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L’infiltration des trotskistes au sein de la CGT explique-t-elle la radicalisation d’un conflit social qui échappe à tout contrôle ?
©Reuters

Retour vers le futur

Alors qu'une manifestation contre la loi Travail s'est tenue ce jeudi à la Bastille, la CGT, en lutte ouverte contre le gouvernement, radicalise de plus en plus ses positions. Ce durcissement du syndicat est la résultante d'une attitude plus contestataire à la base mais aussi au sommet de l'organisation.

Sylvain Boulouque

Sylvain Boulouque

Sylvain Boulouque est historien, spécialiste du communisme, de l'anarchisme, du syndicalisme et de l'extrême gauche. Il est l'auteur de Mensonges en gilet jaune : Quand les réseaux sociaux et les bobards d'État font l'histoire (Serge Safran éditeur) ou bien encore de La gauche radicale : liens, lieux et luttes (2012-2017), à la Fondapol (Fondation pour l'innovation politique). 

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Atlantico : Alors que la CGT est en lutte ouverte contre le gouvernement, dans quelle mesure les positions du syndicat se radicalisent-elles ? Quels sont les signes permettant de mettre en évidence une telle radicalisation idéologique ? Le fait qu'Elsa Conseil, membre du NPA, soit directrice de cabinet de Philippe Martinez n'en est-il pas une illustration ?

Sylvain Boulouque : La CGT se re-radicalise par rapport à une période plus centriste : du temps de Bernard Thibault, elle avait adopté une attitude plus conciliante vis-à-vis des pouvoirs publics. Nous sommes actuellement dans une phase de retour à une attitude plus dure qui est à la fois la résultante de l'attitude de la base (cette dernière étant beaucoup plus contestatrice qu'auparavant) et d'une attitude plus contestatrice au sommet. 

La présence d'Elsa Conseil et d'autres membres des partis trotskistes ne fait que traduire cette re-radicalisation de la base. Par ailleurs, l'ancien appareil de la CGT a soit pris sa retraite, soit abandonné le militantisme actif. Il y avait donc une place vide qui a été occupée par des militants plus jeunes et plus radicaux. 

Certaines fédérations de la CGT, comme celle de l'agroalimentaire ou de la chimie, ou encore le syndicat des cheminots de Versailles sont encore affiliés à la Fédération syndicale mondiale. Or celle-ci s'est récemment réunie à Damas, échanger sur le thème de la "rapacité impérialiste". Quelle est la vision du monde défendue par la Fédération syndicale mondiale ? Cette ligne extrémiste est-elle en progression au sein de la CGT ? 

La Fédération syndicale mondiale (FSM) est une très vieille structure à laquelle sont encore affiliées les centrales syndicales de la Corée du Nord et peut-être de Cuba. C'est l'héritage du système communiste international qui depuis 1917 était piloté de Moscou.

Au sein de la CGT, un certain nombre de syndicalistes, en grande partie pour des raisons de militantisme historique, sont encore affiliés à la FSM. Cette filiation est liée à la présence au sein de la CGT d'un certain nombre de communistes orthodoxes qui soutiennent ce qui reste du système communiste international et vont chercher des incarnations à Cuba, en Amérique latine (dans une moindre mesure) et pour quelques brontosaures extrêmement minoritaires, en Corée du Nord.

On assiste plutôt à une déperdition du phénomène : s'il y a 30 ans, toute la centrale était affiliée à la FSM , aujourd'hui, il s'agit de quelques syndicats ou de quelques fédérations syndicales qui peuvent adhérer ou se réclamer de la FSM. Le système communiste international est dans une phase de déclin très important même s'il reste encore quelques bastions qui se réclament du communisme le plus orthodoxe.  

En ce qui concerne la vision du monde de la FSM, on peut dire de façon un peu caricaturale qu'elle ressemble à la vision de Kim Jung Il : une interprétation du monde fondée sur la lutte des classes et qui considère qu'un seul pays incarne le communisme (tous les autres pays étant des ennemis jurés). Il convient de rappeler que l'on parle d'un phénomène archéologique en termes de militantisme : il s'agit des derniers militants qui se réclament du communisme marxiste orthodoxe.

Quelles sont les conséquences d'une telle radicalisation d'une partie de la CGT ? Cette mouvance est-elle susceptible d'entraîner une partie significative des membres de l'organisation vers un discours de plus en plus radical ? Existe-t-il une lutte interne entre différents courants idéologiques au sein de la CGT ?

Au niveau de la direction nationale, la CGT n'est plus du tout dans une situation de contrôle. Jusque dans les années 2000, la direction de la CGT contrôlait à peu près la base. Ce n'est plus du tout le cas aujourd'hui dans la mesure où il y a un retour au fédéralisme très important  : chaque union locale et chaque syndicat au niveau local est autonome. Tout dépend de l'investissement des militants dans chacun des syndicats, dans chacune des fédérations. 

On peut parler de radicalisation car un certain nombre de dirigeants de la CGT au niveau local sont des militants d'extrême gauche. On peut citer plusieurs militants trotskistes clairement revendiqués qui sont des dirigeants locaux de la CGT : Philippe Poutou, le responsable de lutte ouvrière qui dirige la CGT à Aulnay…

Il y a donc localement une contestation assez forte de la base. Néanmoins, cela ne traduit pas nécessairement un accord de la majorité de la CGT. En effet, au regard des accords d'entreprise passés par les dirigeants locaux de la CGT, on constate que 70% des accords d'entreprise sont signés par les membres de la CGT et que ce sont des accords tout à fait réformistes et en aucun cas contestataires. 

Par ailleurs, Philippe Martinez a radicalisé son discours pour re-fédérer autour de lui une partie de la base. En effet, comme la CGT sortait d'une période compliquée suite à la démission forcée de Thierry Lepaon, Philippe Martinez avait besoin de recréer une unité et le seul moyen d'y parvenir était de tenir à un discours beaucoup plus radical. 

Il y a effectivement une lutte interne, un affrontement sourd entre deux voire trois visions du monde : une vision radicale, une vision qui s'inscrit dans une forme de continuité du mouvement communiste et une vision plus réformiste. En outre, dans la mesure où la direction de la CGT n'arrive plus à tenir sa base et qu'il n'y a plus du tout de centralité, les positions peuvent être extrêmement différentes en fonction des endroits où se trouvent les fédérations ou unions syndicales.  Un phénomène similaire se dessine d'ailleurs au sein de FO : certaines fédérations sont tenues par des trotskistes du POI alors que d'autres peuvent être aux mains de membres ou proches du FN. Le phénomène d'autonomisation du local par rapport au national est général. 

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