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L'Etat Islamique lorgne de plus en plus vers l'Afrique
©Reuters

THE DAILY BEAST

“Un merdier” : voilà comment Obama a résumé l’intervention en Libye. Mais si l’Occident ne se décide pas à agir rapidement, la débâcle libyenne ne sera qu’un préambule africain pour l'Etat Islamique.

Nicholas Jubber

Nicholas Jubber

Nicholas Jubber est journaliste. Son livre The Timbuktu School for Nomads: Across the Sahara in the Shadow of Jihad sortira en novembre 2016. 

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Nicholas Jubber - The Daily Beast.

Officiellement, Daech est à la dérive : ses rangs diminuent au Moyen-Orient, ses troupes sont repoussées de leurs fiefs en Libye. Pour le président Obama, qui a admis que bâcler l’après-guerre en Lybie avait été ''la pire erreur'' de sa présidence, les avancées obtenues en Afrique du Nord sont une sorte de répit de dernière minute. Les journaux titrent que l'Etat Islamique est en fuite. Mais la question est : en fuite vers où ?

Dans un essai traduit par la fondation Quilliam, un partisan de l'Etat Islamique parle de la Libye comme étant "une passerelle stratégique" à partir de laquelle "on peut créer le chaos dans toute l’Europe du Sud". Bien plus que la Syrie, c’est la Libye qui va déterminer la politique étrangère de la prochaine présidence américaine. Si la Syrie est un tourbillon qui attire tous les éléments toxiques de la région, la Libye est une tempête de sable qui projette son chaos vers l’extérieur. D’après cet essai, la Libye est "la clé de l’Egypte, de la Tunisie, du Soudan, du Mali de l’Algérie et aussi du Niger".

Parmi les nombreuses erreurs faites après l’intervention de 2011 en Libye, une des pires a été de se demander vers où les partisans de Kadhafi ont fui. Quelques mois seulement après la chute de Kadhafi, des centaines de combattants touareg sont apparus au Mali, équipés de fusils d’assaut et de systèmes mobiles de lancements de missiles appartenant au stock du dictateur libyen déchu.

Quand je voyageais avec des nomades marchands de sel au nord de Tombouctou, je les ai vus arriver : mon guide a montré des tentes inhabituelles et s’est plaint qu’il y avait "trop d’étrangers dans le désert". Quelques semaines plus tard, un touriste allemand a été assassiné et ses trois compagnons kidnappés. Le chef de la police de la ville dans laquelle j’étais a insisté pour que des policiers à moto fassent des rondes toute la nuit pour éviter d’autres enlèvements. Peu de gens en ont eu conscience à ce moment, mais le cauchemar du Mali avait commencé. L’impact de la crise malienne est jugé à la Haye ce mois-ci. Ahmad Al Faqi Al Mahdi a été condamné pour ''destruction du patrimoine mondial de l’humanité'' à Tombouctou. Les routes classiques de la contrebande ont été prises d’assaut, ces mêmes routes qui vont transporter l'Etat Islamique au cœur de l’Afrique.

Les groupes djihadistes qui opéraient au Mali n’avaient aucune limite dans leurs ambitions territoriales, tout comme l'Etat Islamique. La différence est que l'Etat Islamique a une vraie puissance financière, une puissance de feu et une renommée forte. S’il arrive à franchir la membrane de sable qu’est le Sahel, l'Etat Islamique aura accès à l’Afrique subsaharienne et à la possibilité de s’étendre sur tout le continent en exploitant l’enchevêtrement d'ethnies marginalisées comme les tribus Anbar en Irak et les soutiens de Kadhafi en Libye.

Ça ne devrait pas se passer ainsi. Comme l’a précisé le comité britannique des Affaires étrangères la semaine dernière, la campagne libyenne de 2011 fut marquée par "une faille dans l'élaboration d’une stratégie cohérente en Libye" qui a conduit à "un effondrement économique et politique'', un afflux non maitrisé de migrants et "une augmentation du terrorisme".

Au Royaume Uni, les reproches se portent sur David Cameron, mais aux Etats-Unis, c’est Hillary Clinton qui est sous le feu des critiques pour avoir dit que la Libye est ''toujours en projet''.

Non pas que son rival soit en mesure d’en dire plus. La position de Donald Trump sur la Libye est aussi incohérente que ses calculs sur les migrants ou sa position sur l’OTAN. Il vacille entre la critique de Clinton pour avoir ''mis en œuvre" l’intervention de 2011, une prise de positions pour un renforcement de l’implication militaire américaine, et des fanfaronnades sur ses liens d’affaires avec feu le Colonel Kadhafi. Inconsistant ou compromis : ça n’augure rien de bon pour le rôle central qu’entend jouer l’Amérique dans la région.

C’est problématique car il faut un leadership positif maintenant plus que jamais. Il faut contenir l'Etat Islamique et non pas le déplacer. Il est crucial de s’assurer le soutien des dirigeants africains, du chef de tribu aux gouvernements, d’arrêter la corruption et d'améliorer la qualité et non pas la quantité des investissements.

Des milliards de dollars ont été jetés dans les pays d’Afrique du Nord sans que cela bénéficie aux plus pauvres et aux plus démunis. Au niveau international, il faut oeuvrer de façon à éviter les conflits par procuration qui ont détruit la Syrie. Là-bas, une horrible parodie de la guerre froide fait s'opposer les avions de chasse russes aux rebelles appuyés par la CIA, sur fond de querelles ancestrales entre chiites et sunnites ravivées par l’Arabie Saoudite et l’Iran.

La Syrie, une nation dont on célébrait autrefois la diversité, est désormais pourrie par les conflits confessionnels et elle s'effondre sous la partie d’échec des "super puissances". L’Afrique est la proie suivante.

L’Arabie Saoudite et d’autres états du Golfe ont élargi leur influence en finançant des imams wahhabites ou en fournissant le système de santé que des gouvernements africains sont incapables de fournir en raison de la corruption galopante. La présence économique de la Chine permet de lever des fonds importants pour des investissements structurels, faisant ainsi reculer l’exploitation des ressources naturelles et d’une main d’œuvre bon marché.

La France joue un rôle très important en Afrique de l’Ouest où sa campagne militaire qui dure depuis plus de trois ans et demi est motivée, en grande partie, par la présence de mines d’uranium au Niger (qui fournit le tiers de l’uranium dont a besoin sa lucrative industrie nucléaire). Quiconque pense que l’Afrique du Nord ne peut pas sombrer dans une guerre par procuration doit jeter un œil sur la carte. D’autres acteurs se positionnent, attirés par le potentiel important en ressources de l'Afrique du Nord. La région a un potentiel économique très prometteur, même si les prévisions politiques sont agitées. Mais il est essentiel de s’attaquer à ces problèmes.

LOccident profite de son uranium, du phosphore, du pétrole et d’autres ressources, mais il ressent également l’impact du djihadisme, du trafic de drogues et de l’immigration de masse. Nous devons nous engager dans cette région et non pas lui tourner le dos. Se confronter à ce qu’Obama a appelé ''un merdier'' et la myriade de conflits qui l’entourent est essentiel.

Sinon, ces désastres vont continuer de s’étendre et les vents de sable du Sahara vont ternir le mandat et la politique étrangère du prochain président américain.

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