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La plupart des responsables politiques se sont rués sur le sujet des hausses de prix, notamment de l’énergie.
La plupart des responsables politiques se sont rués sur le sujet des hausses de prix, notamment de l’énergie.
©DANIEL ROLAND / AFP

Atlantico Business

La défense du pouvoir d’achat est devenue la revendication première des responsables politiques et syndicaux qui brandissent le risque d’inflation. Le discours partagé est difficile à digérer.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Alors que la compétition politique pour la présidentielle commence à se durcir, la plupart des responsables politiques se sont rués sur le sujet des hausses de prix, notamment de l’énergie, pour prévenir un risque d’inflation généralisée qui « aurait commencé » à impacter le pouvoir d’achat.

Sur le terrain politique, l’argument résonne fort parce que l’ensemble de l’opinion est évidemment sensible au risque de perdre son pouvoir d’achat. Sur le terrain économique, cette inquiétude ne correspond pas à une réalité qui serait capable de ruiner l’ensemble des équilibres macro-économiques.

Le phénomène d’inflation est très complexe et il a donné lieu à de nombreuses recherches, parce que c’est sans doute le phénomène économique qui a le plus d’impact direct sur la vie quotidienne de la population toute entière. Par conséquent, c’est un phénomène qui est très souvent préempté par les responsables politiques qui cherchent à le moduler ou à en corriger les effets les plus douloureux.

Pour y voir clair, voilà des éléments de réponses aux cinq questions toutes simples que tout le monde pourrait se poser pour digérer le discours politique.

1. L’inflation, c’est quoi ?

Question essentielle pour savoir de quoi on parle. Pour les économistes, l‘inflation c’est la hausse des prix. Plus précisément, c’est une augmentation générale et durable des prix. Par conséquent, cette inflation entraîne une perte du pouvoir d’achat de la monnaie. Par rapport à des prix qui augmentent, la monnaie dont on dispose perd de sa valeur puisqu’on est obligé de réduire la quantité de produits (et services achetés). Cette inflation se mesure par l’évolution mensuelle de l’indice des prix à la consommation établis (en France par l’Insee). Cet indice mesure les prix d’un panier de plus de 250 produits et services.

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Alors, cette définition académique (ou théorique) de l’inflation suscite beaucoup de critiques et d’interprétations dans la mesure où elle s’appuie sur un panier de consommation type alors que les structures de consommation sont différentes selon les catégories sociales et de revenus. On ne consomme pas la même chose selon qu’on est très riches, riches, modeste ou très pauvres. Donc la perception des hausses de prix est différente.

2e L’inflation dont on parle actuellement correspond-elle à cette définition ? L’inflation actuelle dénonce des hausses de prix de catégories de produits très précises : le carburant, et notamment le pétrole donc l’essence, le gaz, l’électricité, certaines matières premières, industrielles et agricoles. Ces hausses de prix sont le résultat d’une pénurie d’offre. La demande mondiale est tellement forte en cette sortie de crise que les fournisseurs ne peuvent pas y faire face. Se rajoutent à la forte demande des événements climatiques, géopolitiques ou sanitaires, qui empêche la production de suivre. D’où les ruptures d’approvisionnement, de livraison, de délais. Tout cela se traduit par des hausses de prix.

Ces hausses sont particulièrement ressenties par les catégories sociales plutôt modestes qui sont contraintes d’acheter ce type de produits. Plus que d’autres.

En fait, cette inflation pèse moins sur le pouvoir d’achat et le coût de la vie en général que sur le pouvoir de dépenser. La nuance est importante.

Contrairement à ce qu’on dit et écrit, le pouvoir d’achat n'a pas baissé en France. Ni avant la crise, ni pendant la pandémie, ni après.

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Ce qui a sans doute baissé, c’est pour beaucoup le pouvoir de dépenser. Une part du revenu de plus en plus importante est consacrée à des dépenses contraintes, dépenses fixes régulières sur lesquelles le consommateur a très peu de pouvoir. Il s’agit du loyer, des remboursements de crédit, des charges et des impôts puis des abonnements TV, digital, internet, mobile, l’automobile donc l’essence. Quand ces dépenses contraintes augmentent, la fin de mois est difficile. Le ressenti pèse sur le pouvoir d’achat global.

Ces hausses sont également ressenties par la crainte de contaminations à d’autre secteurs.

3° En quoi cette inflation est- elle toxique ?

Cette inflation liée à un excès de la demande sur l’offre de produit n’est théoriquement pas durable parce que le système d’économie de marché peut se réguler. La demande peut se tasser une fois le phénomène de rattrapage passé et l’offre peut aussi s’accroître pour répondre à cette demande. C’est un peu l’analyse faite actuellement par la Banque mondiale et le FMI qui prévoient un tassement dans les mois qui viennent.

Cependant, cette inflation est évidemment toxique puisqu’elle touche des catégories sociales vulnérables dont les revenus ne suivent pas. Elle peut aussi contaminer d’autres secteurs.

L’automobile, par exemple, dont les prix montent actuellement pour deux raisons. D’abord

parce que la valeur intrinsèque d’une voiture augmente à cause de la transformation vers l’électrique, mais aussi à cause de la pénurie de composants électroniques.

Cette hausse des prix est évidemment toxique pour des raisons politiques puisqu’elle entraîne des surenchères de mesures compensatoires qui peuvent, elles, être, à terme, très coûteuse politiquement.

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Enfin, ce ressenti en termes de pouvoir d’achat révèle un changement du mode de vie et de consommation que les indices macro-économiques appréhendent assez mal.

4e Cette inflation peut-elle se généraliser et en quoi serait-elle dangereuse ?

Cette inflation « très localisée » peut devenir très dangereuse si elle se généralise et surtout, si elle entraîne une hausse mécanique des revenus et des salaires. A l‘approche d’une poussée inflationniste, la réaction légitime des syndicats est de réclamer des hausses de salaires pour compenser le coût de la vie. Or, une hausse de salaires qui ne correspond pas à une augmentation de la productivité ou de la quantité de travail va entraîner une hausse des prix de revient et par conséquent, une hausse des prix à la consommation qui, elle-même, entraînera une nouvelle revendication de salaires.

Le risque inflationniste réside dans cette spirale assez perverse et mécanique qui va pousser le couple prix-salaires toujours à la hausse. Dans ce cas-là, l’inflation traduit une baisse de la valeur de la monnaie. Il faut de plus en plus de monnaie pour alimenter le fonctionnement de la machine économique. Et la baisse de la valeur de la monnaie entraîne une baisse de la productivité sur les marchés étrangers, d’où la hausse nominale des prix de produits importés.

L’économie se retrouve dans une spirale infernale dont elle ne peut sortir qu’à ses dépens. Les économies européennes sont tombées dans des spirales inflationnistes à partir des années 1970. A la fin des Trente glorieuses, il a fallu des chocs pétroliers et des réformes monétaires importantes (euro) pour éviter la faillite.

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Alors, est ce qu’aujourd’hui, on pourrait craindre une reprise généralisée de l’inflation ? Peu probable parce que tant que le monde restera ouvert, globalisé, la concurrence mondiale empêchera les hausses de prix généralisée. Les seules hausses de prix possibles correspondent à des raretés artistiques ou technologiques, déséquilibres temporaires entre l’offre ou la demande ou encore l’abondance de liquidités sur les marchés financiers, qui favorise le cours des indices boursiers.

5e question : Mais est ce que l’inflation ne permettrait pas de payer la dette Covid ?

L’inflation, si elle est maîtrisée, par de la régulation et des incitations à investir dans l’innovation et la productivité, a pour seule vertu de mettre de l’huile dans les rouages sociaux. Mais elle a pour inconvénient de dévaluer les dettes, donc d’appauvrir les épargnants et les rentiers. L’inflation est souvent réclamée par le monde de la finance par ceux qui vivent à crédit ou par le fruit de leur travail. Elle encourage la consommation et l’investissement, et est donc ancrée dans le discours keynésien.

Pour les rentiers, c’est compliqué à vivre parce que l’inflation rabote mois après mois leur pouvoir d’achat.

Alors, très cyniquement, en ruinant les rentiers, l’inflation permet d’alléger le fardeau de la dette publique. C’est un peu ce qui s’est passé pendant les Trente glorieuses jusque dans les années 1980. Les structures politiques ont tenu parce que la démographie a fait que les jeunes actifs étaient encore beaucoup plus nombreux que les inactifs.

Aujourd’hui, ce serait beaucoup plus compliqué. D’où la nécessité de retarder l'âge de départ à la retraite pour équilibrer les systèmes par répartition.

Mais aujourd’hui, l’ensemble des épargnants dans le monde n’a qu’une obsession, obtenir des garanties sur le capital détenu et prêté. Ils sont donc, pour la plupart, prêts à payer pour s’assurer cette sécurité. D’où la pratique généralisée des taux très bas et même des taux zéro. L’emprunt (ou l’endettement) ne coûte pratiquement rien et si l’argent est bien utilisé, bien investi, il va rembourser lui-même, de façon mécanique les prêteurs, épargnants.

Le système actuel n’est pas dangereux si tous les acteurs restent vertueux. Si l’argent emprunté est investi utilement et productif.

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