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L'Etat peut-il nous débarrasser de nos addictions (et d’abord, pourquoi) ?
©Reuters

Hausse des prix du tabac

Marisol Touraine s'est exprimée en faveur d'une nouvelle hausse du prix du tabac. Pour la ministre de la Santé, il s'agit du seul moyen de lutter contre les addictions au tabac. Ou pas.

Almudena Sanahuja

Almudena Sanahuja

SANAHUJA Almudena, Maître de conférences HDR, université de Franche-Comté, Besançon. Laboratoire de psychologie (EA3188)

 

Psychologue clinicienne, psychothérapeute

Sanahuja, A. (2105). Approche clinique de l’adolescent obèse en institution. In Le psychologue en addictologie, sous la direction d’Isabelle Varescon, In Press, p. 155-169.

Sanahuja, A. (2011). L’adolescente face à l’obésité. Traitement et accompagnement durant l’amaigrissement, Presses Universitaires de Franche-Comté

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Atlantico : Peut-on résoudre une addiction par le simple fait de jouer sur les prix d'un produit ?

Almudena Sanahuja :  Avant tout il convient de rappeler que l’addiction renvoie à la notion de dépendance. Selon Isabelle Varescon  "La dépendance est considérée comme un processus normal dans le développement psychoaffectif de l’enfant. En revanche, la dépendance prend un caractère pathologique lorsqu’elle assujettit le sujet à un objet de façon contraignante, aliénante et entraîne une perte de liberté"[1]. La clinique des addictions répertorie diffèrents types de dépendanceavec ou sans substance (psychoactives licites : alcool, tabac, illicites : drogues, alimentaires, les jeux…etc.). Certaines ont un pouvoir destructeur sur le sujet, tout dépend du degré de dangerosité du produit. Le dénominateur commun de ces addictions c’est qu’elles exercent une domination insidieuse sur la personne. En effet, face à l’addiction, les individus perdent le contrôle. Les addictions ont des effets très négatifs sur les individus, en termes de pathologies somatiques et/ou psychiatriques, de répercussions sociales et/ou familiales.

Partant de ces propos, il semble utopique de penser qu’avec la simple hausse des prix d’un produit nous pourrons éradiquer une addiction. Cependant cette augmentation peut décourager d'éventuels nouveaux consommateurs notamment au sein de la population adolescente. Elle permet aussi chez certaines personnes dépendantes de contrôler a minima leur dépendance et de réduire leur consommation. Néanmoins, de telles initiatives favorisent le risque que le sujet développe une autre dépendance. Enfin, avec ce type de mesure économique apparaissent des réseaux de contre bande ayant recours au commerce illégal ce qui a pour effet de renforcer l’addiction. 

Est-ce que nous pouvons vivre sans addiction ? 

Certaines personnes arrivent à vivre sans addiction mais pour d’autres ce n’est pas le cas. Et dans le cadre de cet entretien, ce sont les personnes dépendantes qui font l’objet de nos questionnements. En consommant un produit addictif, sur le moment, le sujet éprouve du plaisir et une satisfaction immédiate mais éphémère. En effet, derrière cette source de plaisir, le sujet a recours à cette dépendance pour colmater un certain mal être et pour gérer des émotions et des angoisses trop déstabilisantes pour lui. Utilisée comme un véritable anxiolytique, l’addiction apaise aussi le sujet, sa souffrance et son monde interne.

Cependant, dans la clinique, nous observons qu’en tentant de faire disparaître une addiction, cette dernière peut être remplacée par une autre. Par exemple en tant que psychologue clinicienne durant dix ans dans un centre de traitement de l’obésité pour adolescents, j’ai pu observer que lorsque les sujets perdent du poids et que nous atténuons leur dépendance alimentaire, certains d’entre eux développent d’autres types d’addictions comme le tabagisme. A partir de ces différents arguments, il est difficile de considérer qu’une addiction peut être bénéfique si elle est mesurée. Nous ne pouvons associer les notions d'addiction et de mesure ! En effet, l’addiction métaphoriquement peut représenter "une prison", le sujet y est enchaîné, elle est source de souffrance et si elle n’est pas traitée elle peut mener au "couloir de la mort" à plus ou moins long terme.

Est-ce dans le rôle de l'Etat de nous débarrasser de nos addictions, et en a t-il la légitimité ?

Le rôle de l’Etat est de protéger ses citoyens notamment quand ces derniers sont en danger.

Mes propos au sujet de l’addiction pointent le caractère dangereux de cette dernière pour le sujet mais également pour la société. Nous ne pouvons pas nier l’implication de l’Etat depuis une dizaine d’années notamment au travers d'un renforcement de sa politique de prévention et de prise en charge des addictions (Plan 2007-2011). En déployant des dispositifs structurés pour accompagner les personnes selon leur type d’addiction, le gouvernement montre ainsi sa capacité à tenter d’atténuer les addictions. En effet, il attribue des aides financières afin de multiplier les structures adaptées de prévention et d’accompagnement. Ces aides sont aussi nécessaires pour une meilleure prise en charge pluridisciplinaire des personnes dépendantes. Par contre l’Etat n’a aucune légitimité pour obliger une personne à soigner sa dépendance. Pour que le soin puisse "réussir", il faut que la demande émane du patient et non d’un tiers.


[1]Varescon, I. (2005). Psychopathologie des conduites addictives, Paris, Belin, pp. : 14-15. 

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