Déclassement
L’Europe, continent des ambitions entrepreneuriales perdues ?
Comme le relève le magazine The Economist, dans les années 80, les grandes entreprises européennes dominaient le capitalisme mondial aux côtés de champions américains ou japonais. En 2000 encore, 41 des entreprises les plus profitables au monde étaient installées en Europe; elles ne sont plus que 15 aujourd’hui.
Atlantico : À quel phénomène peut-on imputer la perte de stature et d’avant-garde en terme d'entrepreneuriat en Europe ?
Sébastien Cochard : A mon sens, l'explication du phénomène est triple. Tout d'abord, la profondeur du marché financier américain, qui représente significativement plus de la moitié de la capitalisation boursière mondiale, montre que les sociétés américaines ont la possibilité de racheter systématiquement et aisément, partout dans le monde, par échanges d'actions, les start up et sociétés cotées prometteuses. Dès qu'une société devient cotée sur un marché quelque part après son introduction en bourse, elle devient la proie potentielle d'une OPA par un compétiteur américain, qui l'achètera par les billets de monopoly que sont ses propres actions. Cela a été d'autant plus vrai dans l'Union européenne, où Bruxelles depuis l'acte unique de 1986 puis les réformes initiées par le Commissaire Bolkenstein à partir de 1999, a imposé la libre circulation des capitaux puis l'ouverture complète des marchés boursiers.
La deuxième raison est le miroir de la première : il est possible et aisé de prendre le contrôle de toute société européenne (Bruxelles a par exemple rendu hors-la-loi les golden shares et autres dispositifs de protection), à l'inverse le marché américain est verrouillé et une prise de contrôle d'une société américaine sera très difficile. Il y a bien sûr le fameux comité des investissements étrangers aux Etats-Unis, le CFIUS, mais pas seulement : la manière par exemple dont les banques custodiennes américaines remontent les votes en assemblée générales d'actionnaires rend de facto impossible une prise de contrôle par l'exercice de la volonté des actionnaires.
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Enfin la troisième raison est liée au fait que la demande interne des marchés domestiques européens est anémiée par les politiques de désinflation compétitive menées sous impulsion allemande depuis l’introduction de l’euro. La pression sur les salaires pour maintenir la compétitivité externe, les règles d'austérité budgétaire liée à l'euro et à la logique ordolibérale mercantisliste allemande, appauvrissent le continent européen et ne servent qu'à enrichir les actionnaires (pour moitié américains) des entreprises exportatrices allemandes. Rien de tel aux Etats-Unis.
Au début du 21e siècle, 41 des 100 entreprises les plus prospères au monde étaient basées en Europe, aujourd’hui, elles ne sont plus que 15. Est-ce que l’Europe peut retrouver son équilibre d’avant ? Comment ?
Il faudrait abandonner l'illusion mercantiliste allemande que je viens d'évoquer et se concentrer sur nos marchés domestiques. Rendre la prospérité à nos citoyens, qui sont des consommateurs encore riches, malgré la chute drastique depuis vingt ans dans les classements mondiaux du revenu par habitant en parité de pouvoir d'achat, pour restaurer la profitabilité des entreprises européennes. Et bien sûr avec le corollaire d'instaurer un protectionnisme non seulement sur la propriété des entreprises afin d'éviter les prises de contrôles par des actionnaires américains ou chinois, mais aussi un protectionnisme commercial conscient et actif. Je n'imagine pas une seule seconde que cela puisse se produire dans le cadre de l'Union européenne.
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