L’innovation ne se résume pas à la technologie<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
L’innovation ne se résume pas à la technologie
©Reuters

Contre les idées reçues

"The Economist" montrait récemment en couverture "Le Penseur" de Rodin assis sur des toilettes et se demandant "N"allons-nous plus jamais inventer quelque chose d"aussi utile ?". Dans une tribune publiée sur son site internet le quotidien Le Monde se demande quant à lui : "Sommes-nous arrivés au bout de l'innovation technologique ?"

Jean-Yves Prax

Jean-Yves Prax

Jean-Yves Prax est spécialiste en management de la connaissance et de l'innovation, fondateur de Polia Consulting.

Il intervient en accompagnement des entreprises dans leurs mutations organisationnelles, culturelles, managériales, stratégiques provoquées par l’arrivée des TIC et l’avènement de la Société du Savoir.

Voir la bio »

Innovation et compétitivité sont des mots très à la mode en ces temps de crise, véritable psalmodie incantatoire dans la bouche de certains dirigeants.  Tout le monde envie le succès des innovateurs qui ont réussi, chaque commune de France rêve d’avoir sa propre Silicon Valley, toutes les classes politiques se pressent à rendre hommage à Steve Jobs, pourtant le chantre du capitalisme libéral… mais au final on ne sait pas très bien pourquoi et comment ces innovateurs ont réussi, ni vraiment ce qu’est l’innovation !

Il est vrai que l’innovation est un concept très multiforme : innovation de rupture, radicale, innovation incrémentale, innovation d’usage… une « véritable auberge espagnole », permettant à chacun d’apporter ce qu’il veut, y compris ses propres fantasmes.  Ainsi la première formulation de la politique des pôles de compétitivité, relaie de la Stratégie de Lisbonne : « Par la mise en réseau des acteurs de l’innovation, elle a comme objectifs finaux (…) le développement de l’emploi dans les territoires ». Formulation à laquelle on aimerait souscrire, en théorie, mais qui est une véritable aberration sur le plan de la mise en œuvre opérationnelle (mise en réseau = innovation = emploi MAIS limité au territoire !).

Sans faire ici un cours sur l’innovation, attardons nous un moment sur quelques grandes fausses idées, très persistantes dans notre culture française, qui font tant de mal à l’innovation. 

  1. 1.      Focalisation trop forte sur la technologie

L’innovation ne se limite pas à la technologie : 80% des innovations sont de nature sociale, financière, marketing, solidaire... Citons en vrac : -le succès planétaire de Jean-Claude Decaux, avec le mobilier urbain, -le microcrédit, un machin associatif qui représente un encours de plus de 30 milliards d’euros ! ou encore -une marque de  fringues fondée dans une baraque de plage par une bande de surfeurs hippies et qui réalise un CA de plus d’un milliard de dollars (QuickSilver)…  Les exemples comme cela sont innombrables, tout autour de vous.

Pendant que nos yeux (et les enquêtes) sont systématiquement braqués sur nos secteurs high-tech  du spatial, de l’aéronautique, du nucléaire et du numérique… nos fleurons de la compétitivité se cachent dans des entreprises provinciales au capitalisme familial (Michelin, Auchan, Sodexo …) et dans des secteurs comme le tourisme, l’agroalimentaire, la distribution, le luxe et la mode, les services à la personne… d’ailleurs excédentaires dans la balance commerciale.

  1. 2.      Une politique fiscale qui n’a rien compris à l’entrepreneuriat

Malheureusement ce modèle de « capitalisme familial », qui nous est envié dans le monde car il est garant de la stabilité de l’actionnariat, de l’investissement sur le long-terme, d’une capacité de prise de risque, et d’un modèle certes « paternaliste », mais social… ne survivra pas longtemps aux attaques intérieures incessantes d’une fiscalité confiscatoire et aux convoitises extérieures des prédateurs étrangers, fonds de pension en tête. De même, la récente révolte des « pigeons » a mis en lumière le fossé d’incompréhension entre nos politiques et la classe des « entrepreneurs ». Nul ne semble s’émouvoir que Londres soit devenue la 6e ville française ! Plus que la fuite des « vieux » capitaux, c’est la fuite des « jeunes » cerveaux qu’il faut redouter.

  1. 3.      Amalgame entre Innovation et Recherche

Il ne suffit pas de dépenser plus d’argent (public) en recherche pour avoir plus d’innovation et force est de constater que la France est autant reconnue pour ses échecs commerciaux que pour ses prouesses créatives ! Car l’innovation ne se limite pas à l’invention d’un procédé, mais suppose un lancement sur le marché réussi. Lancement qui traverse souvent une série de flops préliminaires, et doit affronter l’arrivée de nouveaux entrants (fast second). Le corollaire est que, -certes l’invention peut être le déclencheur, -mais les phases aval d’industrialisation, marketing sont aussi déterminantes dans le succès final. Il est nécessaire de reconsidérer le système d’aide publique à l’innovation, aujourd’hui encore beaucoup trop axé sur les phases amont.

  1. 4.      Vision colbertiste trop axée sur les grands projets, les grandes firmes et les grandes écoles

Certes la France peut se vanter de grands projets emblématiques, comme l’Airbus, le TGV et son expertise nucléaire, menés de main de maître par nos grands ingénieurs des corps... Mais le premier levier de compétitivité et d’emploi, le seul atout possible pour une sortie de crise aujourd’hui, ce sont bien les petites, voire très petites entreprises. Celles qui n’apparaissent pas dans les enquêtes du BCG, celles qui n’ont pas forcément les moyens de déposer des brevets, et pourtant celles qui, tous les jours pour survivre, créent des innovations dans les domaines les plus extravagants. Celles qui, si on leur donne une chance de se développer chez nous, deviendront nos grandes réussites de demain.

  1. 5.      Trop d’importance sur le BizPlan, pas assez sur l’homme

Une certaine vision technocrate dominante, tentation à vouloir tout modéliser, objectiver, à vouloir « maîtriser le risque », ce véritable « syndrome du Retour sur Investissement » constitue en fait l’une des principales barrières à l’innovation. Au Poker, vous pouvez avoir tantôt une bonne main, tantôt une mauvaise… mais à la table de la finale mondiale, il n’y aura que des « bons joueurs ».

Il faut accompagner l’entrepreneur tout au long de son parcours du combattant, l’assister pendant ses échecs, l’aider à se relever, à recommencer, comme le ferait un coach avec un sportif de haut niveau. S’il « plante » une première entreprise, considérons que c’est un formidable gain d’expérience. Il reviendra, plus fort. Car s’il est bien une qualité commune à tous les entrepreneurs innovants qui ont réussi c’est la PUGNACITÉ.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !