L’étrange suicide politique de LR<!-- --> | Atlantico.fr
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LR semble incapable de s’accorder sur une ligne et une stratégie politiques, malgré un contexte favorable
LR semble incapable de s’accorder sur une ligne et une stratégie politiques, malgré un contexte favorable
©HANS LUCAS / AFP

Ligne politique

Rarement un parti politique se sera-t-il montré incapable de s’accorder sur une ligne et une stratégie politiques alors que le contexte du pays lui est si favorable

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti est Professeur associé à Sorbonne-université et à l’HEIP et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Son dernier ouvrage, "Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir", est publié aux éditions du Cerf (4 Novembre 2021).   

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En attendant son examen à l'Assemblée le 11 décembre prochain, la loi immigration a été votée mardi au Sénat dans une version durcie. Un texte qui n'inversera pas la tendance selon Eric Ciotti, le patron des LR. Pourtant, pour les français, ce qui est important c'est en premier lieu la lutte contre l'immigration clandestine, selon un sondage IFOP. Le projet de loi du gouvernement répond-il à cette préoccupation principale des français ? Est-ce que les Républicains l'ont bien compris ? Est-ce qu'ils passent à côté du probème ? 

Arnaud Benedetti : Le projet de loi tel qu'il a été adopté par les sénateurs est différent de son état initial. La majorité sénatoriale, LR et centristes, l'a modifié substantiellement. De 23 articles on est passé a près d'une centaine d'articles dont la plus grande partie de ces derniers visent à raffermir le texte dans le sens d'une plus grande fermeté . Sur l'accès aux prestations sociales, sur la facilitation des procédures d'expulsion, sur l'allègement des procédures en ce qui concerne les obligations de quitter le territoire français, les désormais fameuses OQTF, sur la suppression de l'Aide médicale d'Etat et sa transformation en aide médicale d'urgence, sur l'automaticité du droit du sol pour des enfants nés de deux parents étrangers, sur le durcissement du regroupement familial, y compris sur la régularisation des travailleurs clandestins pour les métiers en tension, le Sénat a indéniablement et profondément réécrit la copie gouvernementale. Tout ceci avec l'aval du Ministre de l'intérieur qui avance en triangulant toujours plus à droite pour à la fois répondre à la demande très majoritaire de l'opinion qui exige une plus forte maîtrise des flux migratoires et pour s'assurer d'une majorité à l'Assemblée sans être contraint d'activer le 49/3. De ce point de vue la démarche conjointe des sénateurs et du Ministre suit les vents dominants de l'opinion. Pour autant dans son expression majoritaire celle-ci au résultat considérera vraisemblablement que même si elles vont dans ce sens les mesures ne traitent pas forcément le problème à la racine . Les contraintes européennes constituent inévitablement un carcan qui ne permet pas d'aller beaucoup plus au-delà en l'état . Mais les LR du Sénat vont-ils être suivis par ceux de l'Assemblée ? C'est la grande question et le risque pour le Ministre de l'intérieur est qu'il se confronte à un nouveau verrou avec d'un côté un groupe parlementaire républicain à l'Assemblée qui pose d'autres conditions , à commencer par la suppression de l'article 4 bis , qui a réécrit l'article 3 sur les métiers en tension mais qui laisse la main aux préfets et qui exige par ailleurs une réforme constitutionnelle permettant d'inclure dans l'article 11 relatif au champ référendaire la politique migratoire. Monsieur Pradié a déjà de son côté manifestait son opposition à la copie sénatoriale sur l'article 3 réécrit , tout en exprimant son souhait d'une dépôt de censure si le gouvernement usait encore une fois du 49/3. Quant à Monsieur Ciotti il semblerait faire de la réforme constitutionnelle le préalable à toute réforme de la politique migratoire. Si l'on en reste à ce stade , c'est l'exécutif qui paraît bien plus en danger que les LR. 

LR pense que l'immigration c'est son point fort alors que c'est un "marché ultra concurrentiel" : Marine Le Pen, Eric Zemmour, Nicolas Dupont-Aignan. La droite Républicaine s'enferme-t-elle dans une vision qui n'a pas de débouchés sur le plan électoral ? Est-ce une stratégie gagnante ?

Ils sont d'abord contraints par une double tenaille : la nécessité de recouvrer une crédibilité perdue sur un sujet où leur zone de chalandise naturelle les a trouvée trop faible sur le sujet et ce depuis des décennies, notamment lorsqu'ils ont été aux responsabilités ; et parce que par ailleurs quand un enjeu devient aussi saillant politiquement il est impossible pour une force politique qui vise à continuer à exister de ne pas se positionner, quand bien même la concurrence serait très intense . Ils n'ont à vrai dire pas d'autre choix mais encore faut-il qu'ils aillent jusqu'au bout de la logique de surinvestissement de la préoccupation. Ils sont de facto confrontés avec cette loi sur l'immigration à une épreuve quasi existentielle. Soit ils contraignent l'exécutif de manière encore plus forte qu'au Sénat et ils peuvent exciper un succès parlementaire mais on voit mal quand même le gouvernement se plier encore plus au Palais Bourbon qu'il ne l'a déjà fait au Palais du Luxembourg , avec qui plus est le risque de perdre à gauche et même au centre ce qu'il gagnerait hypothétiquement à droite ; soit ils vont vers leur risque, pour plagier le vers de René Char, et décident de changer de registre d'opposants en proposant la censure du gouvernement. Ce serait là pour eux le levier leur permettant de regagner des galons d'opposants à Emmanuel Macron en initiant une censure disposant d'une chance non négligeable d'aboutir. Sont-ils prêts à ce grand saut ? Le calcul bénéfices/ risques est aléatoire pour certains d'entre eux qui craignent de toute évidence une dissolution et les risques qu'ils en déduisent pour le maintien de leurs sièges . À manquer d'audace , à thésauriser petitement ils prennent surtout le risque à terme de disparaître sans combattre.

Les Républicains sont divisés entre le Sénat et l'Assemblée Nationale. Le parti a-t-il vraiment un chef ? 

Cette distinction entre la droite sénatoriale et la droite à l'Assemblée n'est pas nouvelle ; elle a toujours existé , y compris lors des époques fastes. L'ancrage territoriale, le mode de scrutin, le rythme même du Sénat dans son fonctionnement institutionnel sont pour beaucoup dans ces différenciations de tempéraments . Sans doute les conséquences de l'élection interne pour la désignation de leur Président ont réactivé pour une part l'autonomie des uns et des autres. Monsieur Ciotti paraît vouloir renchérir à ce stade dans la fermeté, Aurelien Pradié également. Cette concurrence droitière est dopée par un ministre de l'intérieur qui triangule toujours plus également. Sur le fond tout se passe comme si le " la" était donné par ceux qui portent l'enjeu historiquement mais n'ont pas besoin d'en rajouter parce que l'opinion les crédite mécaniquement de cette antériorité sur le sujet, à savoir le RN. Ils "écrasent" la compétition de ce point de vue grâce à ce capital historique. Quelque part leur statut de " lanceur d'alerte" leur évite de ne trop s'exprimer. Mais ils sont la trame de cette course à la fermeté et à l'autorité tant de Gerald Darmanin que des LR. 

Quant à la question du leadership chez ces derniers, elle est secondaire par rapport au problème central du positionnement et des parts de marché . Depuis 2017 et l'échec de François Fillon , ces derniers n'ont jamais réussi à résoudre l'équation de leur offre entre l'orléanisme d'Emmanuel Macron et le néo-bonapartisme de Marine Le Pen . Où sont-ils ? Est-ce que l'incarnation peut à elle seule résoudre le problème ? La difficulté c'est que lorsqu'une marque est démonétisée, elle peut difficilement être recréditée par un homme ou une femme, nonobstant les qualités de l'impétrant . 

Emmanuelle Mignon revient au parti pour épauler Eric Ciotti. L'ancienne conseillère de Nicolas Sarkozy vient d'être désignée vice-présidente des Républicains. C'est un espoir pour LR qui lutte pour sa survie entre le macronisme et l'extrême droite ? 

La page du sarkozysme est une survivance médiatique. En outre elle est grevée de ses impasses : le traité de Lisbonne entre autres , expression totémique de la trahison des élites. Le seul qui de cette période empreinte de déceptions parce qu'il dispose d'une parole libre échappant à l'insincérité est l'ancien conseiller du Président Sarkozy, Henri Guaino. Madame Mignon de son côté est pour le moment peu connu des français . Elle est à tout à construire , et tout à construire encore une fois , dans une vieille maison dont on cherche en vain l'identité. 

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