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Gabriel Attal et Emmanuel Macron lors d'une cérémonie officielle
Gabriel Attal et Emmanuel Macron lors d'une cérémonie officielle
©LUDOVIC MARIN AFP

Dissolution de l'Assemblée nationale

La dissolution n’a pas provoqué une recomposition de la scène politique mais son extrémisation.

André Grjebine

André Grjebine

André Grjebine est économiste et essayiste, ancien directeur de recherche à SciencesPo Paris.

Il est l’auteur de plusieurs ouvrages économiques et philosophiques. Il collabore à plusieurs journaux français, dont Le Monde. Ses travaux actuels portent sur les facteurs de vulnérabilité des démocraties libérales, en France et dans les pays scandinaves.

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En dissolvant l’Assemblée Nationale, Emmanuel Macron comptait une nouvelle fois prendre le dessus sur ses adversaires en redonnant au peuple le pouvoir de décider de son sort.  Il l’a au contraire coincé entre des extrêmes qui, sauf coup de théâtre inattendu, vont se disputer le pouvoir. Au lieu de la clarification annoncée, les Français n’ont plus de choix qu’entre ces deux extrêmes. L’affrontement entre leur vision de la société s’impose désormais à chacun de nous. A ceux qui éprouveront de la répugnance à voter pour le Nouveau Front Populaire (NFP), on demandera s’ils préférent l’extrême-droite – en qui certains voient des fascistes – au pouvoir. A ceux qui se montreront hostiles au Rassemblement National, on objectera qu’ils préférent donc les islamo-fascistes.

La dissolution n’a pas provoqué une recomposition de la scène politique, mais son extrémisation. Elle laisse sans choix tous ceux qui n’acceptent ni la démagogie, ni la violence et aspirent à vivre dans une société pacifiée. M. Macron voulait éliminer les extrêmes au profit du centre, il l’a peut-être tué. En ce sens, la dislocation des Républicains initiée par Eric Ciotti a sans doute été aussi désastreuse que l’union contre-nature de toutes les composantes d’une prétendue « gauche » qui n’ont rien de commun.

D’où le malaise que suscite cette campagne. Les mesures les plus contestables ne sont plus évoquées et on éprouve parfois le sentiment que les uns et les autres avancent masqués. Marine Le Pen, Jordan Bardella et les candidats qu’ils soutiennent multiplient les efforts pour rompre avec le passé de leur mouvement, à commencer par l’image désastreuse de son fondateur Jean-Marie Le Pen. Les partenaires de LFI au sein du Nouveau Front Populaire doivent, eux, minimiser leurs accointances présentes. Ils affirment ainsi que Jean-Luc Mélenchon ne sera pas leur candidat à Matignon, qu’ils désavouent les opinions douteuses de leurs alliés, en particulier leur antisémitisme, leur refus de reconnaître le Hamas comme un mouvement terroriste, leur sympathie pour M. Poutine, sans compter les insultes dont ils ont abreuvé leurs partenaires tout au long de la campagne. On nous dira que des personnalités comme Raphael Glucksmann ou François Hollande serviront de garant pour calmer les ardeurs de leurs alliés les plus agressifs. Qui croire ?

Dans une société dominée par l’affrontement des populismes, les propositions démagogiques, la multiplication des fake news, éventuellement avec le soutien sous-jacent de Poutine aux uns et aux autres, les agressions contre des personnes qui ne partagent pas les mêmes opinions vont se multiplier. Les individus seront jugés en fonction de leur soumission au politiquement correct de chaque camp. On peut compter sur l’intolérant et vindicatif Jean-Luc Mélenchon pour y veiller. Déjà, plusieurs députés n’ont pas été investis pour l’avoir critiqué. Il est vrai qu’on ne pouvait pas attendre moins d’un admirateur de Robespierre.

L’affrontement brutal entre extrêmes devrait encourager les Français « à se lâcher », bref ouvrir une période de chaos politique, social et psychologique. Depuis des années, propos et actes antisémites se sont multipliés ainsi que les violences, notamment contre les représentants de l’Etat (policiers, pompiers, enseignants, etc.). Mais, jusqu’à la dissolution, en dehors d’individus réfractaires aux lois de la République, chacun savait qu’il ne pouvait pas tout dire et tout faire sans subir une condamnation sociale, voire judiciaire. Le triomphe des extrêmes risque de libèrer les pulsions les plus malsaines. D’abord, celle de l’antisémitisme, dont l’extrême-gauche a fait un instrument privilégié pour séduire les populations d’origine non européenne des banlieues. Mais, plus généralement, la haine et la volonté d’en découdre avec quiconque a « une tête qui ne vous revient pas » parcequ’il n’appartient pas à la même catégorie sociale, culturelle ou sexuelle que vous.

Il est probable que si le Rassemblement national parvient au pouvoir, il tentera de mettre en œuvre des mesures fortes contre l’immigration. On peut compter sur Jean-Luc Mélenchon et ses acolytes pour exciter les populations, quitte à envahir grandes écoles ou universités, à manifester violemment ou à saboter le travail parlementaire.

En même temps, que ce soit Jordan Bardella ou un représentant du NFP qui sera le prochain Premier Ministre, le RN comme le NFP ont prévu trop de mesures coûteuses pour ne pas provoquer une crise économique, qui sera doublée d’une crise politique et sociale dans la mesure où de nombreuses promesses faites aux électeurs ne pourront être tenues. Le mécontentement populaire ira en s’amplifiant. Pour y faire face et pour calmer l’inquiétude des institutions européennes et des investisseurs internationaux, le nouveau gouvernement sera amené à prendre des mesures autoritaires, ce qui renforcera le mécontentement.

Compte tenu des candidatures déposées, il est très probable qu’à un gouvernement d’extrême-droite répondra dans l’opposition une forte minorité d’extrême-gauche ou réciproquement. Les échanges d’invectives se substitueront à un débat constructif. La France s’engagera alors dans une longue période de crise et de désordre.

Devant l’imminence du danger, on ne peut qu’en appeler à l’intelligence et au courage des citoyens. Est-ce que la détestation du gouvernement doit vraiment nous amener à renier nos valeurs ? Notre hantise d’un succès de l’extrême-droite pour les uns, de l’extrême-gauche pour les autres, doit-elle nous conduire à négliger le risque de tensions politiques et sociales incontrôlables, voire à terme celui d’une guerre civile ? La séduction du chaos est forte, surtout quand le pouvoir a tant déçu. Mais n’est-ce pas précisement le moment de défendre les valeurs républicaines et de résister aux sirènes du RN et du NFP ?

par André GRJEBINE

Economiste et essayiste, ancien directeur de recherche à Sciences Po Paris

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