L’effet Ukraine : l’union des droites n’aura pas lieu (enfin pas tout de suite en tous cas…)<!-- --> | Atlantico.fr
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Au regard du contexte politique, des évolutions dans les sondages et avec la crise en Ukraine, l'union des droites aura-t-elle lieu ?
Au regard du contexte politique, des évolutions dans les sondages et avec la crise en Ukraine, l'union des droites aura-t-elle lieu ?
©AFP

Espoir d'unité ?

La guerre en Ukraine redéfinit les enjeux de l'élection présidentielle et perturbe la campagne électorale. Cette crise, le changement de dynamique dans les sondages et le soutien de Marion Maréchal envers Eric Zemmour nuisent-ils à la perspective d'une union des droites ?

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Gilles Ivaldi

Gilles Ivaldi est chercheur CNRS au CEVIPOF et professeur à Sciences-Po Paris. 

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Atlantico : Alors que l’arrivée d’Éric Zemmour dans la course à la Présidentielle laissait présager pour certains une possibilité d’union des droites après la campagne, la crise ukrainienne semble rebattre les cartes : Éric Zemmour dévisse dans les sondages peu à peu, tout comme Valérie Pécresse, tandis que Marine Le Pen semble mieux s’en sortir. Le changement de dynamique dans les sondages bouscule-t-il la perspective d’une union des droites ?

Christophe Boutin : Je crois que pour répondre à votre question une mise en perspective s’impose, sans laquelle on ne saisit pas les enjeux de ce qui se passe. L’union de la droite, pensée alors comme une « union des droites » conservatrice et progressiste, a été théorisée lorsqu’il s’agissait de créer un grand parti « attrape-tout » de droite, quand certains voyaient la France évoluer vers le bipartisme. Pour y répondre, la droite française a alors rassemblé deux de ses principales composantes, la composante gaulliste du RPR et la composante centriste de l’UDF. La nouvelle structure devait être cette arme imparable qui, rejetant la gauche hors du centre, lui interdisait la conquête du pouvoir tant, justement, l’élection semblait se jouer sur les votes indécis d’un centre dont la bascule faisait l’élection. 

Ce projet allait achopper sur trois écueils. Le premier a été l’apparition et la confirmation, à la droite de cette structure, d’une composante avec laquelle la gauche politique, mais surtout la gauche médiatique, dispensatrice de légitimité morale, allaient interdire toute alliance, le FN. Le gain des voix de quelques centristes n’a en effet rapidement pas pesé lourd dans le jeu électoral face l’absence de soutien possible de la part d’un mouvement bien supérieur en nombre d’adhérents. 

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Second écueil, l’impossibilité de définir une ligne politique claire au sein de l’UMP puis de LR, tant le clivage entre conservateurs et progressistes opposait les élus entre eux, mais aussi les élus aux militants et/ou aux sympathisants – le choix de François Fillon contre un Alain Juppé archi-favori en 2016 ou le score en 2021 d’Éric Ciotti en étant des exemples. Les trop évidentes contradictions, pour ne prendre que ces seuls exemples, sur la place de la famille, l’identité nationale ou la relation à l’Union européenne, auxquelles il fallait ajouter la révérence accordée aux « avancées sociétales » prônées par la gauche, rendaient inaudibles les discours, ne laissant comme électeurs que des fidèles dont la moyenne d’âge allait grandissant. 

Troisième écueil, l’arrivée sur la scène politique en 2016-2017 d’Emmanuel Macron qui, non content de son OPA sur une large partie des cadres et des électeurs du Parti socialiste, entendait bien progresser sur sa droite en ralliant à lui l’ensemble du camp progressiste. Soif de pouvoir, ou volonté de se trouver plus en phase avec leurs idées, de nombreux progressistes de droite allaient alors le rallier, les centristes du MoDem d’abord, dès la campagne présidentielle de 2017, puis, après sa victoire, des cadres de LR dont certains sont aujourd’hui ministres. 

Dès lors, l’attelage brinquebalant de LR ressemblait à une alliance d’élus résignés à la vie commune pour sauver leurs sièges en bénéficiant des financements étatiques et d’une étiquette partisane qui, grâce au réseau d’élus locaux du parti et aux habitudes de vote, permettait une rente de situation. Pas vraiment de quoi motiver une « union des droites ». 

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Plus à droite, le FN, devenu RN, avait un temps misé pour développer son audience sur une autre stratégie que la simple tentative de débauchage des élus et des électeurs les plus à droite de l’UMP puis de LR : il s’agissait de rendre explicite l’alliance implicite des souverainistes de droite et de gauche qui avait conduit au rejet du Traité européen en 2005. Marine Le Pen allait pour cela écarter certains thèmes de son parti pour une approche plus sociale, bannissant des éléments qui avaient fait le succès de son mouvement, comme la lutte contre l’immigration et une certaine morale sociale. À trop chercher le dépassement de la distinction droite/gauche, elle en devenait moins fédératrice à droite. 

C’est dans ce cadre qu’apparut Éric Zemmour, se proposant de fédérer derrière lui les déçus de LR et ceux du RN autour d’une série de thématiques conservatrices que les deux autres partis  avaient, en partie au moins, écarté de leur discours, comme celles de la défense de l’identité nationale, de la souveraineté de la France face à à l’Union européenne, de la restauration du choix politique face au « gouvernement des juges », ou du retour à une certaine morale clairement pensée en opposition aux revendications sociétales de la gauche. 

C’est cette troisième offre, qui pouvait être une base à cette « union des droites » dont on parle depuis si longtemps, autour d’un conservatisme assumé, conduisant alors à la séparation d’avec la droite progressiste qui aurait rejoint - officiellement cette fois - le camp macronien, qui est directement impactée par la crise ukrainienne, comme semblent le montrer les sondages récents que vous évoquez. 

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Gilles Ivaldi : Oui, la guerre en Ukraine semble affaiblir avant tout Éric Zemmour et, beaucoup moins semble-t-il, Marine Le Pen. Valérie Pécresse se trouve, elle, confrontée à l’omniprésence d’Emmanuel Macron sur la scène internationale. On sait que dans les grandes crises internationales, les présidents en place bénéficient en général de l’esprit d’union nationale, que la sociologie américaine appelle l’effet « rally round the flag » qui se traduit généralement par un surcroît de popularité en leur faveur. On le voit dans le baromètre Elabe-Les Echos et Radio Classique : la cote de confiance du chef de l'État a gagné 5 points ce mois-ci à 40 %. 

Le projet d’union des droites d’Éric Zemmour dépendra beaucoup de son score au premier tour. Il lui faut être en position de force après la présidentielle pour pouvoir espérer imposer la recomposition avec LR et, peut-être, une partie du RN. 

Il va falloir observer d’éventuels changements du rapport de force au sein des droites dans les prochaines semaines pour mesurer précisément l’impact de la crise ukrainienne. Mais pour l’instant, Éric Zemmour apparaît affaibli de cette séquence. Cela pose la question de sa capacité à apparaître comme le futur grand rassembleur des droites après la présidentielle.

À quel point les positions des candidats de droite sur l’Ukraine compromettent-elles, pour l’instant, les possibilités d’union ? Leurs différentes accointances passées avec le régime de Poutine deviennent-elles des boulets aux pieds des candidats ?

Christophe Boutin : Si ce conservatisme potentiellement fédérateur est aujourd’hui télescopé par la crise ukrainienne, ce n’est pas tant parce que Marine Le Pen, Éric Zemmour ou d’autres encore chez LR auraient soutenu Vladimir Poutine ou la Russie dans sa perspective expansionniste, mais parce que le pouvoir poutinien peut être présenté par le camp progressiste comme conservateur. 

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Il est vrai que les liens symboliques entre le « poutinisme » et le conservatisme existent. La restauration de l’État entreprise par Vladimir Poutine, qui est aussi le but des conservateurs, passe ainsi par un retour à la verticalité du pouvoir à laquelle souscrivent ces derniers. Le nationalisme est un autre élément fort, avec la perspective identitaire – Poutine ne dirait certainement pas qu’il n’existe pas de culture russe -, qui prend aussi en compte la dimension religieuse. Sur le plan social, la défense de la famille et celle de la morale sont présents dans les deux cas, comme, sur un plan plus directement politique cette fois, l’affirmation d’une souveraineté qui ne cède pas face aux instances supranationales, politiques, juridiques ou « citoyennes ». 

Le camp progressiste peut donc utiliser la crise ukrainienne pour délégitimer le camp conservateur. Pour prendre cet exemple, dans une tribune publiée le 2 mars dans Le Figaro, le sénateur des Républicains Philippe Bas écrit ainsi que « la guerre en Ukraine […] place les Français dès le premier tour devant un choix de second tour, en ce sens que nul ne peut prendre le risque de maintenir dans la compétition des candidats définitivement compromis par leurs liens politiques, idéologiques ou financiers avec la Russie ou encore hostiles à l'Europe et à l'Alliance atlantique ». 

On voit bien les tabous nouveaux (OTAN, UE) qui sont ainsi posés, et qui dépassent très largement les seuls liens éventuels de tel ou tel politique avec le pouvoir russe. Un discours progressiste qui écarte aussi bien vite certaines contradictions, car si les Ukrainiens prennent aujourd’hui les armes, et s’ils étaient déjà dans un conflit larvé avec la Russie, ce n’est pas avant tout pour participer à l’Union européenne, ce qui n’est au mieux qu’un moyen, mais bien pour défendre leur identité, leur culture, leur langue, leur territoire, et donc leur nation. Toutes choses dépassées selon nos progressistes. 

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Mais il n’en reste pas moins que le conflit ukrainien, choquant – et l’émotionnel est un agent majeur de formation de l’opinion publique -, offre on le voit des armes efficaces dans la campagne électorale qui vient pour attaquer certains choix de conservateurs qui auraient pu aider à une union des droites. 

Gilles Ivaldi : C’est une autre illustration de l’hétérogénéité des droites en France. L’union des droites ne se heurte pas simplement à la position des différents candidats sur la Russie ou l’OTAN. Il y a aussi des clivages importants sur l’économie ou sur l’Europe, qui ne sont pas à négliger et qui pèseront dans la balance. 

La proximité avec Vladimir Poutine est naturellement un handicap supplémentaire pour Éric Zemmour s’il veut espérer pouvoir attirer les cadres et les militants LR après la présidentielle. Pour l’instant, ses prises de positions pro Kremlin et son refus catégorique d’accueillir des réfugiés ukrainiens choquent beaucoup de Françaises et de Français, et contribuent à l’isoler politiquement.

Interrogée sur Marion Maréchal, la candidate du RN a expliqué être convaincue que sa nièce allait rejoindre Zemmour. Et a ajouté : « ça m’attriste personnellement et ça me plonge dans un abîme de perplexité politiquement [parce que] je suis la seule à pouvoir gagner face à Emmanuel Macron ». La possibilité d’une union des droites avec Marine Le Pen en position de force demeure-t-elle un mirage ?

Christophe Boutin : Si Marine Le Pen voit Marion Maréchal rejoindre Éric Zemmour – ce qui n’est pas le cas actuellement, -, c’est sans doute, en dehors des éventuelles querelles dont on nous assure ici et là qu’elles existent entre la garde rapprochée de la présidente du RN et les amis de la directrice de l’Issep, parce que cette dernière a effectivement un discours clairement conservateur, plus identitaire que celui que tient actuellement sa tante, moins accommodant sur certaines évolutions sociétales, et donc effectivement plus proche par certains côtés de celui d’Éric Zemmour. 

L’Union des droites pourrait-elle se faire finalement derrière Marine Le Pen ? Il est vrai que la présence d’Éric Zemmour, qui a concentré nombre d’attaques dans cette campagne, et s’est montré plus strict que la candidate du RN sur un certain nombre de plans (par rapport à l’Union européenne, ou sur la question des réfugiés), a par contraste adouci l’image de cette dernière, qui avait par ailleurs, nous l’avons dit, fait évoluer son discours. 

Mais il faudrait, pour que le camp conservateur à ce jour rallié à Éric Zemmour se porte sur elle avant le second tour des présidentielles qu’Éric Zemmour s’effondre totalement dans les sondages, et, pour que cela ait lieu au second tour - en supposant alors Marine Le Pen y soit présente -, que prévale au minimum dans toute la droite un fort antimacronisme. Or si Éric Zemmour s’effondrait, à cause de la question ukrainienne qui jouerait alors un rôle clef dans l’opinion publique, la même crise profitera nécessairement au chef de l’État, protecteur de la nation dans les heures difficiles comme il vient de le rappeler dans son allocution d’hier soir. 

Gilles Ivaldi : Je crois qu’il faut ici penser l’après Marine Le Pen. C’est sans aucun doute la dernière campagne pour la présidente du RN. Sauf à imaginer qu’elle remporte la présidentielle, elle devrait probablement passer la main dans les mois à venir, avec Jordan Bardella comme grand favori à la succession. 

Si Marine Le Pen parvient, comme le prédisent les sondages, à consolider un peu plus sa base électorale et l’élargir encore dans un possible duel face à Emmanuel Macron, son parti sera en position de force. Il sera alors beaucoup plus difficile pour Éric Zemmour de peser à droite et on pourrait se diriger vers un scénario « à la Mégret », c’est-à-dire une marginalisation progressive de Reconquête ! face au RN. 

Le parti d’Éric Zemmour devra, il faut le rappeler, passer l’obstacle des législatives, dans un scrutin avec une forte prime au sortant et au parti du président élu. A droite, LR peut encore compter sur des troupes locales assez bien implantées pour contrer l’offensive de Reconquête !. Éric Zemmour devra, lui, trouver des candidats dans un maximum de circonscriptions et ça reste quelque chose de compliqué pour un parti aussi jeune que le sien. 

Quant à Marion Maréchal, il paraît difficile aujourd’hui d’envisager qu’elle revienne prochainement dans le giron du RN, compte tenu des tensions personnelles et politiques avec Marine Le Pen. Par contre, à moyen terme, on peut tout à fait imaginer un retour. De par son profil personnel, Jordan Bardella me paraît plus compatible avec les idées de Marion Maréchal, notamment sur les questions identitaires.

Quelles seraient les circonstances qui pourraient à nouveau changer les choses ? Un enlisement du conflit en Ukraine serait-il fatal à l'idée d’une union des droites ?

Christophe Boutin : Sans doute pas plus et pas moins. Une victoire rapide de Poutine ne redorera de toute manière pas son blason dans l’opinion publique française en général, et une « pression sociale », à laquelle s’ajouteront les pressions politique et médiatique, continuera à incapaciter partiellement au moins ceux qui auront été perçus comme proches du président russe. Quant à l’enlisement du conflit, ce qui suppose certes qu’il sorte des premières pages avec le temps, mais aussi une augmentation du nombre de morts et un maintien de la tension, même à bas bruit, cela aura le même effet. 

Ce ne sont pas sur de tels éléments que se fera ou pas l’union des droites. À la limite, l’évolution actuelle de LR – après Raffarin, combien d’autres, vont quitter le navire avant l’élection, et combien d’autres après si Emmanuel Macron l’emporte ? – en actant la fin de cette alliance que nous avons décrite en commençant, entre droite conservatrice et droite progressiste, rendant ainsi plus sensible le clivage entre progressistes et conservateurs, pourrait redonner un nouvel élan à la perspective de l’union des droites. Resterait cependant à savoir derrière qui.

Gilles Ivaldi :Nous sommes pour l’instant dans un « moment » politique très particulier, au cœur de la crise provoquée par l’invasion de l’Ukraine, qui domine tout l’agenda politique. La recomposition à droite, si elle se fait, ne débutera qu’après l’élection présidentielle, avec une première étape au moment des législatives. On verra à ce moment-là où nous en serons de la guerre en Ukraine, de ses conséquences économiques et sociales et, surtout, de la situation migratoire que pourrait créer un afflux massif de réfugiés ukrainiens en Europe de l’ouest.

N’oublions pas en effet qu’en 2015, la crise des réfugiés syriens, qui venait après la crise économique et financière de 2008, avait très largement profité aux partis de droite radicale populiste dans la quasi-totalité des États membres de l’Union européenne. Dans une France fragilisée par la crise sanitaire et un pouvoir d’achat en berne, une nouvelle « crise migratoire » viendrait probablement nourrir le vote pour les droites radicales et rebattre les cartes à droite.

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