principes actuels. 

Cette tribune fait suite à la mise en échec, par le même collectif, d’une tentative d’implantation de TotalEnergies au début de l’année, alors dénoncée comme incompatible avec la transition écologique. Bannir le mécénat d’une grande entreprise ou grande fortune – Bernard Arnault a déjà donné trente millions d’euros à Polytechnique pour la rénovation de ses bâtiments – pour des raisons idéologiques peut se comprendre lorsqu’il s’agit de dénoncer un scandale en particulier, mais les raisons avancées ici relèvent de la critique systémique de la société industrielle, ce qui paraît à la fois nouveau et inquiétant.

En effet la Révolution industrielle, qui a tiré de la misère la plus grande partie de l’humanité, en particulier au cours des dernières décennies, est née de l’association de la science libérée de la superstition et du capital libéré des multiples carcans des sociétés d’Ancien régime. Avant cela, la science était surtout le fait d’une toute petite élite de savants, qui travaillaient dans un esprit proche de celui de la philosophie antique, à savoir une quête noble de compréhension du monde, sans volonté de révolutionner le quotidien des hommes, les nourrir mieux ou les vêtir pour moins cher. 

C’est durant le XIXe siècle que les grandes entreprises issues du capitalisme naissant se sont intéressées aux travaux des savants, dans le but de tirer profit de leurs recherches. Parmi les grands industriels, certains étaient même des savants qui avaient eux-mêmes trouvé moyen de faire fortune grâce à leurs recherches : c’est le cas par exemple du belge Ernest Solvay, inventeur d’un procédé de production de soude, composé essentiel à toutes les grandes industries : verrerie, textile, papeterie, détergents… Et qui consacra une partie de sa fortune au mécénat scientifique, notamment en créant les « Congrès Solvay » qui, à partir de 1911, ont réuni la crème scientifique mondiale. Songez à ces photos des années 1910 où l’on voit sur un même cliché la plupart des génies fondateurs de la science moderne – Einstein, Rutherford, Poincaré, Curie, Planck, Langevin…

Science sans industrie, la fin du progrès 

Qu’auraient dit nos étudiants modernes à Monsieur Solvay ? Qu’ils n’entendaient pas soutenir une transition industrielle qui épuisait les ressources et menaçait le monde de famine ? Car c’est bien une menace qui a pesé sur les sociétés industrielles au début du XXe siècle, avec l’épuisement des engrais naturels. Menace à laquelle l’humanité n’a justement échappé que grâce au dialogue entre science et industrie avec les engrais mis au point par la société BASF et la synthétisation de l’ammoniac de Fritz Haber en 1909. 

Durant tout le XXe siècle, et jusqu’à nos jours, l’association de la grande industrie et des savants fut le moteur du progrès technique qui a nourri une humanité plus nombreuse que jamais, lui a permis de vivre plus longtemps en bonne santé, et mis pratiquement fin à quantité de tragédies qui avaient été le lot commun de l’humanité depuis son apparition, et cela y compris dans ses périodes les plus prospères. 

Que de jeunes savants, aujourd’hui, veuillent se couper pour des motifs idéologiques du dialogue avec le capital et l’entrepreneuriat serait une catastrophe, une régression en-deçà du XVIIIe siècle et probablement la fin du progrès technique. Bien sûr, il n’est pas question de contester la possibilité pour les savants de faire des choix éthiques ou de prendre des positions politiques fortes – le pacifisme d’Einstein suscite certainement plus de sympathie que l’engagement nationaliste et belliciste d’Haber. Mais les arguments avancés par les diplômés de Polytechnique, comme de ceux d’AgroParisTech, vont bien au-delà de la dénonciation de l’action de l’industrie concernée, ils remettent en cause la civilisation industrielle elle-même, en contestant la légitimité de l’alliance des savants et du capital. 

La sérendipité est un phénomène connu, par lequel de nombreuses découvertes scientifiques adviennent non pas en trouvant la solution à un problème spécifique, mais précisément en constatant et en comprenant des choses inattendues en essayant de traiter un problème tout différent. 

Qui sait si les belles âmes qui entendent dire ce qui mérite ou non d’être recherché, quitte à se priver pour cela des fonds du secteur privé, ne s’apprêtent-elles pas précisément à nous priver des découvertes qui permettraient de surmonter le risque de catastrophe malthusienne qu’ils font profession de redouter, en répétant continuellement que les ressources de la planète sont limitées et que nous courons à la ruine si nous ne changeons pas nos façons de faire ?

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