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Des membres du personnel soignant dans une unité de soins Covid lors de la crise sanitaire.
Des membres du personnel soignant dans une unité de soins Covid lors de la crise sanitaire.
©JOEL SAGET / AFP

Modèle français

Le système de soins français est marqué par des dysfonctionnements sérieux entraînant un recul historique de la comparaison avec les autres systèmes européens. Les dépenses de soins en France sont pourtant parmi les plus élevées d’Europe et du monde. Quel est l'état des dépenses hospitalières publiques ?

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze est chirurgien à Perpignan.

Passionné par les avancées extraordinaires de sa spécialité depuis un demi siècle, il est resté très attentif aux conditions d'exercice et à l'évolution du système qui conditionnent la qualité des soins.

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LES LECONS D'UNE PANDEMIE

L’hôpital public ou privé doit être en aval d’une organisation de santé publique 

Dans un premier article nous avons mis en évidence que moins on maîtrise une pandémie au niveau de la transmission plus on expose les établissements de soins à une surcharge et les citoyens à une morbi-mortalité élevée. À l’inverse la maîtrise totale ou partielle de la transmission aplati plus ou moins la courbe de contaminations et d’hospitalisations ce qui permet de soigner tous les malades avec les meilleures chances de survie. Une pandémie virale, avant la mise au point d’un vaccin et d’antiviraux, nécessite avant tout des protections personnelles et le TTIQ (Test, Trace, Isolate, Quarantine) et bien sûr une observance individuelle élevée. Bref, une pandémie est un stress test de la société toute entière.

Même en temps normal l’hôpital doit rester le recours pour les cas graves

Ce qui est vrai en situation d’urgence sanitaire est aussi vrai lors du fonctionnement normal du système de soins. Utiliser des masques diminue le nombre de grippes, de bronchiolites en pleine épidémie et permet de mieux soigner ceux qui sur le nombre de contaminations ont besoin de la réanimation adulte ou pédiatrique. Cela commence par les salles d’attente des médecins. Améliorer la qualité microbiologique de l’air des espaces fermés est capital, notamment en hiver. Diminuer le tabagisme améliore les soins de ses complications car les ressources sont mieux utilisées et les possibilités de diagnostic précoce plus fréquentes. Diminuer l’obésité et le diabète de type 2 contribue à une meilleure prise en charge de ceux qui en sont atteints. Autrement dit le système de soins n’est pas un distributeur de soins aux moyens infinis et ce quoi qu’il en coûte. C’est même le contraire car un système de soins produit des biens et des services de haute valeur ajoutée nécessitant des ressources humaines de haut niveau et des biens contenant beaucoup d’innovation. Ces biens et services sont limités.

Dans ce deuxième article nous allons faire un état des lieux de l’hôpital public et privé Français. Le but est de déterminer la ou les causes les plus probables des difficultés et dysfonctionnements actuels. Nous avons choisi de mettre en évidence les données économiques du secteur hospitalier pour que chacun puisse évaluer les affirmations des uns et des autres.

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LE LEITMOTIV DE LA "CRISE"

En bons élèves du marxisme mâtiné de Gramscisme, la plupart des syndicats de la fonction publique hospitalière et la plupart des médias ne cherchent même pas à varier les titres. Chaque difficulté est amplifiée et baptisée d’office "crise", crise de l’hôpital, crise de la santé, crise des déserts médicaux. C’est à la fois inapproprié et contraire à ce que Gramsci a décrit dans ses cahiers de prison. Il n’y a dans la situation actuelle aucun ancien monde qui meurt sauf dans la réalité virtuelle du socialisme. Il y a simplement des dysfonctionnements liés à une très mauvaise utilisation des moyens consommés et à une inorganisation structurelle. En effet, les autres hôpitaux dans le monde soignent plutôt très bien et ceux qui le font sont très bien organisés.

LES MOYENS FINANCIERS ALLOUES AU SYSTEME DE SOINS FRANCAIS SONT MASSIFS

Les montants en milliards d’euros et en % du PIB de la dépense de soins sont considérables. Notre pays n’est certainement pas en manque de moyens financiers. Les dépenses de soins (ce qui est très différent des dépenses de santé soit dit en passant) sont en France parmi les plus élevées d’Europe et du monde (Figure N°1).

Figure N°1: Dépenses de soins en pourcentage du PIB (%). Il est factuel de constater des dépenses de soins très élevées en France. Les pays cités qui dépensent entre 1 et 1,5 point de PIB de moins ont des systèmes d esoins très performants et une qualité des soins au moins égale.

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Figure N°2: Dépenses de soins en valeur ($). Répartition selon le payeur (OCDE).

LE RESTE A CHARGE N'EST PAS UN OBSTACLE AUX SOINS

Analysons cette dépense de soins en % du PIB déclinée selon le payeur. Il apparaît que depuis 2019 la dépense de soins a augmenté avec en France un reste à charge toujours le plus faible de la zone euro. La difficulté économique invoquée d’accès aux soins est sans fondement.

Figure N°3: Dépenses de soins en % du PIB. Répartition selon le payeur (OCDE).

L'HOPITAL PUBLIC FRANCAIS EST TRES BIEN DOTE

Dans ces dépenses de soins, les dépenses hospitalières publiques sont aussi considérables, puisque nous sommes au-delà de 4 points de PIB bien au-dessus des autres pays européens sauf la Suède. Le constat que l’on peut faire c’est que les hôpitaux publics en France ont des moyens financiers considérables.

Source : OCDE; FIPECO

Figure N°4: Il est difficile de considérer que la France ne fait pas assez en matière de dépenses hospitalières publiques.

LES MOYENS EN LITS SONT IMPORTANTS

La deuxième allégation concerne le nombre de lits. Qu’il s’agisse des lits en général ou des lits de soins aigus, la France est dotée d’un nombre de lits rapporté au nombre d'habitants qui est très élevé.

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Figure N°5: Nombre de lits hospitaliers pour 1000 habitants (OCDE).

Le nombre de lits de soins critiques par 1000 habitants pourrait apparaître moins élevé que le taux de lits en général. C’est en grande partie parce que nous avons une classification qui n’est pas normée suivant les critères internationaux. Cet indicateur fournit une mesure des ressources disponibles pour la prestation de services aux patients hospitalisés en termes de nombre de lits entretenus, dotés en personnel et immédiatement disponibles pour utilisation. Le nombre total de lits d'hôpitaux comprend les lits de soins curatifs (ou aigus), les lits de soins de réadaptation, les lits de soins de longue durée et les autres lits. Il s’agit du nombre de lits pour 1 000 habitants. Il serait utile que nous fassions un recensement des lits de soins critiques et non seulement des lits de réanimation.

Figure N°6: Nombre de lits hospitaliers de soins critiques pour 1000 habitants (OCDE). Il est urgent de faire un recensement conforme aux critères internationaux de lits de soins critiques.

LES MOYENS HUMAINS DE L'HOPITAL PUBLIC SONT MASSIFS

La troisième allégation est celle du “manque de personnel”. Il faut s’agissant de l’hôpital public envisager les effectifs mais surtout la tendance qui donne une idée de l’effort budgétaire, de formation et de recrutement qui a été considérable.

Figure N°7: Les effectifs de la fonction publique hospitalière ont augmenté de 34%

Ensuite il faut comparer avec des pays européens. Là aussi nous sommes très dotés en personnel.

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Figure N°8: Une anomalie commence à se faire jour: la fonction publique hospitalière est très dotée en non soignants et plutôt moins en infirmiers. Le détail des non soignants est intéressant à analyser, il s’agit surtout de métiers techniques héritiers de la conception ancienne de l’hôpital. Il s’agit aussi dans une moindre mesure de la réadministration puisque l’hôpital n’est pas une entreprise publique.

Nombre de personnels salariés de l’hôpital et nombre d’heures travaillées.

L’élément essentiel dans ce comparatif c’est qu’un professionnel du soin en France travaille 35 heures. Il est comptabilisé comme un dans les effectifs mais cela ne reflète pas le nombre d’heures travaillées.  Or 4 heures ou plus en moins dans un planning qui de surcroît nécessite une présence 24h/24H c’est évidemment très significatif. Les pays où la durée moyenne du travail est de 40h/semaine disposent de 12,5 % d’heures en plus. C’est énorme.

DECROCHAGE ET SORTIE DU TOP 10 DES PAYS DE L'UE

Malgré ces moyens financiers, immobiliers, techniques et humains, la France décroche dans le classement des systèmes de soins des pays de l’UE (Figure N°9).

Figure N°9: L’Euro Health Consumer Index (EHCI), lancé en 2005, est la principale comparaison pour évaluer la performance des systèmes de soins nationaux dans 35 pays. L'EHCI analyse les soins sur 46 indicateurs, en examinant des domaines tels que les droits et l'information des patients, l'accès aux soins, les résultats des traitements, la gamme et la portée des services, la prévention et l'utilisation des produits pharmaceutiques. En 2018 la France se classait 11ème.

LA PRODUCTION DE SOINS DE QUALITE NECESSITE UNE ORGANISATION PERFORMANTE

Le système de soins Français est secoué par des dysfonctionnements sérieux entraînant un recul historique de la comparaison avec les autres systèmes européens. La qualité des soins n’est pas mesurée par un tiers indépendant dans notre pays. Les certifications de l’HAS ne sont pas des mesures de la qualité des soins mais des normes de seuil pour continuer à obtenir l’agrément de fonctionnement. Les dysfonctionnements touchent notamment l’hôpital public et la médecine ambulatoire. Ces difficultés ne sont pas les mêmes que celles que ce système a connues depuis sa création. Il s’agit en France dans presque tous les cas de dysfonctionnements dans un contexte d’abondance de biens et de ressources humaines. Il s’agit dans presque tous les cas de questions organisationnelles plutôt que de pénurie. Il s’agit dans presque tous les cas de rigidités multiples devant une demande très flexible, changeante et parfois disruptive. Il est temps de faire une analyse macro-économique de l’activité hospitalière française pour évaluer les difficultés observées à leur juste poids et déterminer les causes en détail en comparant avec nos voisins européens et aussi en comparant les différentes régions (Figure N°9).

Figure N°10: Performance du système de soins Français et de 9 autres pays européens.

D’une manière générale il est très peu probable que nous trouvions des solutions soutenables avec les mêmes réflexes de la logique de moyens, les mêmes sparadraps en milliards, les mêmes lâchetés des Ségur, les mêmes oukases de part et d’autre et en particulier des ARS. Comment peut-on envisager de sortir notre système de soins de l’impasse dans lequel il est en particulier le système public sans remettre en cause des éléments structurels? Certainement pas en annonçant des recrutements qui ne resteront que de papier car les candidats potentiels n’existent pas. C’est une question d’efficience c'est-à-dire de performance plus simplement, un mot que les acteurs du système de soins préfèrent ignorer.

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