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L’Etat enchaîné face à la crise du Covid-19
©DENIS CHARLET / AFP

Bonnes feuilles

Mathieu Laine publie "Infantilisation, Cet Etat nounou qui vous veut du bien" aux éditions Presses de la Cité. La pandémie n'aura été que le baromètre en fusion d'un phénomène plus profond : la prise de pouvoir totale de l'Etat-nounou. Mathieu Laine dénonce cet autre virus : la fièvre bureaucratique, technocratique et centralisatrice qui ne fait que révéler la propension malsaine de l'Etat à infantiliser les Français. Extrait 2/2.

Mathieu Laine

Mathieu Laine

Mathieu Laine dirige le cabinet de conseil Altermind.

Essayiste, il a publié entre autres le Dictionnaire du Libéralisme (Larousse, Avril 2012), ainsi que le Dictionnaire amoureux de la liberté (Plon, Janvier 2016).

Il est aussi l'un des actionnaires d'Atlantico.

Transformer la France - Mathieu Laine & Jean-Philippe Feldman

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Comme toute crise majeure, la pandémie et ses conséquences nous mettent en danger. Elles offrent également l’occasion d’un sursaut. Après une telle vague d’intervention étatique, le ressac risque d’être douloureux. Ne nous leurrons pas. Il nous sera difficile de quitter les jupes en fer de l’Etat nounou et ce dernier ne voudra pas nous lâcher.

A nous toutefois de faire preuve de maturité et de lucidité. A-t-on connu meilleure opportunité pour interroger et soigner notre rapport pathologique à l’Etat ? Faut-il vraiment tout reconstruire à l’identique ? Ne gagnerions-nous pas à imaginer, entre l’Etat et nous, un lien plus respectueux, plus juste, plus apaisé  et plus vertueux ? Nos dirigeants comme les citoyens doivent s’engager dans ce débat.

Parce que l’Etat nounou préexistait à la crise sanitaire, parce que ses bonnes intentions étouffent nos libertés, parce que nous sommes collectivement arrimés à un destin potentiellement funeste si nous ne changeons rien, nous nous devons de revoir son périmètre autant que les rapports qui nous lient à lui. Il est comme un fleuve sorti de son lit, un ressort échappé de sa boîte, un génie à distance de sa lampe. Saisissons-nous de ce sujet.

Quitte à le faire, évitons les postures, les biais idéologiques. Inspirons-nous des apports du monde académique contemporain. On ne peut repenser l’étatisme avec du vieux socialisme ou du vieux libéralisme. Sans renier les principes immuables, c’est ce chemin de pensée, éclairé des récentes découvertes, qui nous paraît faire sens en amont de l’action. Pour ne pas nous cantonner à la critique, conscients des difficultés de la tâche et en ayant à cœur, si possible, d’aider plutôt que de condamner.

Que nous dit la science de l’Etat réinventé ? Comme Prométhée dans la tragédie d’Eschyle, nous ne devrions ni l’anéantir, ni le gaver : nous devons l’enchaîner.

Ligoter Léviathan comme Ulysse à son mât

Nous le percevons chaque jour  : l’Etat est à la fois omniprésent et impuissant, autoritaire et dépourvu d’autorité, intrusif et myope, puissant et incapable, central et dilué, dur avec les faibles et faible avec les forts. Charitable au point d’être le plus généreux au monde du côté du social ; procédurier et atteignant des degrés de complexité administrative battant eux aussi des records ; capable de condamner une femme de 73 ans atteinte de la maladie d’Alzheimer pour une attestation de déplacement mal datée et inapte à en finir avec les manifestations d’ultraviolence empoisonnant la vie des habitants, des commerçants et des forces de l’ordre à Paris et dans certaines grandes villes la plupart des samedis depuis les « gilets jaunes ».

S’il a su avoir, avant l’épidémie, de premiers résultats très encourageants en termes de croissance, de pouvoir d’achat, de création d’entreprises, d’attractivité et de taux de chômage en baissant et en refusant contre l’avis de tous (ce qui est inédit sous la Cinquième République et que nous devons pour le coup à Emmanuel Macron lui-même) de remonter les impôts au gré des crises et en assouplissant certaines normes dont le droit du travail, la pandémie a vu l’Etat revenir dans notre quotidien comme rarement dans l’histoire. A circonstance exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Chacun le comprendra. Il faudra toutefois se souvenir, à l’heure de relancer, que nos succès d’hier sont tous nés d’un recul ciblé du périmètre de l’Etat et de ces premiers pas réalisés vers une société moins infantilisante.

La science le confirme. Dans un ouvrage majeur publié en 2020, Daron Acemoglu, professeur au MIT, et James A. Robinson, professeur à Chicago, décrivent un « corridor étroit » qu’il nous faut emprunter pour préserver les libertés tout en accomplissant ce que pourraient être les objectifs centraux de l’Etat  : garantir les capacités d’émancipation des individus (école, formation, égalité des chances, protection sociale pour les plus fragiles), préserver l’existence de marchés libres et équitables (avec au premier rang la capacité pour de nouveaux entrants à pénétrer les marchés), protéger les minorités (pour lutter contre les plafonds de verre) et sécuriser l’efficacité productive (stabilité des normes, fiscalité incitative, valorisation de la recherche et de l’innovation).

Il faut trouver ce chemin subtil vers un « Léviathan enchaîné », à mi-chemin entre le « Léviathan despotique » et le « Léviathan absent ». Si l’Etat est trop puissant, il étouffe les libertés et, avec elles, les capacités d’émancipation, d’ascension sociale, d’invention et de réalisation personnelle. L’antimodèle en la matière, c’est évidemment la Chine quand elle s’arroge la puissance de feu d’un capitalisme d’Etat arrimé à un marché géant tout en écrasant les libertés politiques. C’était l’URSS hier. C’est aussi le Venezuela de Maduro. Ce sont également, dans une moindre mesure, toutes les démocraties dans lesquelles l’Etat est si intrusif qu’il brise les initiatives et casse les dynamiques associant la liberté et la responsabilité personnelle. A l’opposé, quand la société est trop peu organisée, quand elle empêche le développement d’un Etat efficace et que les institutions manquent pour créer un contexte de sécurité physique et juridique, les personnes sont livrées à elles-mêmes et dépourvues du cadre nécessaire pour prospérer.

Comme le disent Daron  Acemoglu et James Robinson, « la seule manière de forger une liberté durable, c’est de trouver l’équilibre nécessaire à la construction d’un Léviathan enchaîné. La vraie liberté ne peut prospérer ni sans Etat, ni sous le joug d’un Léviathan despotique ».

L’Etat, dès lors, doit se lier les mains, comme Ulysse à son mât, et éviter de céder aux séduisantes sirènes de l’extension permanente. Il doit résister à la tentation de la réponse à tout et reprendre confiance dans la capacité des êtres à vivre en liberté. L’homme, on l’oublie, est un animal doué de raison. Le mettre en cage ou derrière les blancs barreaux d’un parc à bébé, c’est jouer contre sa nature et prendre le risque de précipiter sa chute. Le pouvoir et la bureaucratie doivent servir la liberté au lieu de la défier.

A lire aussi : L’irrésistible expansion de l’Etat nounou

Extrait du livre de Mathieu Laine, "Infantilisation, Cet Etat nounou qui vous veut du bien", aux éditions Presses de la Cité.

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