L’incroyable pouvoir de Google sur chacun d’entre nous<!-- --> | Atlantico.fr
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Google sait à peu près tout de nous.
Google sait à peu près tout de nous.
©Reuters

Un ami qui vous veut du bien

Google sait à peu près tout de nous : ce que nous lisons, notre métier, nos amis, où nous nous trouvons en temps réel... Et il en saura bientôt encore plus : sur l'état de notre santé, de nos finances personnelles... Un pouvoir en réalité bien plus fort et insidieux que celui d'un Big Brother.

Pascal Perri

Pascal Perri

Pascal Perri est économiste. Il dirige le cabinet PNC Economic, cabinet européen spécialisé dans les politiques de prix et les stratégies low cost. Il est l’auteur de  l’ouvrage "Les impôts pour les nuls" chez First Editions et de "Google, un ami qui ne vous veut pas que du bien" chez Anne Carrière.

En 2014, Pascal Perri a rendu un rapport sur l’impact social du numérique en France au ministre de l’économie.

Il est membre du talk "les grandes gueules de RMC" et consultant économique de l’agence RMC sport. Il commente régulièrement l’actualité économique dans les décodeurs de l’éco sur BFM Business.

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Jean-Gabriel Ganascia

Jean-Gabriel Ganascia

Jean-Gabriel Ganascia est professeur à l'université Pierre et Marie Curie (Paris VI) où il enseigne principalement l'informatique, l'intelligence artificielle et les sciences cognitives. Il poursuit des recherches au sein du LIP6, dans le thème APA du pôle IA où il anime l'équipe ACASA .
 

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François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe, docteur d’État, hdr., est directeur de recherche à l’IRIS, spécialisé dans la communication, la cyberstratégie et l’intelligence économique, derniers livres : « L’art de la guerre idéologique » (le Cerf 2021) et  « Fake news Manip, infox et infodémie en 2021 » (VA éditeurs 2020).

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Notre vie privée

Jean-Gabriel Ganascia : Google accumule à notre insu une foultitude d’informations personnelles sur chacun d’entre nous. De multiples signes en attestent. Ainsi, lorsque vous demandez à obtenir les nouvelles sur Internet (news), Google vous renvoie immédiatement à la page donnant des informations nationales qui dépendent de l’endroit où vous vous trouvez. Nous sommes donc localisés et suivis à la trace. De même, si un jour vous cherchez à acheter des lunettes de soleil avec Google, des publicités pour des lunettes de soleil vous seront présentées dans les semaines qui suivent. Les requêtes que nous formulons se complètent automatiquement en reprenant d’anciennes requêtes que nous avons formulées... Tout ce que vous nous faisons est enregistré.

Les risques

Les risques apparaissent évidents. Toutes ces données sont revendues à des industriels qui les utilisent pour nous profiler et calibrer les sollicitations qu’ils nous adressent, afin de mieux nous séduire. S’il n’en allait que de cette activité marchande, cela nous irriterait sans avoir de grandes conséquences. Mais nous savons que les Etats, en particulier le gouvernement des Etats-Unis, vont plus loin : ils demandent à Google de leur fournir des informations, au prétexte d’assurer la sécurité. La conséquence majeure apparaît évidente : on supprime les libertés individuelles !

Lire également : L’UE et les Etats-Unis s’attaquent à Google mais quel Etat a encore vraiment le pouvoir de résister au géant du web ?

Comment y échapper

Pour s’affranchir de l’emprise de Google, il suffit simplement de ne pas utiliser Google... Il existe d’autres moteurs de recherche qui ne tracent pas leurs utilisateurs ; citons par exemple le moteur français Qwant qui se révèle à l’usage pratiquement aussi efficace que Google, avec une interface mieux faite. Malheureusement, l’inertie est forte et les habitudes sont bien ancrées !

Nos finances personnelles

Pascal Perri : Google dispose d’un accès direct à une grande partie des consommateurs du monde. Sur la base de son métier de base, la recherche d’informations, Google a mis la main sur un stock considérable de données personnelles. C’est la base de la connaissance client, le saint Graal du commerce. Le moteur de recherche est devenu une interface entre les commerçants et les consommateurs. Il manquait juste les moyens de paiement. C’est désormais chose presque faite. Demain Google pourrait aussi devenir banquier comme l’a fait Alibabuy en vendant des produits financiers aux Chinois. Et pour quelle raison ? Parce que nul autre que ces entreprises ne connaît mieux les consommateurs : leurs habitudes d’achat, leur capacité contributive, leur épargne. Nous entrons dans un monde où le pouvoir de marché se déplace. 

Notre santé

Jean-Gabriel Ganascia : Plus que d’une mainmise sur la santé, Google veut montrer qu’il aide à faire progresser la médecine en engrangeant et en interprétant les données, par exemple en détectant, par une analyse des requêtes qui lui sont soumises, l’émergence d’un foyer infectieux et le début d’une épidémie, ou en analysant le génome et en prédisant les facteurs génétiques prédisposant à une maladie. Mais Google va plus loin et investit dans des sociétés comme Calico (California Life Company) qui veulent lutter contre l’altération des cellules et faire reculer la mort.

Un projet politique

Derrière, il y a l’idée que des industriels de l’information peuvent prendre à leur charge un certain nombre de secteurs qui relevaient jusqu’ici de la compétence des Etats, comme la santé, l’éducation ou l’économie. Cela répond à un projet politique de destruction des Etats.

Quelles conséquences ?

Il n’est pas certain qu’il y ait des limites aux ambitions de Google qui nous promet l’immortalité, ce qui se manifeste entre autre par le parrainage de l’université de la Singularité et par des dons à différents mouvements transhumanistes. En revanche, il risque d’y avoir un désinvestissement des Etats dans le secteur de la santé, ce qui aurait des conséquences tragiques pour les plus démunis.

Les technologies du quotidien

Jean-Gabriel Ganascia : De nombreux indices attestent de l’ambition de Google dans de multiples secteurs de la technologie. Sans parler du traitement de grandes masses de données, qui relève des compétences propres de Google, nous savons qu’il a conçu une voiture sans conducteur qui se conduit automatiquement. Il rachète aussi des sociétés, par exemple la société Waze qui établit des cartes et des itinéraires. L’intelligence artificielle, la robotique, la collecte de données par "crowdsourcing"... Tous ces secteurs de la technologie contemporaine sont investis par Google.

L'araignée tisse sa toile

Google, comme une araignée géante tisse sa toile. Elle s’approprie un à un tous les maillons qui pourraient un jour faire obstacle à son emprise sur le monde. Elle le fait pacifiquement, en achetant les entreprises concernées à bon prix. Mais, elle le fait continument, sans s’arrêter.

Les Etats, profiteurs et victimes

Les limites à ce développement tiennent à la volonté des Etats. La Chine s’y oppose ; la Russie aussi ; les Etats-Unis en bénéficient pour asseoir leur puissance. En revanche les Etats plus faible y succombent, qu’il s’agisse d’Etats pauvres et peu structurés, qui voient là un palliatif à leurs carences, ou d’Etats impuissants, comme le sont devenus les Etats européens.

Nos médias

François-Bernard Huyghe : Les médias dépendent à certains égards de technologies fournies par Google : Google earth, Google News, Google Scholar… pour accéder à l'information. Ensuite, il y a Google News, qui est devenus la plus grande revue de presse du monde. Cela crée des catégories et une hiérarchie de l'information. Des centaines de milliers d'articles circulent, et au-dessus de cette mêlée se trouve Google, qui détermine quels articles auront le plus de visibilité. L'algorithme de Google, c'est le pouvoir de dire ce qui est le plus important pour des millions de gens, et de noyer une information sous des millions d'autres. Cela a pour effet de transformer notre manière de consommer les médias. Ne devenons pas paranoïaques, les dirigeants de Google ne sont pas des méchants de James Bond qui veulent diriger le monde, mais tout de même, cette société a l'intention d'influer sur le cours des choses. La création du think-tank "Google Ideas" en témoigne, qui se propose de lutter contre l'extrémisme, le djihadisme et toutes formes d'obscurantismes.

On pourrait penser que le bon vieux format papier constituerait une alternative, voire une limite à la hiérarchisation de l'information par Google, mais qui voudra encore l'acheter, maintenant que tout est gratuit ? De plus, Google n'a pas vraiment de concurrence en la matière, c'est lui le numéro un de l'information.

Notre pensée

François-Bernard Huyghe : Google a un pouvoir direct sur notre cerveau (notons au passage que les implants dans le cerveau sont à l'étude), il nous formate, nous consommateurs. Google nous rend-il idiot ? Je l'ignore, en tout cas il est évident que nos habitudes de travail, de réflexion et de mémorisation ont changé. Ce ne sont pas les mêmes zones cérébrales qui sont utilisées. Encore une fois, le cœur de l'activité de Google se trouve dans notre attention. Son intérêt est l'accaparer le plus possible. Le "multi tasking", par opposition à la concentration pleine et entière sur un seul et même sujet, favorise cette monopolisation de l'attention.

Une influence sur l'opinion publique ?

Entendons-nous, Google ne fait pas de propagande au sens traditionnel du terme. Google peut en tous cas faire monter dans la hiérarchie de l'opinion certaines opinions et pas d'autres, comme nous l'avons vu pendant le printemps arabe : les manifestants eux-mêmes écrivaient "merci Google", "merci Twitter" et "merci Facebook". C'est sympathique dans la mesure où le pouvoir a été donné au peuple face à des dictateurs, mais il ne faut non plus oublier que la mise à disposition de ce "pouvoir" répond à des ambitions géopolitiques et idéologiques.

Google n'essaie pas à proprement parler d'imposer un contenu, une opinion ou une croyance, mais change nos modes d'acquisition des connaissances et des croyances. En changeant cela, c'est nous-même que Google change. C'est un pouvoir impalpable et addictif, bien plus complexe que celui de Big Brother, qui lui se cantonne à donner une vérité officielle.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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