Israël face au risque d’une guerre civile ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les forces israéliennes arrêtent un groupe d'Arabes israéliens dans la ville mixte judéo-arabe de Lod le 13 mai 2021 lors d'affrontements.
Les forces israéliennes arrêtent un groupe d'Arabes israéliens dans la ville mixte judéo-arabe de Lod le 13 mai 2021 lors d'affrontements.
©AHMAD GHARABLI / AFP

Israël - Hamas

Après onze jours de guerre, un cessez-le-feu sous médiation égyptienne est intervenu vendredi entre Israël et les Palestiniens du Hamas. Les émeutes meurtrières à Lod et à Jaffa, dans les villes où coexistaient Juifs et Arabes israéliens, ont fait renaître le spectre de la guerre civile pour l'Etat hébreu.

Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani est avocat et essayiste, spécialiste du Moyen-Orient. Il tient par ailleurs un blog www.amir-aslani.com, et alimente régulièrement son compte Twitter: @a_amir_aslani.

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En onze jours, la guerre-éclair d'Israël contre le Hamas a fait 230 morts, dont 65 enfants, plus de 1700 blessés, et s'est achevée par un cessez-le-feu. Mais si les affrontements se sont interrompus à Gaza depuis vendredi, de nouveaux heurts ont eu lieu sur l'Esplanade des mosquées à Jérusalem entre Palestiniens et la police israélienne, preuve que cet accord, obtenu par la pression internationale, aura une durée de vie sans doute assez courte. En effet, aucun des facteurs qui ont permis au conflit de s'embraser n'ont été résolus, loin s'en faut.

Pour servir à la fois ses ambitions personnelles – notamment son désir d'échapper à la justice - et son rêve obsessionnel d'un « grand Israël », Netanyahu serait-il prêt à engager une guerre ? Il vient de fournir une réponse éloquente. Et plus qu'une guerre extérieure, Netanyahu semble prêt à accepter le risque d'une guerre civile, car c'est bien ce que sa politique discriminatoire à l'égard des Arabes israéliens pourrait provoquer en Israël.

Les réactions des Arabes israéliens ont surpris le gouvernement et largement au-delà des frontières de l'Etat hébreu, car elles ont démenti ce que les observateurs internationaux et le discours de l'ultra-droite israélienne ont longtemps voulu faire croire : que la cause palestinienne avait fait son temps, qu'elle n'intéressait plus personne, à commencer par les Arabes eux-mêmes, un état de fait qui validait tacitement l'avancée de la colonisation israélienne en Cisjordanie et les multiples humiliations infligées aux Palestiniens vivant en Israël, devenus « citoyens de seconde zone ». Le désintérêt croissant de la communauté internationale depuis l'échec des accords d'Oslo faisait écho au désintérêt des Palestiniens eux-mêmes pour leur combat en vue d'obtenir l'Etat auquel ils ont légitimement droit. Et comment leur reprocher ce sentiment d'abandon, quand les Etats arabes du Moyen-Orient eux-mêmes, à commencer par l'Arabie Saoudite, semblaient de plus en plus indifférents à leur sort au nom de leurs intérêts stratégiques ?

Le fait que la « rue arabe » israélienne ait rappelé violemment l'ampleur de ses frustrations démontre que son esprit de révolte est resté intact. L'erreur de Netanyahu a été de croire la cause palestinienne morte, alors qu'elle n'était qu'endormie. Il en a lui-même attisé les cendres, par une rhétorique basée sur deux illusions : celle d'une coexistence pacifique entre Juifs et Arabes israéliens, et d'une certaine résignation de ces derniers envers leur statut de minorité discriminée.

Pourrait-il y avoir une guerre civile en Israël ? Les ultra-orthodoxes, mais aussi une partie de la droite israélienne traditionnelle, notamment par la voix de l'ancien ministre de la Défense de Netanyahu Moshe Yaalon, estiment de longue date que le risque posé par les Arabes israéliens, véritable « bombe démographique » qui représente un cinquième de la population israélienne, constitue une menace bien plus grande que le Hamas. Les plus radicaux militent activement pour qu'ils soient purement et simplement déchus de leur nationalité israélienne et expulsés du pays.

Les Arabes israéliens peuvent effectivement devenir une menace... tant que la politique israélienne à leur encontre, récemment qualifiée d'apartheid par l'ONG Human Rights Watch, se maintient et s'intensifie. Elle attisera en réaction une colère grandissante qui pourrait provoquer à terme de sanglants affrontements intra-communautaires en Israël. Les répressions policières à Al-Aqsa, les expropriations de Palestiniens à Jérusalem-Est, et les récents bombardements à Gaza, s'ajoutent à une marginalisation et une pauvreté de plus en plus mal tolérées par les citoyens qui en sont victimes. Les confrontations entre Arabes et Israéliens ont eu lieu dans de nombreuses villes qui comptent une grande mixité ethnique – et surtout une jeunesse arabe aussi facilement radicalisée que la jeunesse juive orthodoxe. Elle ne demande que l'égalité et le droit à une vie décente, refuse la ghettoïsation grandissante. Les gouvernements israéliens successifs ont ignoré ces légitimes demandes, particulièrement sous l'ère Netanyahu. Depuis la Seconde Intifada, le statut politique, économique et social des 1,5 millions d'Arabes israéliens s'est même considérablement dégradé. Plus de la moitié de cette communauté vit sous le seuil de pauvreté, contre 15% de la population juive israélienne.

Les Etats-Unis tiennent une part de responsabilité dans l'explosion du conflit à Gaza. Du transfert de l'ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem en passant par la reconnaissance de la ville trois fois sainte comme capitale de l'Etat hébreu, le mandat de Donald Trump n'aura été qu'une longue succession de soutiens apportés sans conditions à la politique anti-palestinienne de Netanyahu. Le « Plan de paix pour le Proche-Orient », réalisé sans concertation avec les Palestiniens, validait éhontément le principe de la colonisation en Cisjordanie et ouvrait la voie à d'autres implantations israéliennes.

Joe Biden, depuis son investiture, a soigneusement évité le sujet. De plus en plus de voix, y compris au sein du parti démocrate, s'élèvent pour lui reprocher son manque d'engagement. Bien que « bipartisane », la question du conflit israélo-palestinien ne semble plus faire consensus aux Etats-Unis, et on réclame désormais de Joe Biden qu'il prenne fermement parti. Une dissociation est en effet indispensable entre le soutien apporté à Israël en tant qu'Etat, et le droit de critiquer la politique du gouvernement israélien, en l'occurrence celle de Netanyahu, lorsque celle-ci est en rupture avec le droit international. Soutenir Israël ne doit pas valoir validation d'une politique dangereuse pour la stabilité de l'Etat hébreu et celle du Moyen-Orient.

Si la diplomatie règlera – pour une durée indéterminée – le conflit entre l'Etat hébreu et le Hamas, elle restera impuissante à régler les conflits sociaux et ethniques qui rongent la démocratie israélienne de l'intérieur et menacent grandement sa viabilité. Les accords d'Abraham, qui unissent Israël avec de nouveaux alliés au sein du monde arabo-musulman – Bahreïn et les Emirats Arabes Unis – risquent d'ailleurs d'être fragilisés par ces onze jours d'affrontements. Les Etats-Unis ont désormais l'opportunité de rétablir une politique véritablement équilibrée vis-à-vis d'Israël, et d'encourager la prise en compte des aspirations des Arabes israéliens, en particulier de cette jeunesse poussée à la violence par le désespoir. Car tant que le conflit israélo-palestinien, qui est avant tout domestique, ne sera pas résolu, l'Etat hébreu restera un vainqueur en sursis, constamment menacé par l'instabilité, voire l'effondrement.

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