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L’impossible dossier des retraites : et si la question était mal posée ?
©Thomas SAMSON / AFP

Analyse à froid

Attaquer le dossier des retraites sans relativiser le marqueur de l’âge et sans nous dire comment l’industrie va retrouver sa compétitivité ainsi que des capitaux souverains mobilisables est une illusion.

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent est ancien dirigeant de Elf Aquitaine et Gaz de France, et spécialiste des questions d'énergie. Il est président de la branche industrie du mouvement ETHIC.

 

Ingénieur à l'Institut polytechnique de Grenoble, puis directeur de cabinet du ministre de l'Industrie Pierre Dreyfus (1981-1982), il devient successivement PDG de Rhône-Poulenc (1982-1986), de Elf Aquitaine (1989-1993), de Gaz de France (1993-1996), puis de la SNCF avant de se reconvertir en consultant international spécialisé dans les questions d'énergie (1997-2003).

Dernière publication : Il ne faut pas se tromper, aux Editions Elytel.

Son nom est apparu dans l'affaire Elf en 2003. Il est l'auteur de La bataille de l'industrie aux éditions Jacques-Marie Laffont.

En 2017, il a publié Carnets de route d'un africain.

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Il ne se passe pas d’années sans que le dossier des retraites ne fasse l’actualité, on finit toujours après discussions, manifestations et grèves multiples par conclure une réforme présentée comme la « der des der », et puis l’affaire revient, lancinante, imperturbable : il faut de nouveau réformer. La plupart de ceux qui s’emparent du dossier n’ont jamais goûté aux travaux pénibles : personnel de bureau, personnel politique, commentateurs divers, spécialistes de la lecture et de l’écriture qui ont l’espérance de vie la plus longue et qui ont le temps de prendre soin de leur forme physique et psychologique. Les carrières politiques sont d’ailleurs les plus longues et certains les prolongent jusqu’au cercueil.

Dans un pays traversé par un sentiment fort d’inégalité, la question qui est posée à celui qui a en charge de proposer est celle d’un retour à une dose d’universel, c’est-à-dire le retour sur l’existence et les avantages des fameux « régimes spéciaux » qui peuplent notre univers national. Ceux qui en bénéficient veulent les conserver, les autres les jalousent, et les autres sont toujours plus nombreux, donc il est de bonne démagogie politique de « taper » sur les régimes spéciaux.

Prenons un peu de recul : après une vie consacrée au travail, arrive la vieillesse et l’inaptitude physique et psychologique, l’usure du corps et de la tête, et la nécessité de faire entrer du sang neuf dans toutes les activités. Mais l’âge de la retraite uniforme se heurte à des réalités de différences des professions, il en est où l’expérience est fondamentale et d’autres où la forme physique est essentielle. Un joueur de football est « vieux » très tôt, un avocat se bonifie avec le temps ! Cette volonté d’égalité à tout prix se heurte à l’inégalité profonde de la vie. La fixation d’un âge pour la retraite est donc un leurre, mais elle reste une posture agréable pour la présentation à la population, car c’est du concret. Se déchirer sur ce chiffre comme on le fait depuis une trentaine d’années est donc en premier lieu imbécile, et promettre dans un projet politique le maintien ou une dérive dans un sens ou dans l’autre de ce marqueur est un gage d’inefficacité : on ne peut rien attendre du chiffre que l’on avance, ou plutôt il ne peut qu’attirer des ennuis. « J’ai promis 62 et je m’y tiens, je vais revenir à 60, je vais aller à 65 … « quelle illusion et quelle folie !

Un des aspects les plus évidents de notre développement a été l’allongement de notre espérance de vie, c’est une donnée à prendre en compte et elle conduit tous les pays européens à avoir, en moyenne, une durée du travail autour de 65 ans et au-delà, j’insiste sur le « en moyenne ». Ceux qui le peuvent, et souvent les bureaucrates, travaillent effectivement très tard, et tout le monde a pu remarquer que animateurs de télévision et de radio faisaient périodiquement leur « retour » à un âge avancé à la grande satisfaction des auditeurs et téléspectateurs !

Mais si l’on regarde nos voisins, notre système, parfait comme il se doit, se distingue par l’inexistence des « fonds de pension », c’est-à-dire l’investissement par les travailleurs eux-mêmes dans leur avenir, au profit de la répartition, c’est-à-dire que les actifs paient pour les anciens. La conséquence de cet engouement pour la répartition est qu’il faut viser le plein emploi, le nombre de retraités augmentant avec les exploits de la politique de santé, et il est nécessaire d’avoir une politique industrielle pour soutenir l’économie du pays. C’est tout l’inverse qui a été fait en considérant qu’il fallait diminuer les heures de travail pour augmenter les actifs. On connait aujourd’hui l’échec des 35 heures, des RTT, qui se heurtent à la fois à la mondialisation qui a poussé dans l’autre sens et qui a entamé en conséquence notre compétitivité, et à la réalité du travail qui n’est pas « interchangeable ». La première réponse à la question de la réforme du régime des retraites est donc : « quelle est la politique industrielle régionale, nationale et européenne que vous voulez mettre en œuvre ? ». Et la réponse « je vais faire de la France une start up nation « n’est pas pertinente, on observe ses limites tous les jours, notre pays s’enfonce de plus en plus, ses fleurons disparaissent et ses nouvelles créations sont « avalées » par des capitaux extérieurs.

Attaquer le dossier des retraites sans relativiser le marqueur de l’âge et sans nous dire comment l’industrie va retrouver sa compétitivité ainsi que des capitaux souverains mobilisables est donc une illusion que seuls des commentateurs en mal de copie peuvent essayer de justifier.

Mais il me faut revenir sur les régimes spéciaux qui sont présentés comme le mal qu’il faut combattre en les présentant comme des avantages indus.

Il est des professions où l’âge limite est évidemment bas, les anciens sportifs professionnels se retrouvent dans le suivi des plus jeunes ou, avec l’argent qu’ils ont épargné pendant leur période de gloire, on les retrouve dans des commerces, nous vivons tous avec ce genre de souvenirs. Mais dans l’armée de métier par exemple on veut des jeunes sur le terrain et on ne peut en « recycler » dans les bureaux qu’en nombre limité, il y a donc un régime spécial qui permet de « dégraisser » la pyramide et à 40 ans on peut se retrouver en « retraite » ! C’est de la gestion des ressources humaines pour avoir la meilleure force de frappe. Les forces armées qui sont des forces d’intervention ne sont pas peuplées de soldats de 60 ans, ce serait la fin de notre sécurité ! Les militaires ont donc une seconde vie avec une rente due à leurs états de service antérieurs ! Pour un certain type de métier, on a donc substitué à la notion de vieillesse la notion de gestion optimale des ressources humaines, et cela fait un « régime spécial » parfaitement légitime et accepté par la population. On imagine les risques de disparition de l’Armée si elle n’était peuplée que de gérontes !

Dans les activités industrielles l’expansion d’une entreprise permet en général de gérer les ressources humaines et de faire monter les professionnels avec le secours de la formation permanente, mais un bon ouvrier ne fait pas forcément un bon chef d’atelier et l’usure à un poste déterminé est perceptible, la réalité est donc plus complexe que ce que pense un concepteur dans son bureau. Ce qui se passe dans l’armée je l’ai vécu avec les conducteurs de trains considérés par tous les politiques et commentateurs comme des « nantis » à cause de leur retraite possible à 52 ans. Ils sont désormais tout seuls dans un petit espace dans des machines qui foncent de 140 à 300 km/h suivant la signalisation et obsédés par les horaires. Ils ont un « sillon » octroyé sur une tranche horaire et toute négligence pénalise tous les départs suivants jusqu’à désorganiser tout le réseau. Ils doivent signaler par un mouvement des mains ou des pieds très fréquent qu’ils sont toujours vivants sous peine d’un arrêt automatique du train et fixent par ailleurs leur attention sur la voie. J’ai eu la chance d’expérimenter la conduite en tant que Président de la SNCF, et j’ai compris que pour la sécurité des passagers il valait mieux que les conducteurs se sentant usés prennent une retraite bien méritée. Encore un régime spécial, n’en déplaise à de nombreux écrits, parfaitement justifié, et le « reclassement » à l’intérieur de la grande maison n’est pas généralisable même si certains d’entre eux peuvent faire de merveilleux professeurs. Le problème est donc de savoir limiter à des professions un régime et ne pas l’étendre aux employés de bureaux.

Enfin, le service public dont la formation tient beaucoup dans le programme du conseil de la Résistance (CNR), la reconstruction du pays, a conduit à la notion de « salaire différé », c’est-à-dire que l’entrée au service de la collectivité se faisait à salaire réduit par rapport au privé, mais avec des perspectives de régime spécial de retraite, il y avait donc un avantage lié à un inconvénient, celui d’une embauche à bas salaire ! Revenir sur cette pratique est possible, mais aurait pour corollaire une augmentation immédiate du cout de services publics puisque les nouveaux entrants seraient payés plus et que les anciens continueraient à percevoir les salaires différés. Tous les services publics connaissent pour des raisons diverses des augmentations de couts, est-il vraiment nécessaire de faire bondir la note pour les usagers, les clients et les contribuables, j’en doute.

Prenons donc un peu de recul, et posons-nous d’abord les bonnes questions avant d’engager le pays dans des troubles supplémentaires pour des gains illusoires au profit d’une idéologie « égalitaire » contredite par les réalités de la vie.

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