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L’enseignement de l’Islam à l’école est-il condamné à rester coincé entre l’angélisme idéologique et les  stéréotypes ?
©PATRICK KOVARIK / AFP

Bonnes feuilles

Isabelle Saint-Martin publie "Peut-on parler des religions à l’école ?" aux éditions Albin Michel. En 2002, le rapport Debray affirmait l'importance de reconnaître et d'enseigner le fait religieux. Cet ouvrage propose une lecture distanciée sur les difficultés et les avancées des réformes des programmes. Extrait 1/2.

Isabelle Saint-Martin

Isabelle Saint-Martin

Isabelle Saint-Martin est directrice d'études à l'EPHE-PSL, Elle a dirigé l'Institut européen en sciences des religions (IESR) au sein de l'Ecole pratique des Hautes Etudes.

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Parmi les polémiques qui ont entouré, en 2015, la réforme des programmes d'histoire au collège, la question de l'islam a suscité un affrontement spécifique. Parce que le déroulé chronologique du programme tend à placer cette question en classe de 5e, alors que les autres monothéismes sont présentés l'année précédente, plusieurs voix, en particulier dans le contexte politique d'un débat sur l'immigration, se sont indignées d'un traitement de faveur qui donnerait à l'islam une place privilégiée. C'est oublier que l'étude de l'Islam (religion et civilisation) a sa place dans les programmes depuis plus d'un siècle et que la naissance du judaïsme puis celle du christianisme sont abordées en 6e. Plus sensible toutefois dans le contexte politique actuel, le traitement de l'islam a fait l'objet de multiples enquêtes dont il importe de situer les grandes lignes. En 1985, le rapport de Jacques Berque, déjà cité, préconisait de « s'ouvrir à la connaissance du monde islamo-méditerranéen » car « notre unité sera à la mesure de la construction en commun que nous allons proposer à ces représentants d'un monde différent ». L'école devait permettre d'appréhender l'islam dans son historicité. Or, au début des années 2000, un universitaire d'Al-Azhar a vivement critiqué l'image de l'islam donnée par les manuels scolaires français en les accusant de mettre l'accent sur la violence et les conquêtes au détriment d'une perspective propice à une « culture de la paix ». Il pointe, entre autres, une définition du mot « djihad » décontextualisée et univoque, entendue seulement au sens de « guerre sainte », sans rappeler le sens étymologique d' « effort » et sans faire la différence entre le petit et le grand djihad. Si certaines de ces critiques sont justifiées, d'autres enquêtes ont toutefois souligné l'évolution des manuels depuis les années 1970, encore marquée par l'histoire coloniale, jusqu'aux années 1990 avec la réforme des programmes de 1995 qui a conduit à une meilleure prise en compte de la spécificité de l'islam. Ainsi plusieurs manuels signalent deux approches du terme « djihad » et commencent à parler de Mohammed ou Muhammad et non plus de Mahomet. 

Plus récemment deux publications ont relancé la polémique avec des arguments très différents. Deux auteurs, sociologue et historien, ont ainsi reproché aux manuels d'alimenter une forme de «panique morale» et de faire percevoir trop souvent les musulmans comme des étrangers tout en essentialisant l'islam. Il faut cependant noter que leur étude traite plus largement de la place des élèves musulmans dans le monde scolaire et s'intéresse davantage au lycée et aux réactions aux attentats de 2015 qu'à la question du programme d'histoire au collège. D'autres sociologues, telle Françoise Lorcerie, notent au contraire un louable effort pour sortir des stéréotypes tant dans la présentation des débuts de l'Islam que dans l'histoire de la colonisation et de la décolonisation. Dans un registre inverse, Barbara Lefebvre, professeure d'histoire-géographie, a dénoncé à l'automne 2016 la complaisance d'une présentation de l'Islam qui fait la part belle aux contacts pacifiques, aux apports scientifiques et culturels au détriment de l'histoire militaire. Elle y voit une forme d'angélisme qui frise la déformation des faits et néglige, parmi d'autres exemples, d'évoquer la condition de la femme dans l'Islam médiéval. 

Ces deux positions en miroir, dont les critiques ne s'annulent pas, sont certes liées à des engagements opposés sur l'appréciation du système éducatif français – au-delà de la seule question de la prise en compte des faits religieux dans les manuels –, mais en partie complémentaires. Or, si certains de ces reproches relevés sont fondés, c'est souvent aussi le fait d'une inquiétude des éditeurs ou d'une volonté de bien faire parfois insuffisamment étayée mais qui conduit, comme le notait déjà une enquête de 2011, à vouloir « réparer l'histoire » et à donner une vision idéalisée de certaines périodes. Ainsi le chapitre du programme qui traite de la coexistence religieuse en Andalousie peut devenir une apologie du « vivre ensemble » au détriment de la complexité historique. Le souci de simplification conduit aussi à privilégier le monde sunnite et parfois à renforcer involontairement une lecture wahhabite. Une approche historique et géographique plus documentée et distanciée est nécessaire pour inciter en effet à une plus grande contextualisation de l'histoire de l'Islam et de son développement dans la diversité des aires culturelles concernées comme l'a souhaité récemment la présidente du Conseil supérieur des programmes, Souâd Ayada. Elle déplore « un enseignement qui sacralise, (…) qui ne me semble pas servir des fins de connaissance historique, mais plutôt à apaiser, flatter, soutenir des choses qui relèvent du vivre ensemble, mais qui n'est pas articulé au souci de vérité ».

Extrait du livre d’Isabelle Saint-Martin, "Peut-on parler des religions à l’école ?", ©Editions Albin Michel, 2019. 

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