L’Europe est-elle prête à l’impact d’une réélection de Donald Trump ?<!-- --> | Atlantico.fr
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"Le potentiel retour de Donald Trump à la Maison Blanche constitue, assez indéniablement, l’éléphant dans la pièce – c’est-à-dire la catastrophe susceptible d’arriver mais que l’on se refuse catégoriquement à regarder", estime Guillaume Lagane.
"Le potentiel retour de Donald Trump à la Maison Blanche constitue, assez indéniablement, l’éléphant dans la pièce – c’est-à-dire la catastrophe susceptible d’arriver mais que l’on se refuse catégoriquement à regarder", estime Guillaume Lagane.
©Jim WATSON / AFP

De moins en moins improbable

La perspective d’une réélection de Donald Trump apparaît de moins en moins improbable.

Guillaume Lagane

Guillaume Lagane

Guillaume Lagane est spécialiste des questions de défense.

Il est également maître de conférences à Science-Po Paris. 

Il est l'auteur de Questions internationales en fiches (Ellipses, 2021 (quatrième édition)) et de Premiers pas en géopolitique (Ellipses, 2012). il est également l'auteur de Théories des relations internationales (Ellipses, février 2016). Il participe au blog Eurasia Prospective.

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Atlantico : La perspective d’une réélection de Donald Trump apparaît de moins en moins improbable. Les pays d’Europe sont-ils prêts, sur les plans politique, géopolitique et militaire, selon-vous ?

Guillaume Lagane : Le potentiel retour de Donald Trump à la Maison Blanche constitue, assez indéniablement, l’éléphant dans la pièce – c’est-à-dire la catastrophe susceptible d’arriver mais que l’on se refuse catégoriquement à regarder. Les résultats de Donald Trump, notamment dans l’Iowa, sont très importants. Il y a obtenus plus de la moitié des voix des caucus et semble dominer ses rivaux dans la région ; quand bien même la participation y a été moins élevée qu’en 2016, ce qui pourrait laisser penser que l’électorat républicain fait preuve d’une ferveur moins importante qu’à l’occasion de sa première élection. Ceci étant dit, la possibilité qu’il devienne le candidat des Républicains et qu’il soit finalement élu en novembre prochain est tout à fait plausible et les Européens, me semble-t-il, ne sont pas du tout préparés à une telle éventualité. Il y a d’ores et déjà des signes annonciateurs qui permettent d’envisager ce à quoi pourrait ressembler sa réélection. Ainsi, son retour signerait probablement l'impossibilité de s’entendre au Congrès sur la question de l’aide à l’Ukraine, ce qui n’augure évidemment rien de bon pour Kiev. 

Si les Européens avaient voulu se préparer à une telle éventualité, ils auraient pu le faire en suivant l’idée française d‘autonomie stratégique. En l’état les pays d’Europe sont extrêmement dépendants des Etats-Unis d’Amérique sur le plan militaire et c’est pourquoi il aurait fallu réfléchir à la meilleure façon de développer des capacités militaires sur le vieux continent, de sorte à compenser l’éventuel départ des troupes américaines. N’oublions que Donald Trump, alors qu’il occupait encore le Bureau ovale, s’était ouvertement interrogé sur la pertinence de l’appartenance des Etats-Unis à l’OTAN.

Bien sûr, cela ne veut pas dire que les pays européens n’ont rien fait depuis l’élection de Joe Biden : un certain nombre d’entre eux ont décidé d’augmenter leurs dépenses militaires. C’est le cas de la France, par exemple, qui l’a fait avec sa loi de programmation militaire. Le président Macron a d’ailleurs parlé de réarmement en janvier dernier. Il reste donc à voir ce que cela va noter. Plus à l’est, c’est la Pologne qui, bien qu’elle ait changé de majorité, a décidé de maintenir le contrat signé avec la Corée du Sud et devrait donc se doter d’une très grande capacité militaire puisqu’elle va acquérir quelque 1000 chars et 600 canons. Enfin, à Bruxelles, certains agitent l’idée d’un fonds européen pour la construction d’armement comme le fait Thierry Breton. Tout ceci pourrait constituer une réponse potentielle au retour de Donald Trump, si celui-ci était effectivement réélu.  

Malheureusement, ce sont des mesures qui, pour l’essentiel, arrivent un peu tard. Les Européens auraient dû se préparer à une telle éventualité dès le départ de l’ancien président Républicain. Le retour de Joe Biden à la tête des Etats-Unis ne s’est pas fait en rupture totale avec la politique de Donald Trump sur la question du « pivot », la transition des forces américaines vers l’Asie, face à la Chine.  

Quid des aspects économique et financier ? Les pays d’Europe pourraient-ils encaisser le retour d’une forme de protectionnisme à l’américaine ?

La dépendance de l’Europe vis-à-vis des Etats-Unis d’Amérique, sur le plan économique, est beaucoup moins évidente qu’elle ne peut l’être sur le plan militaire. L’Europe, rappelons-le, a des atouts conséquents et qui demeurent indépendants de nos voisins d’outre-Atlantique. Pour autant, il serait naïf de penser qu’il n’existe aucun lien de dépendance entre nous et les Etats-Unis. La question énergétique demeure incontournable à ce sujet, d’autant plus depuis le début de la guerre en Ukraine et la rupture des liens avec la Russie, sur les plans gazier et pétrolier. Les sanctions que l’Europe impose à la Russie depuis 2022 ont engendré des importations de gaz naturel liquéfié (GNL) américain et donc l’émergence d’une dépendance nouvelle.

Ceci étant dit, je ne suis pas sûr qu’il s’agisse d’un sujet aussi inquiétant que ne peut le constituer la question militaire : on peut légitimement penser que Donald Trump aura à coeur de maintenir les exportations américaines vers le continent européen et qu’il sera soucieux de maintenir les exportations d’armes vers nos ports également. Le risque, qui demeure réel, vient du potentiel retour d’un agenda protectionniste à Washington. En 2016, ne l’oublions pas, Donald Trump avait décidé de rompre avec la logique du traité de libre-échange qui liait les Etats-Unis à l’Union européenne. Si celle-ci entend se sortir d’une nouvelle impasse de ce genre, il lui faudra relancer un agenda libre-échangiste, d’ailleurs nécessaire à la croissance mondiale, mais elle fera alors face à son propre lot d’obstacles puisqu’un nombre conséquent des pays membres de l’UE ne regardent pas ces traités d’un très bon oeil. 

La réélection de Donald Trump risque-t-elle de faire plus de dégâts, en 2024, compte tenu du poids nouveau qu’occupe le “trumpisme” dans l’administration américaine ? 

En effet. Il est tout à fait légitime de penser que le deuxième mandat de Donald Trump, si celui en venait à être réélu, serait plus radical que ne l’a été le premier. N’oublions pas qu’il a une revanche personnelle à prendre sur le personnel politique américain – un besoin qui découle des circonstances de sa sortie du pouvoir et des multiples procès qui lui ont depuis été intentés. Il nourrit, à l’égard de ce qu’il appelle l'État profond de Washington, une vendetta personnelle, qui pourrait donner lieu à des conséquences très perturbantes pour ses potentiels partenaires étrangers. Et pour cause ! S’il récupère le pouvoir, conformément au principe du « spoil system », il apparaît plausible qu’il procède à des changements d’affectations importantes au sein du ministère des Affaires étrangères ainsi qu’au seion du ministère de la Défense (et, d’une façon générale, dans le reste de l’administration des Etats-Unis), ce qui pourrait avoir un impact sur les relations étrangères.

De plus, les institutions américaines sont davantage sous son emprise qu’elles ne pouvaient l’être en 2016. Pendant son premier mandat, Donald Trump a placé de nombreux juges à la Cour suprême des Etats-Unis, laquelle se montre beaucoup plus conservatrice qu’elle ne pouvait l’être auparavant. Ce n’est pas un sujet particulièrement inquiétant pour les nations d’Europe, mais cela a de réelles conséquences en matière de politique intérieure, notamment sur des questions de société comme celle du droit à l’avortement. S’il arrive de nouveau au pouvoir, il fera face à moins de frein qu’auparavant.

Dans quelle mesure peut-on penser que la “jurisprudence Trump” pourrait s’avérer positive pour les pays d’Europe ? Ceux-ci connaissent déjà le potentiel candidat Républicain à la Maison Blanche ou peut-il de nouveau créer la surprise ?

C’est effectivement un motif d’espoir pour de nombreux dirigeants européens et, d’une façon générale, pour beaucoup des alliés des Etats-Unis qui observent ces futures élections avec un œil attentif. L’effet de nouveauté de Donald Trump, au moins sur la scène internationale, apparaît quelque peu émoussé et il retrouverait – en cas d’élection à la Maison Blanche – des interlocuteurs qu’il connaît, avec qui il avait l’habitude d’échanger. C’est le cas du président Emmanuel Macron, par exemple, dont il se moquait d’ailleurs assez récemment. Ceux-ci savent, pour l’essentiel, comment l’aborder et parfois même comment l’influencer.

D’aucuns espèrent donc qu’il sera plus facile à convaincre qu’il n’a pu l’être pendant son premier mandat. Il ne faut pas non plus oublier que l’administration américaine avait elle aussi appris à border les choix et les décisions de l’ancien président, comme l’illustre bien la question syrienne. Alors qu’il voulait retirer ses troupes sur le terrain, l’armée américaine avait su le convaincre qu’il pouvait être pertinent de rester pour contrôler les champs de pétrole, à défaut de le faire pour lutter contre le terrorisme, ce deuxième sujet intéressant alors moins le chef d’Etat américain. On peut donc escompter que, sur certains sujets de politique étrangère particulièrement essentiel, elle puisse appliquer une certaine forme de damage control.  

Il apparaît plausible que Donald Trump, s’il gagne de nouveau la Maison Blanche, soutienne encore Israël dans sa guerre contre le Hamas et cherche encore à endiguer l’Iran. Il n’avait pas hésité à employer la force en Syrie, contrairement à Obama. Il ne devrait pas revenir sur la position officielle américaine sur la question de Taïwan, étant très opposé à la Chine. C’est sur l’Ukraine que persistent le plus d’incertitudes… Sur le soutien à l’Ukraine, les Européens vont devoir réfléchir à des solutions alternatives potentielles, notamment la mise en place d’une véritable « économie du guerre » car le conflit est appelé à durer.

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