L’Europe au point mort sur la question migratoire : 6 vérités déplaisantes à regarder en face pour avancer<!-- --> | Atlantico.fr
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Six pays d’Europe centrale affichent leur réticence à appliquer un règlement de l’UE sur l’asile.
Six pays d’Europe centrale affichent leur réticence à appliquer un règlement de l’UE sur l’asile.
©Reuters

Des vérités à ne pas cacher

En plein sommet des chefs d'Etat et de gouvernement, la politique migratoire de l'Union européenne bat de l'aile. Six pays d’Europe centrale affichent leur réticence à appliquer un même règlement pour tous sur l’asile. La Hongrie notamment, qui construit un mur à la frontière serbe, est l'un des révélateurs de l’incapacité de l'Europe à mettre en place une politique commune efficace en termes de migrations.

Hayette Hamidi

Hayette Hamidi

Hayette Hamidi est Secrétaire Nationale pour le parti Les Républicains et présidente du think tank France Fière. 

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Philippe d'Iribarne

Philippe d'Iribarne

Directeur de recherche au CNRS, économiste et anthropologue, Philippe d'Iribarne est l'auteur de nombreux ouvrages touchant aux défis contemporains liés à la mondialisation et à la modernité (multiculturalisme, diversité du monde, immigration, etc.). Il a notamment écrit Islamophobie, intoxication idéologique (2019, Albin Michel) et Le grand déclassement (2022, Albin Michel).

D'autres ouvrages publiés : La logique de l'honneur et L'étrangeté française sont devenus des classiques. Philippe d'Iribarne a publié avec Bernard Bourdin La nation : Une ressource d'avenir chez Artège éditions (2022).

 

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Gérard-François Dumont

Gérard-François Dumont

Gérard-François Dumont est géographe, économiste et démographe, professeur à l'université à Paris IV-Sorbonne, président de la revue Population & Avenir, auteur notamment de Populations et Territoires de France en 2030 (L’Harmattan), et de Géopolitique de l’Europe (Armand Colin).

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Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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  • L'histoire s'est faite de nombreuses migrations et il est impossible aujourd'hui d'y mettre un terme de façon définitive. Tant qu'il y aura des conflits, des mouvements de population auront lieu.
  • Les Unes de l'Express (Qu'est-ce qu'être Français?) et du Point (Comment peut-on être français?) sont révélatrices d'une perte d'identité. Celle-ci est particulièrement perceptible à l'école où la volonté de faire une place aux autres cultures entraîne un flou autour l'identité française.
  • Que ce soit sur la politque migratoire ou sur d'autres sujets bien différents tels que la Politique Agricole Commune ou encore la reconnaissance du Kosovo, l'Union européenne fait la preuve de son incapacité à gérer les égoïsmes et les logiques nationales de ses Etats membres pour parvenir à une véritable solution commune.
  • Des pays comme le Japon ont mis en place une politique qui démotive l'arrivée de migrants. Celui qui envisage d'y migrer sait qu’il aura un statut juridique inférieur à celui des nationaux et qu’il lui sera quasi impossible d'acquérir les droits équivalents à ceux des nationaux, d'une manière ou d'une autre.

1. L'analyse du phénomène sur le temps long montre qu'il est assez illusoire de penser pouvoir parvenir à contenir la pression migratoire.

Gérard-François Dumont :Bien entendu, il y a toujours eu des flux migratoires dans l'histoire. D’ailleurs, la Bible présente d’abord la migration d'Adam et Eve obligés de quitter le Paradis parce qu'ils avaient goûté au fruit défendu. Puis la Bible relate l'Exode des juifs contraints à fuir précipitamment l'Egypte pour assurer leur survie. La religion musulmane a un calendrier qui démarre du jour du départ de Mahomet de la Mecque pour Médine car on lui fait savoir qu'il risquait d’être assassiné : c’est l’Hégire, ce qui veut dire émigration.

Néanmoins, au fil le l’histoire, la nature des migrations peut être extrêmement différente. Ainsi, au XIXe siècle, lors des grands mouvements de population de l'Europe vers l'Amérique, il s’agissait de migrations validées à la fois par les pays de départ et les pays d'arrivée. Les pays européens autorisaient alors des agences à organiser ces migrations. Et ces dernières étaient souhaitées par des pays américains qui voulaient se peupler. Par exemple, pendant toute une période, l'Argentine a même octroyé gratuitement des terres aux personnes qui acceptaient de venir s'y installer. Ainsi chaque migration est différente.

Par exemple, la migration qui se constate aujourd'hui en Méditerranée est parfois comparée à celle des Boat People fuyant le Viêt Nam dans les années 1975-1980. Pourtant, ses caractéristiques sont fort différentes. Dans la migration des Boat People, les Européens n'étaient nullement responsables. La responsabilité venait de l’Etat vietnamien du Nord qui n'a pas respecté les accords de paix de janvier 1973, s’est emparé de la totalité du Vietnam du Sud pour y déployer un régime très liberticide, de vengeance et de violente colonisation, qui a poussé de nombreux Vietnamiens à l’exode. Aujourd'hui, dans les migrations que l'on voit en Méditerranée, c'est bien différent puisque les Européens ont une certaine responsabilité dans l’exode de certaines populations, en conséquence de leur mauvaise géopolitique conduite au Moyen-Orient et en Libye ces dernières années. Ce n'est donc pas parce qu'on utilise le même mot, migration, que le contenu et les caractéristiques sont semblables.

Comme toujours au cours de l’histoire, soit les conflits civils, soit les guerres, soit des dirigeants qui ne permettent pas le développement de leur pays poussent à un exode ou à une émigration des personnes espérant trouver ailleurs la sécurité tout court ou la sécurité économique. L'Europe a connu un tel phénomène en son sein au début des années 1990 avec les guerres de l'ex-Yougoslavie, avec des centaines de milliers de demandes d'asile dans les autres pays européens de la part de Yougoslaves qui fuyaient les conflits. On ne peut donc pas penser aujourd'hui, au vue de l'histoire, que les flux migratoires pourraient ne plus exister. Tant qu'il y aura des conflits, cela déclenchera des mouvements de population. 

Guylain Chevrier : Concrètement, il y a assez peu d'espoir de parvenir à maîtriser la pression migratoire. Quand une personne veut absolument immigrer, elle y parviendra. En quoi le fait de penser qu'on parviendra à juguler ce flux migratoire est une illusion?

Il y a plusieurs dimensions au phénomène migratoire. Il y a tout d’abord ce que nous en dit l’histoire, à savoir, que depuis la fin du XIX e siècle, il y a eu différents mouvements migratoires, d’abord frontaliers avec les Italiens, puis les Polonais, puis les Espagnols, puis encore après la décolonisation, les migrants venus d’Afrique et du Maghreb, sans oublier la migration portugaise, et plus lointaine, de chine. Encore aujourd’hui l’immigration évolue, elle se rééquilibre par un apport croissant de migrants venus de l’Est de l’Europe, qui représentent la moitié des populations en référence. Chacun de ces mouvements a connu ses propres motifs, de la recherche d’une terre économique à une terre d’accueil. Les mouvements migratoires appartiennent à une réalité qui n’est pas contestable et qui s’est affirmée comme une donnée de l’histoire contemporaine avec laquelle il faut compter, qu’ont intégré d’ailleurs de façon générale les Etats.

Ensuite, il y a la situation actuelle, qui se manifeste à travers une poussée migratoire démultipliée. Elle est l’effet d’une mondialisation qui fait fi des frontières et incite à une immigration de nouvelle échelle, qui pose de nouveaux problèmes, dont on ne connait pas l’importance sur le moyen-long terme. Il y a une redistribution des cartes depuis la fin du communisme à l’Est qui a changé les rapports de forces et les équilibres géopolitiques, dont la guerre menée par l’Etat islamique est la partie émergée de l’iceberg, dont il faut attendre encore des surprises qui vont se traduire par une accélération des mouvements migratoires.

Il faut aussi compter avec la bonne ou la mauvaise volonté des Etats d’où partent les candidats à l’immigration, certains pays refusant d’accepter sur leur sol leurs ressortissants lorsqu’ils y sont raccompagnés. D’autre part, l’Union européenne tend à donner l’impression qu’un accueil tempéré est possible en proposant une répartition des nouveaux venus entre les pays membre de l’UE, où en tentant de mieux identifier les motifs des demandes d’asile, ce qui est aussi un piège. Car, nul ne sait combien de migrants vont venir s’échouer aux frontières de l’Europe prise en otage d’une logique humanitaire qui l’emporte sur les considérations politiques. La confusion est totale et les passeurs ne peuvent que se sentir encouragés à pousser au départ des centaines de milliers de migrants dans ce contexte.

2. L'idéologie de la différence et de la diversité caractéristique à l'Europe a résulté en une dissolution de l'identité qui fait de l'immigration un problème : comment imaginer que des immigrés s'intègrent dans un pays qui n'assume ou ne sait pas ce qu'il est ; par exemple l'école française en est arrivée à accueillir toutes les identités sauf l'identité française. Les Unes du Point et de l'Express pose cette semaine la même question révélatrice : qu'est-ce qu'être Français ?

Hayette Hamidi : L’identité, c’est ce qui nous rend digne, heureux et fier de la France. Or, force est de constater qu'aujourd'hui, l'identité française est malmenée et vidée de son sens. L'échec cuisant des différentes politiques d'accueil et d'intégration, particulièrement celles menées par la gauche, produit aujourd'hui une fracture vive et douloureuse au sein de notre société. 

Cette fracture trouve sa source principale dans la ghettoïsation territoriale, culturelle et sociale : de nombreuses populations qui avaient participé à la reconstruction de la France d'après-guerre se sont pourtant vues mises au banc de la société, relayées à une citoyenneté incomplète. Après elles se sont additionnées, les vagues d'immigration plus récentes, qui suivent malheureusement la même trajectoire de marginalisation, terreau d'une frustration grandissante et de réflexes communautaires.  

Le problème ne provient pourtant ni de la vitalité, ni de la diversité des cultures étrangères, mais bien de l'abandon progressif de la transmission de notre culture nationale. En effet, comment imaginer pouvoir sereinement transmettre notre culture française dans des territoires où l'Etat, d'abord par son école, a abandonné l'enseignement essentiel de son Histoire et des valeurs qui fondent l'identité française ?

Pour les jeunes immigrés, l'un des premiers lieux de rencontre avec la France est donc l'école.Anecdote révélatrice d'une enfant en petite section de maternelle, où j'ai eu le bonheur d'enseigner, qui dessinait le drapeau de son pays d'origine. Lorsqu´en réponse, j'ai naturellement décidé d'organiser un atelier sur nos couleurs nationales, l'équipe pédagogique a émis de fortes réserves quant à l'impact qu'une telle initiative pourrait avoir sur les parents...

Cette même école censée garantir à chacun de nos enfants la maîtrise de la langue française échoue dramatiquement sur nombre de nos territoires : de Pointe-à-pitre à Mantes la jolie en passant par Bobigny, les statistiques de l'illettrisme sont parfaitement inacceptables pour la 6ème puissance mondiale. Quand certaines classes de 6ème de nos territoires accueillent 40% d'élèves ne maîtrisant pas la langue, quel futur pouvons-nous leur imaginer ?

L'autorité nécessaire à toute posture d'enseignant est également mise à mal : lorsqu'une maîtresse d'école primaire se présente chaque jour en jogging-basket, quel respect peut-elle bien inspirer à ses élèves ?

Plus grave encore, la réforme des rythmes scolaires fait dorénavant intervenir à l'intérieur des établissements, des animateurs dont la formation pédagogique est loin d'être assurée et dont les recrutements reflètent souvent un clientélisme politique local... Le génie de Molière, Hugo et Zola a laissé sa place au découragement, au laxisme et à l'inégalité pour tous...

Ces exemples illustrent une certaine incapacité volontaire et collective, à assumer une propagande républicaine positive, pourtant nécessaire, puisque permettant une construction identitaire sereine, grâce à la diffusion dès le plus jeune âge de nos symboles nationaux. 

Pourtant sans maîtriser ces outils, il est impossible d'accéder à une identité généreuse et bienheureuse. Notre identité est devenue malheureuse et fade, et conduit des enfants nés dans le sein même de la nation française à se retourner contre elle. 

Le sport reste l'un des rares domaines où le patriotisme est encore permis sans remord, mais il apparaît bien loin ce merveilleux instant de communion nationale, où tous les enfants de la patrie chantaient fièrement la Marseillaise un soir de finale de Coupe du monde 98...

Simone Weil disait : « Il faut donner aux jeunes quelque chose à aimer, et ce quelque chose, c’est la France. » Or, la victimisation dans laquelle on enferme ces populations empêche la perception de leur intégration pleine et entière, alors qu'ils ne demandent qu'à aimer leur pays et à prendre toute leur place dans le roman national. 

Guylain Chevrier :  L'idéologie de la différence et de la diversité présente en Europe pose un vrai problème d'identité. Par angélisme, on en arrive en Europe à ne plus assumer son identité ce qui rend toute intégration compliquée.

En trente ans, les sociétés européennes et particulièrement la France, sont devenues beaucoup plus composites, diverses, ce qui est à relier aux phénomènes migratoires. Au regard de cette évolution, on est passé de l’assimilation, qui invitait à se confondre avec le pays d’accueil, à l’intégration, qui elle propose de faire prévaloir la citoyenneté sur les différences tout en permettant qu’elles coexistent avec cette dernière, tant qu’elles ne viennent pas remettre en cause la règle commune.  Dans ce mouvement on a vu progressivement se dissocier deux dimensions qui ne faisaient qu’un avant, la nationalité et la citoyenneté. On a vu se développer parallèlement aux nationaux qui possèdent l’ensemble des attributs de la citoyenneté, une citoyenneté des non-nationaux  en termes de droits civils et sociaux, n’engageant plus la dimension politique. On a ainsi pu laisser l’attachement à un pays d’origine et ses particularismes, une religion, une culture, prendre pied parfois en prenant le pas sur la responsabilité commune au regard du bien commun et de l‘intérêt général. Ce qui a été vrai dans cette situation pour les non-nationaux a pu se poursuivre lorsqu’ils sont devenus des nationaux. L’idée même de souveraineté du peuple, au sens d’un corps politique uni a pu s’en trouver ébranlé. Ce que l’on voit nettement s’exprimer dans certains espaces de notre société aujourd’hui à travers la montée des affirmations identitaires.

L’école qui était censée jouer le rôle majeur en matière d’intégration s’est vue confiée la tache d’intégrer les enfants des migrants mais de plus en plus par leurs différences, comme le renforcement de l‘enseignement du fait religieux à l’école, qui est au centre des recommandations des programmes actuels d’histoire, l’indique. Tout le débat autour des programmes actuels dans le contexte de la réforme des collèges est miné par ce problème. On a progressivement quitté l’idée de faire nation à travers l’enseignement des valeurs communes et des institutions, du modèle républicain, d’une histoire qui s’y rapporte, à la faveur d’une intégration inscrite dans la valorisation des différences comme moyen pressenti pour mieux se rassembler, en se trompant complètement de méthode à appuyer ainsi sur ce différencie avant ce qui unit, pour aboutir à des séparations de plus en plus consommées. Ce lâcher prise de l’école a tourné progressivement le dos à sa mission essentielle comme école de la République, former des citoyens avant tout, de quelques horizons qu’ils viennent.

On a renié sur la culture pour faire une place aux cultures, avec aujourd’hui une situation catastrophique du point de vue de la maitrise de la langue française et de la lecture en 6e. Le français est la langue de la France, qui fait son unicité si importante pour l’effectivité du principe d’égalité, comme l’article 2 de la Constitution y insiste, qui est aujourd’hui contesté. On incite de plus en plus à en passer par la valorisation des langues des pays d’origine comme forme de reconnaissance de ceux qui entendent vivre dans notre pays, en oubliant que sans normes et valeurs communes, on ne fait pas un pays mais une addition de différences, avec de lourds risques à l’arrivée. Pour les populations immigrées, l’accès à la langue est avant tout un accès aux droits et donc une liberté, ce que l’on oublie trop souvent derrière le folklore des langues d’origine et un concept de diversité qui sonne creux, face à des droits et libertés à haute teneur qui sont les nôtres, souvent loin des réalités des pays d’origine des migrants.

Le contrat d’accueil et d’intégration, qui a été rendu obligatoire en 2007 et qui comprend l’obligation d’une formation civique, une formation à la connaissance de la société française et d’accès à la langue, est venu mieux encadré l’accueil des nouveaux arrivants. Mais en réalité, on a ainsi laissé pendant des années passer au travers du partage de ce qui fait l’identité d’une démocratie comme la notre, des millions d’immigrés qui se sont fondus dans le peuple mais sans toujours s’y reconnaitre, ce qui ressort au grand jour derrière un certain nombre de revendications communautaires à caractère religieux actuelles. Le droit à la différence a progressivement résonné comme une incitation à la différence de droits.  

Ces confusions n’ont fait que brouiller les repères des nationaux, mais aussi des non-nationaux qui ont ainsi reçu un message contradictoire quant aux exigences d’intégration. Il en a résulté une perte de repères pour tous, qui est venue terriblement compliquer les enjeux de l’intégration et la rendre plus difficile, avec des réticences des nationaux encouragés à la crispation à sentir leur échapper leur propre identité. Un phénomène que, peu ou prou, on rencontre dans toute l’Europe où les mêmes tendances se sont fait jour depuis les années 70-80, dont la montée inquiétante de l’extrême droite souligne la profondeur et l’ampleur.

3. Si sur ce sujet l'Europe est incapable de dépasser ses égoïsmes, il faudra en tirer enfin les conséquences, y compris plus largement ; la question migratoire comme révélateur du dysfonctionnement originel de l'Europe.

Gérard-François Dumont :  il faut reconnaître que la stratégie centrale de l'Union européenne, toutes ces dernières années, a consisté à s'élargir pour s'élargir[1]. Cette expansion s'est faite sans suffisamment tenir compte de la capacité des pays à respecter les règles européennes et notamment à participer à une politique migratoire inévitablement commune compte tenu de la liberté de circulation, et plus encore commune au sein de l'espace Schengen où les frontières des pays membres sont les frontières extérieures communes de l'espace Schengen. Désormais, l’Union européenne subit les conséquences de maladresses précédentes. La première décision à prendre serait de revoir les frontières de Schengen et d'en sortir des pays dont il a été attesté qu'ils ne sont pas en situation de faire respecter les frontières extérieures communes. Et il faut, en même temps, affirmer que l’Union européenne n’élargira plus l'espace Schengen même si une telle décision est, il est vrai, incohérente avec les deux derniers élargissements.     

Dans la politique migratoire européenne comme dans l'ensemble des politiques européennes, chaque a tendance à considérer ses propres intérêts. A titre de dernier exemple, on peut évoquer la décision de la Hongrie prise courant juin 2015 de construire un mur à la frontière avec la Serbie. Notons que cette décision n'est pas simple pour la Hongrie car le Nord de la Serbie est habité notamment par des Serbes de langue hongroise, en Voïvodine. Mais la Hongrie annonce la construction de ce mur moins en considération de la pérennisation de l'espace Schengen qu’au regard des problèmes spécifiques au pays. En proportion de la population de chaque État membre, la Hongrie a enregistré, au cours du premier trimestre 2015, le taux le plus élevé des 28 pays membres de primo-demandeurs d’asile rapporté à la population et l’augmentation y a été de 17% par rapport au trimestre précédent, contre 0 pour la moyenne de l’Union européenne[2]. Il s'agit pour la Hongrie d’une volonté de sécuriser ses frontières.

On peut imaginer une Europe où chaque pays s’alignerait sur un intérêt commun ; mais chaque pays a inévitablement des priorités nationales qui lui sont propres. Et cette logique, qui peut être considérée comme un dysfonctionnement de l'Europe, n'est pas réservée à la politique migratoire. Par exemple, mes récentes conversations avec des parlementaires européens de différents pays sur divers sujets m'ont confirmé que leur variété de points de vue n’était compréhensible qu'en raison de leur nationalité propre et des intérêts spécifiques de leur pays. Cela s’est aussi constaté lors de la dernière négociation sur la Politique Agricole Commune. Le compromis a été de poursuivre une PAC plutôt favorable à la France tout en maintenant les avantages antérieurs qu'avaient obtenus les Britanniques. Il en est de même de la politique régionale. Celle-ci s'adressait à l'origine aux territoires que l'on considérait comme étant les plus en difficulté. Désormais, la politique régionale s'adresse à la totalité des territoires européens. Enfin, dernier exemple, le cas de la reconnaissance de l'indépendance du Kosovo, d'où est d’ailleurs venu le plus grand nombre de demandes d'asiles vers l'UE au premier trimestre 2015. Certains pays de l'Union européenne ont reconnu le Kosovo, d'autres non. Chacun a pris une décision en fonction de ce qu’il considère ses intérêts propres alors que la logique communautaire aurait voulu d'abord qu'il y ait un accord européen sur la reconnaissance ou la non-reconnaissance du Kosovo. Tous ces exemples montrent bien que, le plus souvent, la logique des intérêts nationaux prévaut sur celui d'un intérêt commun, il est vrai, souvent malaisé à définir. 



[1] Dumont, Gérard-François, Verluise, Pierre, Géopolitique de l’Europe : de l’Atlantique à l’Oural, Paris, PUF, 2015.

[2] Eurostat, 112/2015 - 18 juin 2015.

4. Tant qu'on n'assumera pas qu'il faut un islam européen, que la question n'est pas de savoir comment l'Europe doit s'adapter à l'islam mais l'inverse, nous ne mettrons pas fin aux tensions liées à l'intégration.

Philippe d'Iribarne : Il existe effectivement un courant, au sein de l’islam européen et en particulier français, qui affirme que c’est à l’Europe de s’adapter à l’islam, et non l’inverse. Leur argument est que les musulmans sont des citoyens comme les autres, détenteurs des mêmes droits, que leur religion a droit au même respect que les autres religions et que c’est à eux d’en définir les orientations, à l’abri des pressions extérieures. On retrouve cette position chez les tenants plus ou moins radicaux d’une société multiculturelle pour qui il est temps que l’Occident abandonne sa superbe et accueille pleinement la diversité du monde.

 Mais ce point de vue est loin de faire l’unanimité parmi les musulmans. Des responsables et des penseurs musulmans, comme Tareq Oubrou ou Abdennour Bidar, le rejettent et affirment au contraire que la pratique de l’islam doit s’adapter au contexte occidental, ou même que son insertion dans le monde occidental aidera l’islam à échapper à un obscurantisme qui a marqué son évolution au cours des derniers siècles. Pour sa part, Manuel Valls, en inaugurant la nouvelle instance de dialogue entre l’Etat et les musulmans, vient d’appeler les participants à enraciner un « islam de France » appelé à « se réformer ». Comme le montrent les enquêtes, la grande majorité des Français partagent cette seconde vision et la manière de l’islam se donne à voir alimentent une vision très négative de celui-ci. Ainsi, dans des enquêtes réalisées à l’occasion des élections présidentielles, le mot « islam » a recueilli 81% d’évocations négatives en 2012 contre 63% en 2007, la réponse « très négative » passant pour sa part de 25 % à 45%. 

Une question centrale, concernant l’intégration, est que les musulmans entendent, pour beaucoup d’entre eux, à la fois bien manifester leur différence, et sont prêts à ce titre à entrer en conflit avec la société environnante, au premier chef à propos du port de la tenue islamique, voire pour certains de la burqa, et être traités comme des semblables, pas seulement dans la loi mais aussi dans les mœurs. Il y a là une contradiction dont il leur faudra bien sortir un jour.

5. Les pays du Moyen-Orient font bien moins que nous en termes d'accueil de réfugiés. Pourquoi ?

Ghaleb Bencheikh : Il me semble qu'outre l'effort de la Jordanie, du Liban et de la Turquie, il y a une véritable hypocrisie de la part des pays du Golfe sur la question de l'accueil de réfugiés. Les dirigeants de ces pays affichent par la parole une certaine générosité mais dans les actes on ne la voit pas. C'est d'autant plus navrant que ces pétromonarchies sont des régimes qui disposent d'une grande manne financière. Cela ne s'explique pas seulement par l'avarice de ces dirigeants mais aussi par la situation géopolitique. On est effectivement dans un cas de guerre civile intra-islamique même s'il ne faut pas non plus oublier au Proche-Orient le sort réservé aux chrétiens d'Orient ou encore aux yézidis. Si nous étions dans une démocratie saine et idéale on n'aurait alors parlé de citoyens et non de minorités comme je le fais à présent.

La Jordanie est au bord de la rupture. Le Liban avec son équilibre multiconfessionnel fragile est aussi au bord de l'implosion. La Turquie peu ou prou accueille des réfugiés notamment syriens sans oublier toutes les difficultés avec les éléments kurdes. Mais l'anomalie, parce qu'il y en a une, est à chercher du côté des pays du Golfe. Ils ont les moyens d'accueillir des réfugiés. Ils ont même le devoir de le faire à la fois par solidarité humaine bien entendu mais aussi par solidarité confessionnelle et ethnique pour leur "frères" arabes. Le problème c'est qu'ils ne le font pas car il y a toujours cet instinct de se protéger contre cette masse de réfugiés qui viendrait mettre en péril l'équilibre, le confort et le bien être de ces pays. Ils veulent éviter à tout prix d'importer des conflits chez eux. Après si l'on change d'angle de vue, du côté des réfugiés, il faut constater qu'ils préfèrent eux-mêmes se rendre en Europe plutôt que dans des pays du Golf. Cela s'explique parce que l'Europe est un idéal pour eux de prospérité et de sécurité. Il n'en va pas moins que les pays du Golfe ont le devoir d'accueillir des réfugiés. C'est un manquement et de l'hypocrisie de leur part.  

6. De toute façon il n'y a que 2 options : se résoudre à accepter le flux de migrants en Europe ou leur rendre la vie tellement difficile chez nous qu'ils ne voudront plus venir 

Gérard-François Dumont Le souci c'est qu'en Europe les migrants savent qu'ils peuvent bénéficier de droits sans équivalents dans le monde. C'est d'autant plus vrai en France où ils entendent sans cesse des discours les confirmant dans la certitude de droits accrus. Le fait qu'une partie de la classe politique et des associations demandent depuis des années le droit de vote des étrangers sans conditions pour les élections locales est un message fort qu'ils savent interpréter. L'image de la France comme terre d'accueil a aussi une influence dans le choix que font les migrants quant à leur destination. Par ailleurs le bilan de l'aide publique au développement après plusieurs décennies a montré ses limites dans le développement effectif de nombre de ces pays.

Pour grossir le trait, il ne reste donc que deux options à l'Europe : décider d'accepter l'arrivée de ces migrants ou bien faire en sorte qu'ils n'aient tout simplement plus envie de se rendre dans un pays de l'Union européenne. A ce titre, pour repousser l'afflux de migrants, certains pays ont développé un système tellement dur envers ces populations que ces dernières n'y mettent plus les pieds. C'est le cas du Japon. Celui qui envisage d'y migrer sait qu’il aura un statut juridique inférieur à celui des nationaux et qu’il lui sera quasi impossible d'acquérir les droits équivalents à ceux des nationaux, d'une manière ou d'une autre. Aussi, les candidats à la migration, lorsqu’ils le peuvent, choisissent plutôt des pays où, une fois la frontière franchie, ils pensent qu’ils obtiendront des droits plus larges. Ainsi, on ne voit pas les arabes mécontents de leur sort au Maghreb se précipiter pour migrer dans les riches pays arabes de la péninsule arabique où les droits des immigrants sont très restreints.

En Australie aussi, même s'il s'agit historiquement d'une terre d'immigration, la politique en vigueur est très contraignante. Elle est conduite sans états d'âme pour écarter les flux indésirés. A la différence de l'Union européenne, l'Australie a instauré et applique une véritable politique de régulation migratoire qui a pour conséquence de démotiver purement et simplement certains migrants. Les conditions d’immigration sont avant tout basées sur les compétences professionnelles ou la capacité à investir laissant de côté un grand nombre de migrants à potentiel d'intégration économique faible. Lire aussi à ce sujet : SOS clandestins perdus en Méditerranée : faut-il se résoudre à l’impuissance européenne face à la pression migratoire ?

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