L’été, le jazz, les festivals… et le consumérisme culturel<!-- --> | Atlantico.fr
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Environ 200 festivals consacrés au jazz sont organisés chaque année en France
Environ 200 festivals consacrés au jazz sont organisés chaque année en France
©REUTERS/Jonathan Bachman

Make sure it swings

Environ 200 festivals consacrés au jazz sont organisés chaque année en France. Mais ceux qui veulent réellement promouvoir cette musique plutôt que d'attirer le touriste en short sont rares.

Jean Szlamowicz

Jean Szlamowicz

Jean Szlamowicz est Professeur des universités. Normalien et agrégé d’anglais, il est linguiste, traducteur littéraire et est également producteur de jazz (www.spiritofjazz.fr). Il a notamment écrit Le sexe et la langue (2018, Intervalles) et Jazz Talk (2021, PUM) ainsi que Les moutons de la pensée. Nouveaux conformismes idéologiques. (2022, Le Cerf).
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Avec l’été éclosent les festivals de jazz. Ce phénomène musico-climatique n’a pas toujours à voir avec le fleurissement spontané d’une verve artistique que les mois d’hiver auraient refoulée. Cela correspond plutôt souvent à l’exploitation touristique d’une musique rarement bien servie par ces foires aux bestiaux à prétention culturelle. Certes, il existe un certain nombre de festivals, de tailles diverses, dont les amateurs éclairés qui les animent respectent la musique. Mais le reste du temps, l’appropriation politique, le clientélisme d’artistes apparatchiks, la starification forcée, le jeunisme, la standardisation et le manque d’imagination tendent à promouvoir le caractère spectaculaire des événements au détriment de leur contenu artistique. Quand on programme des guitaristes de hard-rock dans des chapiteaux au nom de la diversité du jazz, c’est qu’on recherche avec une coupable obséquiosité à attirer le touriste en short, pas à faire connaître la réalité artistique du jazz.

C’est pourtant le jazz qui a créé le phénomène festivalier contemporain. L’influence de la Nouvelle-Orléans, avec sa vitalité musicale permanente au sien de l’environnement urbain et son carnaval, a sans doute été déterminante. Les premiers événements de ce type ont eu lieu assez tôt, notamment au Shrine Auditorium de Los Angeles en 1930 ou avec le Carnival of Swing de 1938 affichant une vingtaine de groupes qui se produisirent sur Randall's Island (New York). Après guerre de nombreux festivals de jazz, en Europe et aux Etats-Unis ont été créés : Nice (1948), Newport (1954), Monterey (1957), Jazz à Juan (1960), etc. Aujourd’hui selon les années, ce sont environ 200 festivals de jazz qui s’organisent en France. L’objectif initial, à une époque où la diffusion musicale était sans commune mesure avec ce qu’elle est aujourd’hui, était d’offrir aux amateurs des artistes auxquels ils n’avaient pas accès. 

Aujourd’hui, c’est l’inverse : les festivals proposent uniquement les têtes d’affiches rebattues qui bénéficient déjà de l’omniprésence médiatique. Par un cercle vicieux et démagogique consistant à ne programmer que des artistes que les gens connaissent déjà, les festivals deviennent la chambre d’enregistrement des succès construits par la publicité. Simultanément, le rapport au jazz de ces programmations ne cesse de se révéler centrifuge et de s’éloigner du cœur du jazz. Musique du monde, chanson française, rock, musiques « amplifiées » (c’est une dénomination administrative)… tout est bon pour que le jazz disparaisse des festivals de jazz, au bénéfice de la fréquentation des stands de merguez et de pacotille vacancière.

Heureusement, il existe quelques villages qui résistent, encore et toujours, à l’envahissement de la banalisation et choisissent la cohérence, l’exigence et le plaisir consistant à écouter de grands musiciens oubliés des programmations faute d’actualité commerciale. C’est ainsi qu’au cœur des montagnes ariégeoises, à l’ombre du château de Gaston Phébus, le festival Jazz à Foix (jazzfoix.com) propose chaque année depuis 14 ans une programmation digne d’un club new-yorkais. La concentration de stars historiques est unique dans le paysage du jazz français. Il y aura comme invité majeur du festival cet été, le saxophoniste Benny Golson, membre du légendaire quintet des Jazz Messengers de 1958 (Jazz à St Germain des Prés, Les Liaisons Dangereuses de Vadim, il y était !) et auteur de compositions phares du jazz (« Blues March », « Along Came Betty », « Whisper Not »…).

On remarque aussi le saxophoniste Ricky Ford, souffleur torride dont la puissance volcanique provient directement de chez Charles Mingus. Cet ancien partenaire de Roy Hargrove ou Ted Curson est aussi un infatigable pédagogue dans son fief de Toucy en Bourgogne (autre festival qui mérite le déplacement… www.toucyjazzfestival.com). Le concert du saxophoniste Gary Bartz, référence majeure pour tous les altistes contemporains, constituera un des grands événements du festival. On entendra également le pianiste Eric Reed, ancien de chez Wynton Marsalis, homme orchestre au swing poétique, âpre et lumineux, pour accompagner Mary Stallings, chanteuse dont chaque note transpire le blues qu’elle a, il est vrai, respiré à la source, chez Count Basie quand elle était encore gamine. Le jazz de Django sera illustré par le beau groupe Alma Sinti qui invite Yorgui Loeffler — sans parler de Sara Lazarus qui animera un stage de jazz vocal.

On pourrait citer d’autres festivals qui suivent la pente naturelle de choix lucides et cohérents. Dans l’Entre-Deux-Mers, près de Bordeaux, la petite bastide de Monségur et ses 24 Heures du Swing (www.swing-monsegur.com) a choisi rien moins qu’une rencontre entre le grand ténor Scott Hamilton et le vibraphoniste français Dany Doriz, patron du vénérable Caveau de la Huchette. Pour sa 25e édition Monségur illustre aussi d’autres aspects de la musique afro-américaine, notamment le gospel, et invite Ella Woods, chanteuse des Platters pour évoquer Ella Fitzgerald et de grands musiciens français comme Michel Pastre, Philippe Duchemin ou Francis Bourrec.

Au château de Beaupré, à St Cannat en Provence, les 10 ans du festival seront l’occasion d’accueillir le pianiste jamaïcain Monty Alexander et la très rare vocaliste Dena DeRose accompagnée du saxophoniste Jesse Davis (http://www.art-expression.net/festival.htm). À Buis les Baronnies, dans la Drôme, le Parfum de Jazz (http://www.parfumdejazz.com) recevra la remarquable chanteuse Sylvia Howard, le big band de Laurent Mignard, et le quartet du saxophoniste Dimitri Baevsky, altiste splendide et volubile qu’on a plus l’habitude d’entendre dans les clubs new-yorkais.

Il semble donc concevable qu’un festival à taille humaine, né de l’initiative d’amateurs éclairés, propose une musique variée, du French Swing de Django au big band en passant par des musiciens qui ont forgé l’histoire contemporaine du jazz. Telle est la fonction d’un festival : promouvoir la musique pour elle-même, en toute sincérité artistique et pédagogique, et non s’incliner devant les diktats de la notoriété médiatique. A ce titre, il faut saluer les initiatives qui restent fidèles à l’authentique esprit festivalier et recherchent, sans ésotérisme ni démagogie, à donner au public la matière d’une rencontre esthétique qui soit en même temps une réflexion sur la frénésie souvent douteuse du consumérisme culturel.

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