L’effet miroir : « Macron avec vous », soit. Mais « nous » qui, « nous » quoi ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron lors de son premier rassemblement politique avant l'élection présidentielle. 7 mars 2022, Poissy
Emmanuel Macron lors de son premier rassemblement politique avant l'élection présidentielle. 7 mars 2022, Poissy
©LUDOVIC MARIN / AFP

Slogan de campagne

Ce que le choix de slogan du président sortant - qui a fait sa première sortie de candidat à Poissy ce lundi - nous dit vraiment de la nature du macronisme. Et de l’état de la société française

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti est Professeur associé à Sorbonne-université et à l’HEIP et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Son dernier ouvrage, "Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir", est publié aux éditions du Cerf (4 Novembre 2021).   

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Benjamin Morel

Benjamin Morel

Benjamin Morel est maître de conférences en Droit public à l'Université Paris II Panthéon-Assas.

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Atlantico : Monsieur le président est devenu monsieur le candidat depuis la fin de semaine dernière. Avec l’annonce de sa candidature, son équipe a dévoilé son arsenal en communication et notamment son affiche de campagne où nous avons découvert le slogan du candidat : « Emmanuel Macron avec vous ». Qu’est ce que ce slogan nous révèle sur la nature même du Macronisme ? N’y a-t-il pas une forme de populisme à utiliser un vous indéfini ?

Arnaud Benedetti : Lorsqu’il s’adresse à nous à travers ce vous collectif, Emmanuel Macron ne fait qu’obéir à l’essence du suffrage universel. Rien de choquant , ni de forcément démagogique, et si l’adresse au peuple est un populisme , dans ce cas la démocratie en constitue l’une des formes parmi d’autres. Le message de Macron à travers ce slogan , assez banal , pour ne pas dire plat , n’est évidemment pas populiste - sainte horreur pour le chantre du « progressisme»  high-tech et sociétal; il est d’accréditer l’idée de la proximité dont on lui a reproché  d’être étrangère à son comportement mais aussi de renouer avec l’esprit bienveillant que les marcheurs considéraient comme l’une de leurs marques de fabrique en 2017. Le candidat , l’espace de la campagne, gomme la verticalité de l’exercice du pouvoir qui a caractérisé son mandat pour retrouver la geste participative qui fut la sienne il y a 5 ans . Le macronisme c’est l’éternel retour du marketing permanent. On y est en plein sur fond de guerre à l’horizon, d’épidémies lancinantes et de campagnes étouffées ... Emmanuel Macron agrège autour de lui les derniers fourriers du centrisme, le social-opportunisme en rupture avec la gauche, une cohorte d’anciennes vedettes de la politique nées sous le giscardisme, le mitterrandisme et le chiraquisme . Il y a quelque chose de la voiture-balaie de tous les anciens partis de gouvernement dans le macronisme . Ces derniers tentent ainsi de transformer leur échec passé en promesse de succès . Macron est dés lors une machine à "réenergiser "; il le fait évidemment par sa Com’..

Benjamin Morel : Soyons justes, les slogans d’affiches électorales ont souvent une profondeur assez faible et tournent un peu tous autour du même registre. On a plutôt là le nouveau témoignage d’un toc de communicant que le substrat d’un profond message politique. C’est peut-être paradoxalement ce qui est gênant, même si ça n’est pas propre à Emmanuel Macron.

Tentons donc de décoder le message derrière les deux mots. Emmanuel Macron est le président de tous les Français. Il est avec nous tel un père attentionné dans un monde effrayant et plein de crises. Ces crises, nous les avons traversées et les traversons encore ensemble. Nous avons relevé les défis et sommes parvenus à nous en sortir. Pourquoi faire le choix de l’incertitude ? Emmanuel Macron nous a montré qu’il était solide face à la crise et nous protège, il est avec nous.

On peut être dubitatif sur l’efficacité d’une telle rhétorique, mais le message est, lui, plutôt bien senti. Emmanuel Macron ne peut se targuer d’un bilan législatif important. Le quinquennat a été marqué par les crises qui ont paralysé les réformes. Mais face à ces crises, il a été jugé efficace par une grande partie de l’électorat et la guerre en Ukraine réactive un peu plus cela.

Par ailleurs, cela donne un caractère très consensuel à la campagne. Or, Emmanuel Macron a besoin d’être consensuel d’abord pour maintenir l’effet sondagier de ralliement sous le drapeau dont il jouit. Ensuite, cela lui permet de ne pas cliver son électorat qui est d’accord sur le bilan, mais pas forcément sur les perspectives. Ensuite, il ne donne ce faisant aucune prise à ses adversaires. Avec vous, témoigne de cet état d’esprit.


Que retenir de son premier déplacement à Poissy ? Le président est-il devenu candidat pour la première fois ? 

Arnaud Benedetti : A Poissy, c’était variation sur un même thème. Le sortant utilise une référence communicante dont la légende médiatique considère qu’elle lui aurait permis d’absorber la crise des gilets jaunes. C’est un mythe bien évidemment mais comme tous les mythes ainsi que l’observe Barhes cela n’a qu’un lointain rapport avec la liberté .Le débat avec les français que le président-candidat promet c’est d’abord celui de l’entresoi macroniste. Emmanuel Macron se permet d’autant plus ces facilités qu’il vole littéralement dans les intentions de vote. Il tient à distance ses concurrents tout autant dans les sondages que dans l’arène médiatique , puisqu’il a confirmé qu’il ne se prêterait pas à l’exercice de la confrontation télévisée avec ces derniers , s’appuyant sur les exemples de ses grands prédécesseurs DeGaulle ou Mitterrand. Cette position est historiquement vraie mais elle comporte un angle mort :ce format là n’existait pas à l’époque . Le Président choisit en conséquence d’assumer qu’il n’est pas un candidat comme un autre , qu’il peut s’octroyer dés la ligne de départ un statut auto-protecteur de sa fonction en quelque sorte qui en vient à sanctuariser sa candidature. De ce point de vue l’exercice de Poissy vise à dire qu’il y aurait deux " Macron " , celui du Palais , qui dirige , qui monitore le pays en pleine situation critique , qui tutoie l’Histoire et les plus grands de la planète et celui de la campagne , qui dans une salle polyvalente vient “en toute simplicité“ se confronter aux questions des français. Or ces français sont d’abord des sympathisants, des militants : on subvertit le meeting pour susciter une apparence, celle d’un talk-show démocratique. La réalité , c’est qu’il n’existe pas deux corps du Président-candidat : il en existe un seul qui est celui d’un Président qui fait d’autant plus campagne en majesté que les événements exceptionnels de la guerre renforcent l’acceptabilité par l’opinion de cette posture .


Avec un tel positionnement le président semble faire preuve d’une certaine habileté marketing, mais n’y a-t-il pas un risque politique à prêter le flanc aux accusations de n’être qu’un caméléon ? Le retour d’Ismael Emelien (auteur de Le progrès ne tombe pas du ciel) rappelle-t-il la difficulté qu’ont les propres membres de son camp à définir le macronisme ? 

Benjamin Morel : On en fait beaucoup sur ce sujet de président ou candidat. C’est plus un thème de commentateurs. Une annonce de candidature, malgré le mythe, n’a jamais changé grand-chose pour un candidat, surtout quand elle est attendue. Tout le monde savait qu’Emmanuel Macron se présenterait. Ce qui me semble plus intéressant, c’est le modèle retenu ; celui du grand débat. On a ici quelque chose d’assez intelligent politiquement. D’abord, c’est l’exercice dans lequel il est le meilleur, loin devant le grand discours pompeux dont il est capable. Ensuite, cela lui permet d’expliquer qu’il ne se dérobe pas aux débats et est proche des gens. C’est terriblement efficace, car c’est une façon de, non seulement ne pas répondre aux remarques et propositions de ses concurrents, mais même de les décrédibiliser puisqu’elles ne sont pas reprises par les « vrais gens ».

Avec un tel positionnement le président semble faire preuve d’une certaine habileté marketing, mais n’y a-t-il pas un risque politique à prêter le flanc aux accusations de n’être qu’un caméléon ? Le retour d’Ismael Emelien (auteur de Le progrès ne tombe pas du ciel) rappelle-t-il la difficulté qu’ont les propres membres de son camp à définir le macronisme ? 

Arnaud Benedetti : Le macronisme synthétise tous les courants des idéologies dominantes : l’unionisme bruxellois ,le primat de l’expertise sur la démocratie, la pensée managériale, la subversion des imaginaires par la com’, la radicalité du centrisme qui exclut toute autre gouvernabilité que la sienne ... Je m’inscris en faux contre cette idée qui veut que le macronisme n’aurait pas de colonne vertébrale idéologique. Il en a une , c’est celle qui inspire l’action des dirigeants français depuis des décennies. Je n’en veux que pour preuve que le nombre d’anciens responsables de droite ou de gauche qui se rallient à lui depuis quelques jours ... Un autre point , assez étonnant , qu’il faudra historiquement étudié le moment venu , est l’indulgence médiatico-politique dont ce President souvent insolent est l’objet. Pour parler simplement, on pardonne beaucoup plus à Macron qu’à ses prédécesseurs. Ce quinquennat se traduit ainsi par une fatigue du niveau d’exigence civique et éthique de l’esprit public. Il faudrait des pages et des pages pour essayer d’en scintigraphier les raisons. Mais dans une société hyper-spectaculaire , la personnalité de Macron correspond bien aux besoins de la société du spectacle car il électrise , ambiance l’atmosphère: ce qui pourrait expliquer l’un des motifs , pas le seul, de cette insoutenable indulgence... Le macronisme aurait rencontré millimétriquement la note dominante de tous les artefacts de notre temps : le relâchement de la vertu ou la dégradation de celle-ci dans une entreprise  permanente de communication où la facticité le dispute à un affaissement général de ce que Tocqueville appelait "l’état des mœurs ". 

Benjamin Morel : On a déjà fait un entretien ensemble sur ce sujet. Ce caractère de caméléon est une force du macronisme qui attire à lui des soutiens et électorats d’accord sur rien, mais qui parient sur son évolution. Reste que, oui, cela peut donner des lendemains qui déchantent. D’abord, en donnant le sentiment que l’opposition n’existe pas, que le Président donne l’impression d’enjamber l’élection. Cela peut entraîner un effet démobilisateur. Or autant l’abstention peut être l’allié d’Emmanuel Macron au premier tour, autant, au second, elle peut profiter à Marine Le Pen notamment. Par ailleurs, elle peut saper la légitimité d’un second mandat. Un président élu avec 60% des voix et 70% de participation, ce n’est pas la même chose qu’un président élu à 51% avec 50% de participation. Ensuite, si l’électorat ne se sent pas engagé sur un projet pour les présidentielles, il y a toutes les chances que le vote de soutien traditionnel aux législatives n’ait pas lieu. Ce serait d’autant plus le cas si Emmanuel Macron est réélu. Outre que ces législatives arrivent très tard par rapport aux présidentielles (2 mois), la majorité sortante est peu implantée et très affaiblie. Enfin et surtout, allez expliquer que vous avez reçu mandat de réformer le système des retraites après une campagne consensuelle et sans aspérité… Si l’élection est enjambée, une partie de l’opinion déjà en rupture de ban risque de se sentir flouée. Les mouvements de type gilets jaunes ou anti-passe ne pourront que bien s’en porter.


Si cette proposition vide de tout sens politique est encore aujourd’hui largement en tête des sondages, qu’est ce cela nous apprend de la société française ? Avons nous « les gouvernants que nous méritons » comme le rappelle Chloé Morin ? Avec un tel positionnement le président semble faire preuve d’une certaine habileté marketing, mais n’y a-t-il pas un risque politique à prêter le flanc aux accusations de n’être qu’un caméléon ? Le retour d’Ismael Emelien (auteur de Le progrès ne tombe pas du ciel) rappelle-t-il la difficulté qu’ont les propres membres de son camp à définir le macronisme ? 

Arnaud Benedetti : C’est le régime du “ cens caché “ pour reprendre la formule d’un politiste trop oublié , Daniel Gaxie, qui caractérise notre régime .La politique aujourd’hui soustrait le peuple de la souveraineté. Les plus socialement installés ont aujourd’hui les gouvernants qu’ils veulent ; les autres , invisibles, périphériques, dépossédés culturellement et économiquement, se réfugient soit dans le retrait civique , soit dans une forme de nihilisme individualiste, soit encore dans une colère que les tenants du système qualifient avec dégoût de « populisme ". Tout l’enjeu consiste à savoir comment cette accumulation de ressentiments, de frustrations , de déceptions , de dépressions retrouvera le moment venu le chemin de la politique et sous quelle forme . De ce point de vue cette présidentielle quasi impossible ouvre la fenêtre sur une béance des plus incertaines, nonobstant les objurgations propagandistes qui voient dans la reconduction plausible d’Emmanuel Macron la victoire définitive de sa ligne . Avec ceci que  la crise ukrainienne opère sans doute aussi comme une tentative de réactivation de l’illusion de « la fin de l’histoire"...

Benjamin Morel : En partie. Nous sommes en démocratie. Lors des prochaines élections, les Français pourront même arbitrer entre deux tendances du trotskysme et, s’ils le souhaitent, en porter une au pouvoir. Notre démocratie ne souffre pas de l’absence du choix, mais de sa superficialité. Certes, le débat public est en dessous de tout, mais les moyens de s’informer n’ont jamais été aussi nombreux. En partie toutefois, car la démocratie ça n’a jamais été chez les Républicains que le suffrage universel. C’est aussi l’instruction du peuple aux enjeux démocratiques. Ça ne veut pas dire sa manipulation, mais sa formation. Pour cela, il faut que l’École fasse des citoyens, formés au politique, et non à la moraline. Cette mission est aujourd’hui dévoyée. Il faut que les médias organisent de manière efficace le débat public. Soyons clairs, depuis la guerre en Ukraine, nous n’avons presque plus de traitement de la campagne. Avant cette Omicron qui avait tué la précampagne. Le premier tour des municipaux a été enterré par la réforme des retraites, les départementales et régionales par la COVID. Une enquête BVA du 14 février 2022 montrait que seulement 26% des Français connaissaient les dates de l’élection. Les médias tendent à traiter les élections comme un sujet secondaire. Or la participation est liée à l’information de l’électeur. Moins les élections sont traitées, plus l’abstention est haute. On ne parle que peu des élections, et, ensuite, on pleure à chaudes larmes sur l’abstention qui elle devient une information chaude.

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