L’Etat stratège ou la pensée magique à la française<!-- --> | Atlantico.fr
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L’État stratège n’est pas un cadeau.
L’État stratège n’est pas un cadeau.
©JURE MAKOVEC / AFP

Etat stratège

Le temps des joyeuses retrouvailles familiales autour des cadeaux et des bons petits plats dans la douce lumière d’un sapin scintillant est de retour ! Beaucoup de folklore et de traditions sympathiques dans les célébrations de Noël qui ont pour elles de rassembler toute la planète. Mais aussi, derrière le décor, l’incroyable « mystère » de Dieu fait homme, puis mis à mort, puis ressuscité. Un mystère dont, comme chaque année à pareille époque, ma crèche de blog veut témoigner.

Nathalie MP Meyer

Nathalie MP Meyer

Nathalie MP Meyer est née en 1962. Elle est diplômée de l’ESSEC et a travaillé dans le secteur de la banque et l’assurance. Depuis 2015, elle tient Le Blog de Nathalie MP avec l’objectif de faire connaître le libéralisme et d’expliquer en quoi il constituerait une réponse adaptée aux problèmes actuels de la France aussi bien sur le plan des libertés individuelles que sur celui de la prospérité économique générale.
 
https://leblogdenathaliemp.com/

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Puisque j’en suis au stade des mystères, je ne résiste pas au malin plaisir de vous révéler, c’est le mot, ce que mon interlocuteur ingénieur évoqué dans l’article de jeudi dernier m’a dit sur sa thèse du réchauffement climatique qui allait être si rapide et si désastreux que l’homme ne parviendrait jamais à le maîtriser, sauf à revenir à un mode de vie radicalement décroissant et donc décarboné :

« Je ne peux rien prouver. Personne ne le peut. »

N’est-ce pas exactement le fonctionnement de la foi, de la croyance ? Si je comprends bien, lui dis-je, c’est au nom d’une pure croyance que vous proposez de lancer des politiques publiques effroyablement coûteuses qui vont durablement endommager le mode et le niveau de vie des Occidentaux et empêcher les pays en développement d’accéder au même revenu et au même confort ? Je n’ai pas eu de réponse.

Un seul témoignage ne fait pas une école de pensée. Mais l’accumulation de ce genre de propos finit par faire dresser l’oreille (surtout quand on vous demande deux fois par phrase si vous avez une formation scientifique). S’agit-il d’un lyrisme écologique porté par de jeunes militants pleins de bonne volonté (non sans un souverain mépris pour la propriété d’autrui, quand même) ou de l’instrumentalisation de cette naïveté par des politiciens madrés qui ont en tête un tout autre agenda, typiquement dirigiste et anticapitaliste ? Eh bien, les deux ; cela fait longtemps qu’on le sait et qu’on en souffre.

Car il est une autre croyance bien ancrée chez les Français, ce dogme que seul l’État un et indivisible est capable d’envisager intelligemment et à long terme le souverainisme industriel radieux de la France. Autrement dit, des projets décidés au niveau étatique, totalement centralisés depuis le début, mis entre les mains de quelques décideurs politiques, techniques et administratifs, intégralement planifiés d’en haut et laissés au soin d’une seule grande entreprise nationale, en l’occurrence EDF. Encore autrement dit, l’État stratège triomphant, cet État stratège qui permettrait de s’affranchir de la « dictature de l’instant » si caractéristique de l’appât du gain totalement court-termiste et égoïste des acteurs privés.

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Si vous vous rappelez, cet automne, on a beaucoup parlé de la façon dont le Parti socialiste – à l’époque de Jospin pour les législatives de 1998 puis sous Hollande pour l’élection présidentielle de 2012 – avait allègrement sacrifié notre filière nucléaire sur l’autel d’un accord électoral de gouvernement avec les Verts. Victimes sacrificielles expiatoires au terme des tractations : 14 réacteurs nucléaires sur les 58 que nous possédions seront fermés d’ici 2035, les deux réacteurs de la centrale de Fessenheim ayant été fermés en février puis juin 2020. Un programme qu’Emmanuel Macron a confirmé dès 2017 :

Message évident : on se détourne du nucléaire. Avec pour résultat concret d’avoir démotivé les équipes chez EDF et dissuadé les étudiants ingénieurs de s’intéresser à cette filière.

Mais on dirait que le vent tourne. La guerre russe en Ukraine ayant engendré des difficultés d’approvisionnement en énergie et, par voie de conséquence, souligné les failles de nos systèmes, on commence à se dire en France que le nucléaire, ce n’est peut-être pas si mal. Emmanuel Macron a annoncé en début d’année la construction de six nouveaux EPR et la mise à l’étude de huit autres, tandis que les écoles d’ingénieurs commencent à relancer des masters en génie nucléaire dans leur catalogue de cours.

Il est cependant une autre caractéristique de notre modèle nucléaire qui compte probablement autant dans les difficultés de la filière que la survie (ratée, finalement) du Parti socialiste : la caractéristique structurelle de l’État stratège qui sait tout, décide tout, et dont les agents – X, corps des Ponts, corps des Mines, etc. que l’on retrouve par paquets dans ces entreprises publiques si florissantes que sont EDF, SNCF et RATP – se croient véritablement sortis tout droit de la cuisse de Jupiter. 

À noter d’abord que si les Français dans leur capacité de consommateurs d’énergie ont pu bénéficier pendant de nombreuses années d’une électricité peu chère comparativement aux citoyens des autres pays européens, ils ont été mis plus que régulièrement à contribution en tant que contribuables pour renflouer financièrement (et par milliards d’euros) l’électricien national afin de le sauver de la faillite.

Surtout, on constate aujourd’hui que notre parc, majoritairement constitué sur une courte période allant du choc pétrolier de 1973 à la fin des années 1980 et selon des caractéristiques de construction identiques pour tous les sites, se retrouve maintenant en grave difficulté. Cet automne, 28 réacteurs sur les 56 encore en opération étaient à l’arrêt pour des questions de maintenance complexes et pour des problèmes de corrosion. Un moment de construction, une seule méthode et au bout du compte, nécessité de « grand carénage » (c’est-à-dire restauration, remise à niveau) pour tous les sites au même moment ou presque.

Il n’est pas interdit de penser que l’équipement nucléaire de la France laissé entre les mains de plusieurs acteurs en concurrence, disons deux ou trois, en désétatisant et en déconcentrant les méthodes et les périodes de construction, aurait permis d’amoindrir cet effet massif d’effondrement qui fait craindre des coupures d’électricité pour cet hiver et oblige déjà la France à importer de l’électricité de pays voisins dont l’Allemagne.

En l’état actuel des choses, un article récent de l’hebdomadaire britannique The Economist intitulé « L’industrie nucléaire française peut-elle éviter l’effondrement ? » souligne que le facteur de charge des réacteurs français, qui permet de déterminer si une centrale fonctionne à pleine capacité, oscille autour de 60 %, contre plus de 90 % aux États-Unis – où le parc nucléaire est largement diversifié du point de vue de ses concepteurs et de ses opérateurs. 

Le nucléaire civil reprend des couleurs ; c’est une bonne nouvelle. En revanche, on a tout à craindre du retour en force de « l’État français fin stratège » qui plaît tellement à la totalité de notre classe politique. Et ça, ce n’est pas une bonne nouvelle. Et je ne parle même pas de la SNCF qui sera une fois de plus en grève pour les fêtes de fin d’année…

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