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L’Etat islamique s’en prend à la Chine avec de la propagande inédite en mandarin : quel impact sur les musulmans chinois?
©Reuters

伊斯兰宣传

L’EI cherche à gagner les musulmans de Chine, et surtout les Ouïghours du Xinjiang où l’appel au djihad religieux trouve une résonance dans le régionalisme et le clanisme, tous deux avides d’indépendance mais aussi du profit des richesses naturelles dont ils se jugent spoliés par les migrants chinois.

Denis Lambert

Denis Lambert

Ancien élève de l’Ecole normale supérieure et docteur d’Etat es Sciences, Denis Lambert a longtemps mené des recherches en Physique atomique. Il s’est ensuite intéressé aux conséquences géopolitiques de l’avancement différencié de la Science et de la Technologie selon les pays. Il s’est enfin focalisé sur la géopolitique de l’Asie, si dynamique mais hétérogène. En plus de nombreux articles sur la Défense, il a déjà publié :

"Géopolitique de l’Inde : védisme, laïcité et puissance nucléaire", Ellipses (2007),
"Géopolitique de la Chine : du bronze antique au plutonium", Ellipses (2009).

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Atlantico : Qui sont les musulmans chinois que l'organisation Etat islamique vise dans sa propagande ?

Denis Lambert : Les musulmans constituent – officiellement – moins de 2 % de la population, ce qui atteint tout de même près de 25 millions ! Mais cet ensemble est divisé en deux catégories principales très distinctes :

  • Les Chinois de race Han, établis dans la partie orientale des Routes de la Soie, islamisés au contact des commerçants arabes, non par force mais par l’exemple de vies exemplaires (qu’on se rappelle  Kipling qui dans « Kim » conseille d’aller chez le commerçant musulman car il est plus honnête !). Il s’agit d’un islam généralement modéré, très sinisé – les Huis sont sino-phones, le pourcentage d’arabisants est dérisoire - et bien implanté. Ces Chinois musulmans constituent légalement une des minorités nationales, celle des Huis, dont la distinction d’avec les Hans sert principalement à permettre au gouvernement d’afficher son respect des minorités.
  • Les habitants de la partie d’Asie centrale qui se situe en Chine. Il s’agit surtout de ce qui était appelé le Turkestan oriental et qui constitue la région autonome du Xinjiang. La population autochtone est (principalement) ouïghoure et constitue une autre minorité nationale. Elle a été islamisée par la force, lors d’invasions successives, ce qui inspire rarement une mentalité de tolérance. Or cette région se trouve être un foyer d’immigration interne en raison de ses richesses naturelles : beaucoup de Ouïghours considèrent qu’ils sont envahis par des Hans qui menacent de devenir globalement majoritaires (ce qu’ils sont déjà au niveau local en de nombreux endroits, car les deux collectivités ne se mélangent pas).

En Chine, les minorités nationales sont nombreuses (56 reconnues officiellement) mais leurs effectifs sont faibles, sauf  les 18 millions de Zhuangs du Guangxi, les 7,5 millions de Ouïghours, les Mongols (1,4 million) et les Tibétains. Les premiers ne semblent pas se plaindre de leur sort alors qu’ils sont les héritiers de royaumes qui s’étendaient jusqu’au nord du Viêt-Nam, et les Mongols sont maintenant minoritaires sur leurs terres ancestrales. Les Tibétains, même en ne comptant que ceux du Xizang (la région autonome) sans compter ceux du Sichuan, du Gansu et du Qinghai, redoutent d’être à leur tour dépassés par l’immigration han (le gouvernement tibétain en exil annonce que la population tibétaine au Xizang a décru de 6,3 millions en 1959 à 5,4 millions actuellement. L’ensemble des territoires que pourraient revendiquer ces quatre minorités est immense, riche en minerais et en hydrocarbures, mais aussi essentiel du point de vue géostratégique par le nombre de pays frontaliers et les possibilités de transferts énergétiques. Il importe donc à la Chine d’apaiser les revendications locales en apportant richesses et emplois. C’est le sens de la réorientation des efforts d’investissements étatiques vers l’ouest du pays. C’est en particulier l’une des motivations de la volonté de remettre en valeur les Routes (terrestres) de la Soie.

Y a-t-il un islamisme chinois ? Et si oui, que représente-t-il et comment se caractérise-t-il ? 

Il est difficile de séparer l’islam de l’islamisme, qui est intrinsèquement contenu dans le Coran. Pourtant, l’islam traditionnel des Huis n’était ni conquérant ni prosélyte. La volonté d’intégration pouvait se lire sur les murs des mosquées, ou des motifs traditionnels chinois se mêlent aux arabesques et où les idéogrammes remplacent souvent les caractères arabes.

Au contraire, les Ouïghours constituent une population turcophone dont la langue fait partie de la famille turco-altaïque. Une écriture indépendante existait avant l’an mil, mais elle a été remplacée par l’écriture arabe, ce qui ouvre une voie de pénétration à la propagande extrémiste du wahhabisme.  Pourtant le Xinjiang a été autrefois ouvert à d’autres religions, le bouddhisme et même le christianisme (nestorien). 

 L'organisation Etat islamique attire-t-elle à elle beaucoup de Chinois ? Cette propagande a-t-elle des chances de trouver un écho favorable dans la population musulmane de Chine ? 

L’EI cherche à gagner les musulmans de Chine, et surtout les Ouïghours du Xinjiang où l’appel au djihad religieux trouve une résonance dans le régionalisme et le clanisme, tous deux avides d’indépendance mais aussi du profit des richesses naturelles dont ils se jugent spoliés par les migrants chinois. Ce ressentiment pousse facilement à la haine et donc à la volonté de violence. La vidéo récemment identifiée joue mal de ces arguments.

 L’EI met en exergue, dans sa vidéo, des enfants ouïgours endoctrinés, fanatisés et incorporés dans ses rangs. C’est, pour  les Chinois qui, lors de la révolution culturelle, avaient été poussés à dénoncer leurs propres parents et en conservent la honte, le rappel d’un temps d’horreur. Cette partie de la vidéo devrait donc agir comme un repoussoir pour les Huis comme pour les Hans. Certes, 40 ans se sont écoulés depuis la mort de Mao, mais, là où les grands parents côtoient encore le « petit empereur » qu’est leur petit-enfant, la transmission de souvenirs s’opère encore.

A ce titre, on peut se demander pourquoi une telle vidéo en mandarin, alors que sa cible utilise le ouïghour. Les dirigeants de l’EI se seraient ils fiés à leurs djihadistes ouïghours sans comprendre que ceux-ci sont trop fanatisés pour avoir une perception claire de l’opinion réelle ? Ou bien se moquent ils de rebuter l’immense majorité pourvu qu’ils pervertissent quelques rares individus qui leur soient utiles pour des infiltrations du fait de leur apparence ?

Comment l'organisation Etat islamique est-elle perçue par le pouvoir chinois ? Qu'est-ce qu'un accroissement de combattants chinois en Syrie pourrait changer à la politique chinoise au Proche-Orient ? 

L’intrusion de l’Etat islamique, par sa propagande, ne peut qu’inquiéter le pouvoir chinois. L’extrémisme religieux rejoignant le nationalisme peut fanatiser des populations qui revendiquent leur héritage guerrier comme une noblesse et leur islam comme un facteur de différenciation. De plus, des combattants ouïghours aux côtés de Daech se formeraient aux techniques de guérilla, mais aussi de la guerre moderne grâce aux anciens cadres de Saddam Hussein ayant rejoint l’EI. Ils ne seraient que quelques centaines, mais c’est assez pour fonder des centres d’entraînement au terrorisme. Pour autant, le gouvernement ne peut pas prendre de mesures trop coercitives qui exciteraient la population ouïghoure et peut être, par émulation, la population tibétaine malgré sa coutumière acceptation du malheur. 

L’équilibre est donc délicat et Xi Jinping comme Li Keqiang devront user de toute leur habileté. Ils jouissent de l’atout important de ne pas craindre la publication de sondages et de ne pas avoir à donner une impression d’activité fébrile à chaque passage télévisé. Ils peuvent donc travailler à la chinoise : sur le temps long, mais pas trop. Ils peuvent aussi travailler par la bande : que des informations sur des djihadistes ouïghours fuitent pour être utilisées par les drones armés Reaper américains ne constituerait, bien sur, qu’une coïncidence…

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